
Se prononce aussi : « j’en ai parlé à ma copine et elle dit que c’est pas vrai » / « ça m’est jamais arrivé, or je suis un homme, donc voilà quoi » / « les féministes exagèrent toujours tout, même que #NotAllMen »
Contexte : Tu généralises : moi par exemple j’ai jamais sifflé une meuf dans la rue, je respecte trop La Femme pour ça.
« Tu généralises, moi par exemple, je », c’est une réponse extrêmement fréquente qui me laisse souvent un peu démunie, parce que je comprends pas le concept. D’où un truc qui t’arrive pas à toi, du coup, n’arrive pas aux autres non plus ? Je ne peux que constater que pour certain.es (#ÉcritureInclusiveDeComplaisance), ça sonne valide. Donc dans un souci de pédagogie, et de sacrifice un peu aussi (au cas où le karma, toussa), prenons cette idée au sérieux, et c’est parti mon kiki pour quelques fondamentaux.
Que toi aussi ou pas, on s’en fout
On va ouvrir avec la base de la base : le monde, c’est pas juste ton monde. En fait si on se concentrait sur les gens qui ne se sentent pas concernés (les femmes qui n’ont jamais été harcelées en rue, par exemple, ou les mecs qui n’ont jamais violé personne, eux), on passerait juste notre temps à dire « waouw, génial, c’est trop cool pour toi » ce qui, tu peux l’admettre, passe un peu à côté du propos stu veux. Donc j’te parle pas des gens à qui ça n’arrive pas (WHY WOULD I DO THAT ? C’est littéralement un non-sujet), je te parle des personnes à qui ça arrive, des situations problématiques, des espaces et comportements qui sont sexistes.
Ou alors tu crées en parallèle un « autosatisfaction club » où on s’auto-congratule sur comment on est trop des gens bien et sans problème, ça c’est possible, mais si tu l’appelles « féminisme » aussi, avoue que ça va vite être le bordel. Si tu as besoin de te rassurer sur le fait que #NotAllMen, t’as pas besoin d’une féministe : t’es un grand garçon, demande-toi à toi-même si tu fais partie du problème, réponds-y avec plus ou moins d’honnêteté, et laisse les gens causer dudit problème qu’ils tentaient de dénoncer avant que tu viennes leur demander un câlin et un cookie.
Ça ne te touche pas, parce que ça ne te touche pas
#TautologieDeLaVie, tu occupes une position sociale spécifique qui fait que certaines choses t’échappent, par définition. Mais c’est pas grave hein. Mais par contre c’est vrai. Un exemple ? En tant qu’homme, tu ne peux qu’être peu/pas conscient du harcèlement de rue, comme c’est précisément un type d’agression dont on te dit qu’il s’adresse principalement aux femmes. Tu le vois le biais gros comme une poutre là ? Laisse-moi t’aider à formuler la frustration qui t’envahit présentement : « Les femmes aussi hein, elles sifflent dans la rue, j’ai vu une vidéo, et même que moi si ça m’arrivait je serais flatté ». C’est à peu près ça ? Si oui, félicitations, c’est une autre case du bingo ! (Yay !) Je m’y attellerai une autre fois, promis.
One-way objectivité
Comme chétoicépacomça, tu me demandes de ne pas généraliser mon propos en me demandant de généraliser ta propre situation. You see the argument fallacieux ? De plus, bien souvent, mon argument se base sur des données objectives (des statistiques, par exemple), le tien s’appuie sur ton ressenti, ta perception des choses, par définition subjective. Ce qui rend les choses très tricky, car ta subjectivité est alors utilisée pour me montrer que ce que je dénonce comme étant sexiste n’est pas objectif : soit tu ne me crois pas (parce que tu n’as jamais assisté/été concerné par ce que je dénonce), soit tu me crois mais tu considères très probable l’éventualité que j’exagère (pour la même raison).
Et je me retrouve à devoir démonter tous les aspects de mon raisonnement, pour te montrer qu’il est logique et ancré dans une réalité objective, tandis que tu n’appliques à aucun moment les mêmes standards à ton côté de l’argumentation. Est-ce que ce serait pas un p’tit peu gonflé quand même de décider tout seul comme un grand, toi qui prônes l’objectivité et la rationalité comme une religion (non-dogmatique, tu n’es pas dupe), que les tas d’études, de thèses, de rapports officiels, d’articles et d’enquêtes qui tirent toutes les mêmes conclusions, ont juste tort parce que toi tu vides le lave-vaisselle ?
La poutre, la paille, l’oeil de ton prochain, tout ça
Petit jeu rigolo : tu trouves un mec hétéro en couple, tu lui parles de répartition des tâches ménagères et de charge mentale, et tu le regardes essayer de placer que dans son couple « c’est pas un problème », « on fait super gaffe », « c’est assez bien réparti », ou alors « juste quand la situation fait que, là peut-être ok, mais globalement » il trouve pas que c’est inégal. Ça rate jamais (hé, détendez-vous hein les mecs, c’est une blague. Hé, humour hein. Mais sérieusement, essayez et partagez les résultats, c’est fascinant).
En gros, y’a une inégalité objectivée, mais c’est la faute de personne. Et ça mes p’tits choux, c’est ce qu’on appelle un magnifique biais cognitif. C’est-à-dire qqch qui nous empêche de traiter une info de façon logique. Et fun fact about les biais cognitifs : ils sont généralement inconscients. C’est ballot. Donc je ne doute pas une seconde que tu aies l’impression pour du vrai de vrai que les féministes exagèrent (en vrai je doute, mais j’essaye de t’amadouer attention). Par contre si tu veux comprendre mon propos, il va falloir faire l’effort, activement, d’essayer de voir tes biais. De te décentrer. Que tu sois le centre de ton monde, je te le souhaite. Mais il va falloir réaliser que tu n’es pas le centre du monde de TOUT le monde. Que ta perception est forcément biaisée. Et c’est pas grave, c’est juste comme ça.
Serre les dents et ferme ta gueule
Une fois qu’on a admis que PEUT-ÊTRE on n’est pas au-dessus du lot, aka la seule personne qui a gagné à la vie et qui est innocente de tout biais, il va s’agir de bien prendre sur soi, de diminuer le volume de son assertivité habituelle, et de fermer sa grande gueule. Et ça c’est plus compliqué pour certain.es que pour d’autres. Typiquement, au plus ta position sociale fait que ce que tu dis est généralement pris au sérieux, au plus tu vas en chier à cette étape-là. Donc je dis ça sans aucun sarcasme : c’est difficile, en vrai, de juste se taire, écouter jusqu’au bout et considérer que ce qui est dit traduit peut-être une réalité qui me dépasse. Je ne suis pas une grande distributrice de gommettes, mais je suis sincèrement impressionnée par toute personne qui s’y frotte. Je tente de le faire aussi, et ça pique. C’est difficile d’entendre que l’expérience de l’autre existe, même si elle n’est pas dans notre champ de vision. Mais il se trouve que c’est non seulement possible, mais aussi la base du respect. C’est fou hein, la vie.
Pourquoi qu’on t’a jamais expliqué ça calmement
Si tu perçois de la condescendance chez ton interlocuteur.rice après avoir dégainé un « tu généralises, moi par exemple je », il est tout à fait plausible qu’il s’agisse en fait d’une insondable lassitude. Celle qui oblige, quand on défend une position féministe (ou toute autre position radicale pour le coup), à systématiquement devoir mettre une quantité d’énergie conséquente à reconstruire chez l’interlocteur.rice des bases d’empathie, de décentrement et d’écoute (dont cette personne fait souvent preuve par ailleurs, pour des sujets plus proches d’elle), avant même de pouvoir entrouvrir la possibilité de commencer à penser à énoncer le début d’un argument féministe. C’est fatigant, t’as pas idée.
C’est cool que t’aies tout lu, bisous.
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