[Temps de lecture: « I will always love you » version Whitney]
Y’a une place spéciale en enfer (c’est une expression, détends-toi) pour les gens qui ont toutes les cartes en main pour comprendre la situation et ses conséquences sur des gens qui ne sont pas elleux, et qui choisissent (car il s’agit bien à ce stade d’un choix) d’en tirer des conclusions erronées. Parlons du confort de ton « pas d’amalgames », veux-tu?
Quand tu défends une position féministe (et plus largement militante), tu fais face à toute une série de personnes plus ou moins bien intentionnées qui viennent te donner leur avis non-sollicité, souvent avec bienveillance, humilité et une redoutable lucidité intellectuelle (nan, j’déconne, disons que si la condescendance était monnayable, Jeff Bezos could kiss my ass). Mais je crois que les plus épuisant.es, car les plus fourbes, ce sont celleux qui veulent bien faire fonctionner leur cerveau tant que c’est pour essayer de démonter ton argumentation (oh chaton…), mais perdent toute faculté cognitive dès que ladite argumentation parle de leurs privilèges ; celleux qui prétendent adorer l’Art du Débat mais « agree to disagree » dès qu’il s’agit de se remettre un poil en question, de peur de changer d’avis ; celleux qui te donnent raison avec toute la condescendance de circonstance sur certains points mais se gardent bien de laisser ces quelques points entacher leurs immaculées certitudes.
Ces personnes (t’as vu comment je fais bien attention à pas genrer ? Sinon on va encore dire que je déteste les mecs et tout) me semblent particulièrement dangereuses car elles prétendent être du côté progressiste de la lutte et bénéficient largement de cette illusion, tout en pompant aux concerné.es un temps et une énergie précieuses (accord de proximité, deal with it) alors qu’elles détricotent en backstage ce qu’elles affirment soutenir à qui veut bien l’entendre. Fourbes, jte dis. Je te parle pas d’ignorance, ce luxe de privilégié.e, dont je bénéficie aussi, et qui fait lamentablement écho au luxe de « ne pas être politisé.e », « ne pas être intéressé.e par ces questions », comme si cet intérêt que plein vivent dans leur chair relevait d’un hobby. Je te parle parle pas d’ignorance, je te parle d’ignorance sélective. Je te parle de s’intéresser au débat de façon parfaitement mesurée : placer le curseur exactement entre l’apitoiement de bon aloi et le renforcement de ses propres privilèges. Que ce soit par connarditude, par paresse ou par négligence ne change pas grand-chose au résultat.

Je vois et j’entends pleuvoir des commentaires d’une incohérence déconcertante, qui s’émeuvent sur les articles de presse relatant les actes violents de la police, tout en condamnant « Les Amalgames ». Cette situation fucking incongrue où une même personne peut être stupéfaite à répétition du même événement, sans jamais conclure que la répétition dévoile une tendance. En Belgique (les Français.es j’vous vois – ouais j’ai des statistiques moi – et je sais que vous avez laaargement la matière pour faire le parallèle avec ce qui se passe chez vous) dès qu’on sort un article sur le sexisme dans la police, c’est la consternation. QU’ENTENDS-JE ? La police serait sexiste ? L’ahurissement face à un récit, un parcours, un témoignage, une femme courageuse qui relate des événements sordides. Puis plus rien, jusqu’au prochain article, où bim, re-stupéfaction.
Qu’entends-je ? La police serait raciste ? Loin de moi l’idée de tracer un parfait parallèle entre la réception du sexisme et du racisme de ces récits, ce serait simplement fallacieux. On sait très bien que les occurrences racistes sont accueillies avec leur lot bien particulier de suspicion pour les victimes et d’indulgence pour les bourreaux (indulgence qui tend le plus souvent vers l’impunité). Ce que je veux mettre en lumière ici, c’est la similarité de l’hypocrisie face à la récurrence de la violence policière. C’est l’indécence crasse qui consiste à s’effarer 100x comme si c’était la première fois. À rappeler que « faire des amalgames » c’est pas très très gentil pour les policiers même si l’amalgame d’autres groupes est visiblement tout à fait legit. À trouver que condamner une institution qui manifestement ne fonctionne pas revient à attiser la haine, à créer des camps, à diviser la société (qui, par ailleurs, se porte très très bien merci).
Il te faut quoi en fait pour commencer à décider que la multitude de cas isolés qui te chagrinent individuellement correspond en fait à un système qui, entre autres choses, autorise l’institution de la police à être violente, raciste et sexiste ? À quel moment tu seras convaincu.e qu’il y a un problème avec l’institution qu’est la police ? Parce qu’à ce stade, voir cette oppression comme étant systémique n’est pas une opinion. C’est un fait, que tu choisis activement de ne pas intégrer à ton raisonnement. Le fait que tu trouves sympa certains individus qui font partie de la police, ou le fait que chaque individu appartenant à la police n’ait pas personnellement violenté quelqu’un.e n’est simplement pas une information pertinente dans ce cadre. Je sais que c’est difficile à entendre du haut de ses privilèges, mais j’ai bien peur qu’on s’en foute.
Toutes les informations sont disponibles pour que tu réalises que la police en tant qu’institution, donc au-delà des individus qui la composent, est fucking problématique. Uniquement durant le lockdown, Police Watch recense 76 occurrences liées à la brutalité policière. La coordinatrice de Police Watch estime que « le racisme est un facteur majeur » de la brutalité policière. La Ligue des Droits de l’Homme confirme que le profilage ethnique est bien une technique utilisée par la police. Unia sort régulièrement un rapport sur les questions de discriminations au sein de la police. L’activiste Wu-tangu liste ici plusieurs décès liés à la violence policière (et des ressources, et des hashtags pour supporter l’activisme online et offline, btw). La diaspora chuchote fait ici le point pendant 2 heures sur la violence policière en Belgique. C’est bon, on est tou.te.s prêt.es à admettre que c’est pas par manque de preuves que tu veux pas le reconnaître ?
En ramenant systématiquement la consternante non-pertinence de ton #NotAllPoliciers, qui équivaut à parler d’individus quand on te parle de système, tu détournes purement et simplement le débat. On te parle d’oppression systémique, tu réponds en mode kamoulox. Comme Wilmès, comme certains de ses ministres, comme fucking RTL. Tu veux être RTL, REALLY ? Tu réalises l’indécence? On te parle de personnes qui meurent aux mains de celleux qui doivent les protéger, et tu réponds « y’en a des bien »?! On te parle d’une institution qui montre encore, et encore, et encore, qu’elle autorise le maintien d’une culture à gerber, et tu réponds « j’entends, mais attention aux amalgames »? Je répète: tu réalises l’indécence?! Tu réalises à quel point ta tiédeur est ridicule?
Si c’est important d’accepter le caractère systémique de la violence policière, c’est aussi parce qu’elle est un des milliers de fils qu’on peut tirer pour dévoiler le système profondément inégalitaire dans lequel on vit (parce que raciste, sexiste, homophobe, validiste, capitaliste, impérialiste…).
Enfin bon, tsais quoi moi je m’énerve et je roule des yeux là, mais en vrai je dis ça surtout pour toi tu vois. Pendant que tu fais bien attention à reprendre systématiquement le débat au tout début, les choses sont en mouvement, bougent, changent, avancent, et vont pas attendre que tu sois d’accord stu veux.
One thought on “D’où tu sais réfléchir sauf pour tirer des conclusions ?”
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