D’où la meilleure façon de dénoncer un système d’oppression serait de ne pas en parler. Du tout. Comme ça on est sûr.

La youtubeuse Charlie Danger a commis l’irréparable en osant poster une vidéo qui parle que de femmes. Et pas d’hommes. Comme ça, tranquille, elle nous parle de la moitié de l’humanité sans se soucier de l’autre. Non mais ça va pas bien la tête?

Charlie Danger, en plus d’avoir le nom le plus classe du monde, officie sur le YouTube avec ses excellentes vidéos de vulgarisation d’histoire et d’archéologie sur sa chaîne Les Revues du Monde. Elle s’était déjà pris une grosse vague de merde pour avoir abordé de façon pourtant bien paisible les injonctions à la beauté. (Petit rappel en passant: les vagues des merde, c’est pas 2-3 peys pas gentils qui disent que le contenu est naze. On parle notamment d’insultes, de menaces de viol et de mort. Quotidiennes. Pour avoir parlé de poils. Prends la mesure).

Sa dernière vidéo toute fraîche s’intitule “ça ressemblait à quoi le sport féminin y’a 1000 ans”. Donc ça parle des femmes. Pas des hommes. Et visiblement ça mérite de s’en désintéresser sous prétexte de militantisme abusif. Elle l’explique très bien dans son thread: “on considère que l’histoire des hommes, c’est la VRAIE Histoire, mais celle des femmes c’est du féminisme/du militantisme” et ça justifie des désabonnements.

Comment se fait-il qu’il faille se défendre de parler des femmes ? On va où là ? Je rappelle au passage que les récits non-mixtes concernant exclusivement les hommes (pardon, l’Homme, parce que apparemment avec une majuscule on peut plus bouder) sont légion. Partout. Tout le temps. En mode coucou nous c’est le Neutre donc on vous englobe, booyah. Ça a pris le travail minutieux de chercheuses assidues pour rappeler que ah oui, by the way, y’avait des meufs aussi à différentes époques, qui faisaient des trucs tsais.

Injonction au chuchotement

Passée l’irritation de devoir se défendre d’être militante, pour moi, ça soulève une série de questions dont je vous ferai grâce car c’est le Walibi des « wtf is wrong with those people » dans ma tête à ce stade, mais aussi une question dont je vous ferai trop pas grâce parce qu’elle me démange beaucoup : c’est quoi la bonne façon de vous parler des gens qui sont pas des mecs cis blancs en fait ? Non parce que le scope n’arrête pas de rétrécir, et ça commence à donner vaguement l’impression que le problème n’est même plus le sujet dont on parle, mais le fait qu’on parle, tout court. Nan mais c’est une impression, j’te juge pas, j’te dis de quoi t’as l’air, stou, c’est pas méchant.

Résumons. Quand on vous parle des discriminations, violences et autre farandoles auxquelles nous confrontent les systèmes d’oppression, on peut pas être fâché·e, sinon on décrédibilise la cause ; on peut pas aborder le rôle des hommes dans ce merdier, sinon on est agressif·ve ; on peut pas mettre des récits de femmes en avant, sinon on est excluant·e ; visiblement maintenant c’est plus sur la liste non plus de pouvoir juste *mentionner* des récits de femmes. Il nous reste quoi en fait ? Parler de nous en position de victimes, ça vous va ? Mais alors en prenant bien garde de pas oublier de mentionner systématiquement que les hommes souffrent, aussi, tout pareil, larmichette appréciée.

Je veux dire, c’est quoi le ton qui vous comblerait en fait ? Celui qui vous donne pas l’impression qu’on est aigri·e, hystérique, revanchard·e, ou menaçant·e ? Parce que vu d’ici, on dirait assez basiquement que la façon idéale pour que vous entendiez ce qu’on dit, c’est précisément la façon qui permet de ne rien changer d’un iota dis donc. Tu sais, celle où on ASMR nos oppressions, où on vous dit que vous n’y êtes pour rien, qu’on dit ça en passant, qu’on change de sujet quand tu veux, et qu’on ne vous reprend pas sur vos arguments boiteux parce qu’au final tous-les-arguments-ne-se-valent-ils-pas-et-tout-ça-n’est-qu’une-question-d’opinion-hihi. Ce qui vous arrange au plus haut point, c’est qu’on vous présente tout ça dans un joli package qui vous donne l’impression d’être si progressistes d’aborder ces sujets, mais ne vous met pas mal à l’aise, ne vous dérange pas.

It’s not me, it’s you

Seulement voilà : tu ne peux pas honnêtement accepter de parler d’un système d’oppression, ou de l’une de ses manifestations, sans être dérangé. Ça tient de l’oxymore, ton truc. Comment veux-tu qu’on te parle de trucs qui sont pas dans le bon ordre sans déranger ? Comment veux-tu qu’on te parle sans déranger ton ordre d’un système dont tu as l’impression diffuse, correcte, et pas très agréable de profiter toi-même ? Et euh… oui. C’est plutôt malaisant, je te l’accorde. En tant que blanche cis hétéro, boy do I know the feeling.

Mais l’erreur consiste à attribuer la source de cet inconfort à la personne qui tient les propos, plutôt qu’à ce que les propos révèlent. À penser que cet inconfort résulte d’une sorte d’intention machiavélique collective des féministes qui veulent que les mecs en chient un max, parce que ça, ça va bien nous faire avancer. Penser que ce sont les féministes qui se branlent sur l’idée de te mettre mal à l’aise, plutôt qu’imaginer que ta seule position dans le patriarcat peut suffire à le faire.

Je te laisse quelques secondes pour t’enduire de cette bien belle idée. Puis quand c’est fait, va falloir commencer à être rudement clair avec toi-même, parce que l’inconfort il est là, il va nulle part. Donc soit tu réalises que tu le supportes pas, tu dégages de mon blog et de nos luttes, pi va falloir gentiment arrêter de se faire mousser le cul et aller brûler ton T-shirt « This is what a feminist looks like » ; soit va falloir apprendre à prendre sur toi, chaton. Et prendre sur toi, en vrai, ça veut juste dire arrêter d’être outré dès que les Méchontes Féministes elles disent des trucs qui picotent ton égo là où il est jamais picoté.

Laissez-vous picoter l’égo, merde, vous allez pas en crever. Nous, si. Tous les jours.

Pour me soutenir avec tes sous, des fois que tu trouverais ça bon: welcome to mon Tipeee (merciii!)

One thought on “D’où la meilleure façon de dénoncer un système d’oppression serait de ne pas en parler. Du tout. Comme ça on est sûr.

  1. Enfin bon quand tu dis « nous, si » c’est de l’emphase… Toi tu crèves de rien a priori. Tu as un compagnon violent ? Un ex qui te menace ? A te lire, j’ai l’impression que tu as un sacré accès à la légitimité médiatique et académique.
    Probablement qu’en fait tu te bats pour d’autres et tant mieux.
    Sans doute que de savoir à quel point tu as souffert est sans importance pour apprécier la qualité de ton propos… C’est vrai aussi.
    Pourtant ça à l’air d’être un important critère de légitimité à tes yeux…

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