D’où il est préférable qu’on arrête de chialer par souci de préservation de la libido masculine?

Quand tu défends une position féministe (ou radicale d’une façon ou d’une autre, ou à contre-courant de la pensée dominante plus généralement), tu sais qu’on attend de toi un degré d’infaillibilité pour le moins exigeant. Visiblement, ça va pas dans les deux sens.

Sur le fond, l’argumentation doit être bétonnée avec double-blindage par balle et revêtement anti-feu, précise mais généralisable, les éléments doivent être sourcés, accessibles, et attribués à des personnes elles aussi au-dessus de tout soupçon, la méthode de raisonnement doit être livrable clé en main, convaincante mais pas dogmatique, facile à comprendre mais pas simpliste. Sur la forme, le ton doit être assuré mais pas menaçant, dénué d’émotion mais pas condescendant, les précautions oratoires doivent fleurir comme les petits bourgeons de ta pondération, et si tu sais faire des blagues en même temps, c’est mieux. Sans ça, tu éteins la lueur déjà fébrile d’une possibilité de débat calme et honnête.

Paaaas du tout tricky, les attentes. Mais bon. On essaye. Ça n’empêche souvent pas que la personne en face te prenne ouvertement pour une bille, ne sache plus où mettre ses fleuves de mauvaise foi, glisse vers l’ad personam avec l’aisance d’une petite loutre sur un lac gelé ou, classique s’il en est, te demande une argumentation taillée sur mesure pour sa personne parce que «lui, il a jamais frappé une femme, lui». Et tsais quoi ? C’est OK. Je comprends qu’on attende de moi que j’étaye rigoureusement mon positionnement, j’adorerais que ces attentes de fond et de forme soient applicables des deux côtés du débat, mais (*cough*) c’est OK. En tout cas, c’est comme ça.

PAR CONTRE… Quand je vois qu’il suffit que 3 pey et demi sniffent des bocaux plein de larmes pour qu’un médecin se sente assez décontracté de la teub pour annoncer à la télé que «les femmes doivent éviter de pleurer sinon cela altère la libido des hommes», dans un segment sur «comment vivre en bonne santé»… alors qu’on me fait chier quand j’ai l’outrecuidance de ne pas mettre «certains» avant «hommes» quand je parle de comportements sexistes… Mais… Je… PARDON?! Vous êtes sérieux ?? Les féministes deviennent des connasses hystériques et incompétentes si elles respirent trop fort par le nez en vous parlant, mais Captain Mainstream avec sa liste en 10 points pour bobo déprimé là, c’est OK ? Ça va le deux poids deux mesures, on dérange pas trop avec nos boobs dans le chemin de la Science ?

Présentation des résultats de l’étude approfondie de M. Saldmann

Dans l’étude manifestement utilisée par notre bon Dr Saldmann (parce qu’en vrai y’en n’a pas cent, des études du genre stu veux), on peut aisément pointer comme qui dirait quelques soucis de base-de-la-base du raisonnement scientifique.

La troisième partie de l’étude, censée être LE clou du pestacle (parce qu’ils ont pu avoir les clés de la salle d’IRM pour cette partie, et que c’est, d’après les auteurs eux-mêmes, la plus concluante), a été menée sur 16 hommes. SEIZE. Tous autour de 30 ans. Alors d’accord vous êtes l’universel incarné en ce bas monde, mais là l’extrapolation est peut-être un poil excessive, non ? Pour «les hommes» peut-être on repassera ? Je sais pas, je propose hein.

L’étude n’a pas été répliquée. Franchement, je pourrais juste m’arrêter là. La reproductibilité, c’est juste la base. Un truc que t’observes une fois, c’est cool, mais ça parle juste de cette fois-là. Si tu peux répéter ce que t’as fait et montrer que ça continue à produire le même résultat, alors on peut commencer à penser à tirer des conclusions plus générales. Notamment pour s’affranchir, jsais pas, d’un truc tout bête, genre LE FUCKING HASARD. Bon donc là vraiment pour du vrai, c’est juste un jour, 16 trentenaires, dans une machine IRM, qui deviennent « les hommes ». Bien. (Pour être absolument honnête, l’expérience a été répliquée. Et les résultats étaient tout à fait différents. Puis un autre article a dit que la reproduction avait été mal faite, donc je m’en tiens à ça, et on revient à « n’a jamais été répliquée ». #CheckMonIntégrité).

J’adorerais tomber sur un article intitulé « les male tears diminuent la libido des femmes » (#NoShit), mais l’étude n’a jamais été reproduite sur des femmes avec des larmes d’hommes. Ce qui pose un GROS problème vu la façon dont le monsieur présente les résultats, en suggérant qu’il s’agit d’un comportement sexué. Le mec arrive quand même à «les meufs, on bande pas quand vous chialez, donc maintenant vous arrêtez, okay ? Question de santé publique, faites gaffe, merde.» C’est un don de transformer n’importe quoi en mélasse sexiste hétéronormative. Je serais impressionnée si c’était pas aussi courant.

Et même si, en roue libre, pour le kiff (et quel kiff) on décide que l’étude est valide. D’où l’histoire devient «Les femmes doivent éviter de pleurer sinon cela altère la libido des hommes» plutôt que «Good news everyone, pleurer n’est pas encore un stimulant érotique pour les hommes» ? Enfin, pour certains hommes. Précaution oratoire oblige.

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