D’où c’est toujours les mêmes qui décident?

Petit point haleine-fraîcheur sur la non-mixité de fait dans les espaces de décision. Après le 422è conseil de concertation Covid entre mecs blancs, je vous invite à venir chercher votre dignité à l’accueil et à prendre note au passage des points suivants.

1. L’hypocrisie qui veut que ça chiale à la censure, l’exclusion, le cétropadujeu, voire l’anti-constitutionnalité pour les plus chauds, dès qu’il s’agit de réunions en non-mixité de minorités, mais ça se réunit sans voir le problème et à tout-va entre mâles cis blancs riches partout et tout le temps sans lever un sourcil.

2. La perception que cela révèle, que les femmes, les personnes trans, racisées, pauvres, etc. sont toustes des variations, des cas particuliers du prototype que serait l’homme cis blanc.

3. Le renforcement que cela implique en retour, de l’impression que les hommes cis blancs sont le summum de la neutralité, de la rationalité, de l’intellect, dénués de biais, qu’ils sont l’universel et peuvent donc de façon efficace et juste représenter le reste de la population, et parler en son nom. Pour le dire autrement: alors qu’on a du mal à comprendre pourquoi une femme voilée nous parle d’autre chose que de son voile, ou qu’on part du principe qu’une femme ne peut qu’être subjective sur des questions de genre (ou de famille, ou que sais-je), les hommes cis blancs sont perçus comme objectifs et donc légitimes par défaut sur la totalité des sujets. Dans le genre pratique.

4. La différence majeure entre les réunions qui provoquent des haut-le-coeur chez les plus privilégié·es d’entre nous, et les réunions d’hommes cis blancs comme celle du comité de concertation (et toutes les autres) qui sont bien souvent des espaces décisionnaires, qui prennent des mesures impliquant d’autres personnes qu’eux-mêmes, et ont un pouvoir d’organisation de la société. Je fais le parallèle entre ces deux types de non-mixité parce que l’hypocrisie est criante dans la comparaison, mais ils n’ont en fait rien à voir: l’un a le pouvoir d’organiser la société, l’autre organise sa survie dans cette même société.

5. La naïveté (disons…) qui consiste à penser que les réunions annoncées en non-mixité sont injustes car excluantes, tandis que celles qui ne sont qu’implicitement non-mixtes ne présentent aucune règle empêchant l’accès à ces fonctions (regarde, d’ailleurs, la-seule-femme-à-qui-je-peux-penser-et-qui-est-bien-souvent-soit-la-première-soit-la-seule-mais-ça-n’est-pas-la-question, elle y est bien arrivée, elle). L’idée serait donc de noter qu’il se trouve juste que les espaces de décision (en politique ou en entreprise par exemple) sont majoritairement, ou exclusivement, occupés par des hommes, par des blanc·hes, par des riches, mais qu’il est préférable de faire comme si c’était le hasard qui s’acharnait. De faire comme si les règles du jeu étaient les mêmes pour toustes, sans se préoccuper ni tirer de conclusions quant au fait qu’en bout de course tiens, c’est fou ça, c’est toujours les mêmes qu’on retrouve.

Je sais pas pour toi, mais il serait, à mon humble avis, de bon ton de s’étouffer d’étonnement quant au fait que les hommes cis blancs sont bien souvent les seuls représentants, et donc représentés. I mean, d’où ? Et la réponse est toujours la même : le sexisme, le racisme et le classisme ne sont pas des inégalités ponctuelles, mais bien des systèmes d’oppression, à l’œuvre à chaque niveau de notre société, des institutions qui l’organisent aux interactions interpersonnelles.

Si t’as lu ça comme une liste de courses, franchement je comprends, moi aussi je connais cette phrase par cœur à force de la sortir. Mais c’est parce qu’elle est fucking pertinente, notamment pour expliquer l’énorme majorité que représentent les hommes blancs en situation de pouvoir: à partir du moment où chaque strate de la société joue dans ton sens, où tu avances sans entraves, voire avec des coups de pouce, voire avec des courtes-échelles, voire avec des passe-droits, sans blague que t’arrives dans les espaces qui comptent plus souvent et plus rapidement que les autres.

(Si t’es en ouin-ouin-position-fœtale là, sorry mais je vais pas pouvoir te consoler maintenant sur le fait que dire ça veut pas dire qu’on déteste chaque homme, et sur est-ce que j’ai pas honte de dire ça alors que j’ai un papa, ou que jamais les mecs se cognent l’orteil contre un meuble, nanani nanana, parce que j’ai pas votre temps en fait, et là aujourd’hui j’ai besoin que tout le monde change sa couche tout seul, bande de gros bébés).

Pour le dire autrement, et pour te donner une idée un peu plus concrète des façons dont se manifeste « le système » dans ce cas: si t’as grandi dans la bonne classe (sociale I mean), ça implique bien souvent qu’on t’ait mis·e dans des écoles avec d’autres gens de la bonne classe avec qui tu apprendras la culture au sens large de la bonne classe, tout en n’en ayant probablement pas l’impression. Tes petits camarades de la bonne classe deviendront peut-être tes futur·es ami·es médecins, avocat·es, ministres, CEO…, sur qui tu pourras compter en cas de pépin (flashnews: non, on n’a pas toustes ce réseau). Côtoyer ce milieu depuis tes premières années signifie que tu es non seulement à l’aise dans les milieux de la bonne classe, car ils te sont familiers, mais aussi que tu y sembles d’emblée légitime, de façon relativement indépendante de tes compétences.

Grandir dans la bonne classe signifie aussi que tu ressembles aux gens de ta classe, que tu le cherches ou non, que tu es rapidement identifiable comme appartenant à la bonne classe grâce à ta démarche, tes dents, tes cheveux, ta peau, tes mains, tes vêtements, ton élocution, ton accent. Cette identification fait office de patte blanche, à nouveau que tu le cherches ou non, que tu en sois conscient·e ou non, de sorte que pour trouver un stage, un emploi, un logement, tu bénéficies souvent au minimum 1/d’un réseau (le tien, celui de tes parents, de ta famille, de ton réseau), 2/d’une présentation générale que tu pourras soigner, adapter, mais que tu ne devras pas travailler à rendre moins menaçante, ou plus assertive, ou moins populaire, ou plus acceptable, car tout est y déjà conforme.

Ces facilités engendrent souvent que tu es en mesure de dégager plus de temps pour travailler, même si tu as des enfants, soit parce que la société est parfaitement OK avec l’idée que s’occuper de la maison et des enfants ne t’incombe pas, soit parce que ton salaire t’a permis de déléguer ces tâches à une tierce-personne (de ton réseau ou que tu payes), ce qui te permet également de dégager du temps de repos, que tu passeras éventuellement à pratiquer un sport de ta classe, avec des gens qui te ressemblent et qui viendront étendre encore ton réseau.

Tu comprends ce que je dis? Ce sont tous des avantages avec lesquels certain·es démarrent, et que d’autres doivent essayer d’acquérir par parcelles. Tu le vois le temps gagné? L’énergie conservée? L’estime de toi entretenue? Le confort augmenté? Sachant que là je te parle de quelques exemples, et les plus évidents parce que sinon tu vas me saouler encore plus que d’habitude avec tes « nan mais allô les généralités », t’as pas l’impression que ça devient un peu gonflé de tout miser sur la notion de mérite ? Sur l’idée que « hé, c’est ouvert à tout le monde hein » ? Et dans le prolongement, sur l’idée que « c’est bon, on a une femme », « c’est bon, on a une personne racisée » en mode diversité-caution ?

La seule conclusion sensée c’est que c’est votre non-mixité de fait qui est scandaleuse. C’est votre non-mixité qui ne dit pas son nom, et qui force à se justifier celleux qui souhaitent une bulle temporaire d’entre-soi, parce que tout le temps et partout c’est votre entre-soi à vous qui fait office de norme. Ce qui est odieux, c’est votre non-mixité qui pense parfois que si les privilèges ne sont pas conscients, activement mobilisés pour surpasser les autres, s’ils sont involontaires, ils ne comptent pas. Ou qui pense au contraire que s’ils sont identifiés et récusés, ils n’existent plus, qu’il suffirait de dire à voix haute qu’on méprise ces privilèges pour qu’ils deviennent inopérants (alors que c’est l’inverse qui se passe bien souvent). C’est votre ignorance soigneusement entretenue qui vous fait dire que vous, vous pourriez vous extirper de ce système qui vous donne raison à tous les coups. Alors pourquoi les autres ne le feraient pas?

Ce qui est excluant c’est votre non-mixité qui pense que chacun·e ses armes, que ces privilèges sont des cartes à jouer comme d’autres, qu’il est logique de les utiliser et qu’on n’a pas à s’en excuser, choisissant précieusement de rester sourd·es aux expériences de celleux qui vivent le revers de votre médaille. Votre non-mixité qui refuse d’entendre qu’il ne s’agit pas d’options que vous avez été suffisamment futé·es pour reconnaître, mais bien d’une absence éclatante, d’un vide paisible, d’un rien confortable, dès le premier jour des bien nés, aux endroits mêmes où d’autres rencontreront des embûches.

Votre non-mixité est obscène, alors que dire de vos petites manières outrées comme si on avait tué votre chat, devant la non-mixité de personnes qui ont simplement compris que vos règles ne fonctionnent que pour vous ? Peut-être vous la mettre au cul ?

Je proposerais bien que vous appreniez l’écoute, l’humilité, la solidarité, mais je crains que le problème ne se trouve pas là. Je crains que vous soyez tout à fait capables d’écoute, d’humilité et de solidarité envers celleux qui vous ressemblent, mais que votre problème réside surtout dans le fait que vous ayez au contraire très bien compris comment fonctionne ledit système, que vous n’ayez simplement pas one fuck to give, et qu’il soit insensé de demander aux privilégié·es de se départir de leurs propres privilèges. Mais comment ça tombe bien dis donc : on s’en charge.

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