On a un gouvernement dis donc! Et pour fêter ça, le quotidien belge Le Soir titre : « Gouvernement fédéral: des jeunes, des femmes, des néophytes – un casting insolite ». Mais nous rassure en chapeau: « Cela s’explique ». Ouf que ça s’explique. Encore un peu ça s’expliquait pas. Mais non, ça s’explique.
Bon, je serai brève parce que j’ai du Alice Coffin à terminer, et qu’en fait ça m’épuise d’écrire là-dessus. Et je sais que la presse s’en fout. Et je sais que ça révolutionnera rien. Mais j’ai envie de le souligner comme un réflexe, à force d’entendre qu’on en fait des caisses pour rien. Comme un « bah si, vous voyez, quelque chose, encore ». Puis après faut convaincre que c’est un « quelque chose » qui vaut la peine et tout, pfff, fatchiiigue.
Et aussi parce que c’est mon amie Chloé qui m’a envoyé le lien, avec en commentaire énervé/ironique, « Mais où va le monde?! D’où qu’ils sont les hommes matures qui savent vraiment gérer un pays? Manquerait plus qu’il y ait un noir. » Et ça m’a fait rire. De détresse certes, mais tsais bien. Et je me suis dit que si mes potes commençaient à m’envoyer des punchlines, je pouvais bien en tirer un article.
La politique en non-mixité choisie

Bon, pourquoi ce titre est-il problématique ? Après tout, n’est-il pas effectivement « insolite » de trouver tant de diversité dans un gouvernement ? C’est pas pour ça que les féministes vous font chier justement toutes les semaines ? Oui, alors justement. Ce titre articule parfaitement les deux facettes du problème que constitue l’invisibilisation des femmes en politique.
D’une part, les femmes politiques disparaissent comme l’oxygène à mesure que l’on monte en altitude, d’autre part la cause et le symptôme de cette invisibilisation (on est bien dans ce genre de souci cyclique dans lequel on ne sait plus où est la tête, où est la queue. Comme tant d’hommes me direz-vous, mais ne nous égarons pas), c’est que la politique n’est pas un endroit où il est normal de voir réussir des femmes.
Il ne s’agit pas de m’insurger contre une célébration de la diversité à laquelle on aspire. Mais ne me dites pas qu’il s’agissait de se réjouir, alors que le lexique choisi tient surtout de l’étonnement (on parle d' »insolite », de « casting étonn[ant] », de « surprise ») . On est bien moins dans le « oh cool ! » ou le « enfin ! » que dans le « so weird… ». Étranges, les femmes en politiques. Étrangères. En pays que le masculin pensait pourtant conquis.
Mais t’inquiète hein, l’article nous rassure très vite : De Croo a écrit un livre sur le sujet. Le sujet de la fâmme, je veux dire. Et donc, « il faut bien dire qu’[il] était attendu au tournant ». OK on peut respirer, y’a une raison rationnelle à tout ça. Une explication. N’allez donc pas croire non plus qu’elles aient quelque chose à foutre là.
Trouver qu’on exagère en nous citant vos trois exemples et demi de femmes cheffes d’État dès qu’on parle d’invisibilisation, et en même temps traiter systématiquement les femmes comme exotiques dans la sphère politique, y’a un moment ça va commencer à se voir.
« La femme », cette adorable incompétente
Ensuite, et pour enfoncer le clou, il y a ce pernicieux amalgame du titre : femmes, jeunes, néophytes. En plus de la condescendance du « mais qu’est-ce que ces gens foutent là ? Regardez comme iels sont pas à leur place », une épaisse couche d’infantilisation consiste à mettre tout le monde, femmes incluses, dans le même sac, étiqueté « inexpérimenté·es », sur qui plane, comme le confirme l’article, le lourd soupçon de l’incompétence. Le sac de celleux qui vont devoir faire leurs preuves.
Le paragraphe traitant de cette inexpérience ne se gêne d’ailleurs pas pour mêler nouvelle diversité et inexpérience : « Une nouvelle génération également, représentative de la diversité du pays, […] qui devra faire ses preuves. Car le revers de la médaille, c’est l’inexpérience de plus d’un ministre ou secrétaire d’Etat. » Là encore, votre réjouissance sonne étrangement comme de la bonne vieille méfiance.
Genre ouais, les nouveaux c’est bien, mais on sait pas ce qu’ils valent, alors que les AUTRES, les anciens, les vétérans, les normaux, *cough* les hommes blancs *cough*. Excusez, chat dans la gorge, je disais donc : LES HOMMES BLANCS CIS PRIVILÉGIÉS. Eux on sait. Eux ils ont fait leurs preuves, regarde la crise sanitaire. Ah ouais non, on s’est mal compris·es, on voulait pas dire qu’il fallait que les preuves soient probantes en positif hein. Enfin sauf pour les nouveaux, qui avaient qu’à être là avant.
Étonnement sélectif
Je m’étonne, enfin, que le caractère « insolite » du gouvernement Vivaldi, porte sur la diversité de son inexpérience, alors que tant de choses me semblent autrement surprenantes. Je répète, il me semble crucial de mesurer l’avancée de la cause, en comptant les minorités pour les célébrer ou en déplorer le nombre. Ce que cet article ne fait pas. Il s’effare, avec quelques décennies de retard, que quelques femmes aient voix au chapitre dans les sphères de pouvoir.
Et le fait que ce gouvernement ainsi créé poursuive de nombreuses dynasties belges, j’sais pas, ça t’étonne pas ? On réfléchit une seconde à ce qu’une meuf se prendrait dans la gueule, notamment en termes de soupçons d’incompétence, si elle était si limpidement la fille de, sœur de, cousine au troisième degré de, voisine-il-y-a-deux-ans-mais-la-collusion-est-évidente de ?
Et si la meuf en question était non-blanche? Et si la meuf en question était non-valide? Et si la meuf en question était non-binaire? Je suis désolée de n’envisager ces personnes imaginaires qu’en rapport à la norme, mais c’est précisément cette norme invisible, so-called neutre, so-called universelle, qu’il me parait urgent de mettre à jour. Cette norme précisément, comme rempart à l’étonnement. Qui autorise tout, là où l’existence même, la présence même de son contraire est insolite.
Mais nan, on va pas développer ce point là Jean-Mich, on a plus le temps. Et le fait que le gouvernement se soit créé sur l’enfouissement du projet de loi assouplissant les conditions d’accès à l’IVG en Belgique ? Et le fait que le gouvernement si diversifié soit plutôt très blanc ? Enfin je sais pas, y’a un tas d’autres choses qui me sidèrent quant à la composition de ce gouvernement, qui nous auraient épargné un « holala regarde, des femmes, c’est ouf ! »
Remettez-vous, on est là. On est partout. Quittez donc votre état de sidération, et réjouissez-vous bordel de cul.
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