D’où ta baise, elle est pleine d’erreurs?

Capture d’écran dudit article sur le site de 7sur7

Hier, 7sur7, le site d’actu qui a à coeur de nous « informer avec sérieux sans se prendre au sérieux » s’est effectivement bien payé notre gueule avec son « 8 choses que les femmes ont tendance à faire au lit qui énervent particulièrement nos chéris. Oups… ». Bon, déjà, non, pas « oups », mais « what the actual fuck ».

L’article annonce qu’il s’agira de pointer les « comportements qui peuvent déranger les hommes au lit », à savoir « des choses qu’on fait parfois sans s’en rendre compte, mais qui peuvent gâcher une partie de jambes en l’air ». RIP ma vibe petit bambou, à ce stade, j’ai fait un bruit de chat qui tente de recracher une boule de poils puis j’ai tout lu les dents serrées. Oskour. Viens, on se tape ensemble toute cette catastrophe, puis on respire, puis on se demande ce qu’on en fait.

Les règles qui prennent les femmes pour des buses

Dans la catégorie « La Femme, cette empotée », l’article nous déconseille de « lui proposer de regarder un film porno… et lui reprocher d’apprécier le moment » ou encore de « lui griffer le dos ». La Femme essaye d’avoir des bonnes idées, mais La Femme n’assume pas, et La Femme est une quand même pas mal une chieuse, pendant que Monsieur ne demandait pourtant qu’à se palucher, et elle elle fait rien que le déconcentrer.

Le mieux est de tout miser sur une explication lente et concise à La Femme: « Ces films ont pour simple but de faire monter la température ou de stimuler votre imagination« , ooooh. Griffer son partenaire, « ça lui fait surtout mal« , aaaah. « C’est une pratique qu’on voit souvent dans les films, mais à ne pas reproduire dans la réalité« , mmmmh.

Les règles « l’inconfort c’est ma passion »

L’objectif de ces conseils est que le susmentionné « chéri » bénéficiera de ton inconfort le plus total, pour passer en toute décontraction son petit moment d’extase dont, je te rappelle, tu n’es qu’un instrument. Ainsi, il nous est déconseillé d’être « trop bruyante quand d’autres personnes peuvent nous entendre » au risque de « gêner » chaton qui y perdrait sa concentration. Pas de mention de tête d’orgasme déconcertante ni de grognements d’outre-tombe, étrangement.

Dans le même ordre d’idée, ça les arrangerait aussi qu’on évite surtout d’« aller aux toilettes juste avant l’acte », car ça « casserait l’ambiance ». Donc on part sur moi qui te pisse dessus par surprise plutôt? En termes d’ambi ça dit quoi? Attends donc le mec sait pas se concentrer si je fais un peu trop de bruit, mais moi je dois pas perdre le fil en ayant envie de faire caca. Non, non, bien. Bien bien bien. Dans le genre règles random on, est, bon.

Les règles « oui, mais aussi non »

On arrive bien sûr à ce que la patriarcat produit de meilleur: les injonctions contradictoires, AKA débrouille-toi, AKA t’es obligée de jouer et t’as déjà perdu. Ainsi, il nous est par exemple vivement conseillé d’arrêter de vouloir « éteindre la lumière ».

OK donc, topo rapide : on passe toute notre vie à subir vos injonctions improbables là, qui nous demandent d’être bonne mais pas trop, mince mais avec des formes, maquillée mais pas comme un camion, épilées mais sans que ça fasse trop explicitement prépubère, à être jugées sur la taille de nos seins, la taille de notre cul, la longueur de nos cheveux, la qualité de notre peau, le mou de notre ventre, la circonférence de nos cuisses, ET EN PLUS on est priées de rien mettre en place qui pourrait nous permettre de pas penser à la violence de ces normes au moment où on jouit ?

Pour continuer sur cette belle lancée, et si on arrêtait de « se contenter du missionnaire »? Bah oui, « plus c’est varié, plus les hommes aiment […] En manque d’inspiration? Pourquoi ne pas tenter la position du triangle lumineux ou encore celle de l’union du papillon. » En manque d’inspiration ? Et pourquoi ne pas commencer par lécher ta meuf si t’as tant que ça envie de changer de position ? Ou tenter la position de ma basket dans ta grande bouche pleine de sottises ? Permettez-moi tout de même d’être surprise du nombre de trucs qu’on est censées prendre en charge pour des personnes dont il faut à ce point encadrer la sexualité.

Les règles qui balaient le consentement

OK là on arrive sur le terrain qui non seulement ne me fait pas rire, mais aussi me fait prendre un air comme si j’allais déboulonner ta maison. Et pour cause. L’article suggère aux femmes qu’elles cessent ce comportement visiblement insupportable qui consiste à « attendre que ça se termine », étant donné que « la passivité pendant une partie de jambes en l’air n’a rien de sexy ».

Plus loin, femmes ingrates que nous sommes, nous sommes également encouragées à arrêter de « lui faire comprendre que vous lui faites une faveur ». En effet, l’article poursuit sa mission d’éducation en nous faisant savoir qu' »un homme aime ressentir que vous avez autant envie que lui de faire l’amour. Si vous n’avez pas envie d’une relation intime un soir, soyez honnête et dites-le à votre chéri. D’abord, parce qu’il ne faut jamais se forcer, et ensuite parce que votre chéri sera déçu d’apprendre par la suite que vous n’avez pris aucun plaisir ou que vous l’avez fait juste pour lui faire plaisir.

Chaque mot de cette justification est un désastre. Laisse-moi d’abord être limpide sur un point : bien sûr qu’on baise pour vous faire une faveur. Pas toutes, pas à chaque fois, pas avec chaque partenaire, pas forcément toute sa vie, mais oui, bien sûr que ça arrive. J’ai envie d’dire que se faire pilonner au réveil, la lumière dans ta gueule, sans avoir pu aller pisser avant, en papillon de lumière là, on le fait pour quoi exactement ? Pour nous ? Hahahahahaha, chouchou.

Si tu peux pas encaisser qu’on te suce pour te faire plaisir, 1/le mot que tu cherches, c’est « merci », 2/n’hésite pas à redescendre un peu quant à la grandiosité de ta bite : non, elle est pas incroyable au point que sa proximité nous suffit à crier de plaisir (enfin à gémir assez fort pour que tu entendes la tigresse qui est en moi mais sans déranger les voisins je veux dire). 3/Si t’es déçu parce qu’on n’a pas pris de plaisir, on peut peut-être partir sur une petite remise en question/discussion de si, et comment, t’as effectivement essayé de faire plaisir. Et enfin 4/si t’es déçu d’apprendre par la suite que la meuf avait en fait pas envie, je t’assure que le problème vient de toi.

Parce que ce que sous-entend ce « conseil » est profondément glauque, et particulièrement dangereux. Oui, y’a plein de moments où on prend notre pied, parfois même avec vous, y’a plein de moments où on peut aimer, adorer le sexe, y compris le vôtre, oui ça peut être épanouissant, et joyeux, et jouissif, etc. Mais y’a aussi des moments où on peut baiser littéralement pour faire plaisir à l’autre. Et c’est pas forcément grave. Par contre ça peut l’être. Ça l’est quand le sexe « de politesse » est en fait du sexe parce qu’on n’ose pas dire non, parce qu’on a peur pour sa sécurité, parce qu’on sent qu’il pourrait y avoir un tarif au refus, parce qu’on veut être tranquille…

Du coup, apprendre à distinguer la deuxième situation de la première, c’est pas juste une bonne idée pour être un être humain décent, c’est surtout apprendre à ne pas violer. Parce que ce dont ça cause ici, c’est de consentement. Si la meuf avec qui tu es te dit après coup qu’elle n’avait pas envie, la réaction appropriée n’est pas la déception. La réaction appropriée est une fucking remise en question massive et immédiate de ta façon d’initier le sexe, de ta façon d’écouter la personne avec qui tu veux du sexe, de la considérer comme une personne et non une chose, de ta façon de nier les éléments qui indiquaient que le désir n’était pas là. De la même façon que si t’es avec quelqu’une qui est/semble passive, le problème c’est pas sa passivité, c’est ton choix de continuer sans te/lui demander si tout lui convient.

Ces « conseils », c’est à nouveau mettre la responsabilité sur les mauvaises personnes. C’est prétendre que c’est une question d’ « honnêteté » de notre part. Comme si le problème était qu’on mentait sur notre désir. Tu réalises à quel point c’est fucked up ? Est-ce qu’on peut plutôt parler du fait que moi et un nombre gigantesque de meufs, on a pu constater de première main que dire non et pleurer, ça fait partie des signes que les hommes peuvent se sentir autorisés à ignorer ? On peut parler du fait que le problème est là, et pas dans notre prétendu manque de transparence?

Du coup oui : ça me semble indispensable qu’on apprenne à reconnaître les moments où il y a absence de désir sexuel, et ceux où il y a absence de consentement. On peut être d’accord pour du sexe, pour d’autres raisons que le sexe. Et c’est OK. On peut être d’accord pour du sexe, pour d’autres raisons que son plaisir. Et c’est OK. On peut être d’accord pour du sexe, et finalement pas prendre de plaisir. Et c’est OK. On peut être d’accord pour du sexe, puis plus d’accord. On peut avoir très envie, mais pas être d’accord que ça se passe. La base est que Tout le monde. Soit. Fucking. D’accord.


Bon, pourquoi on s’est tapé toute cette lecture gerbante? Je ne suis pas une grande fan de partager le sexisme pour le plaisir de se rappeler qu’il existe. De partager ce genre d’articles juste pour dire « vous avez vu comment c’est trop sexiste? » On n’a pas besoin de ça, ça plombe le moral et ça appuie où ça fait mal alors que les exemples ponctuent déjà nos journées. En revanche, il me semble essentiel de prendre le temps de commenter ce sexisme, d’en étudier les mécanismes pour mieux l’identifier, même dans l’anodin et le banal d’un article lifestyle de 7sur7. Parce que ça s’immisce partout cette merde, et ça fait partie du concept: faire passer pour normal et ordinaire des éléments qui perpétuent la violence et l’inégalité intrinsèques au système.

Le système résumé en un article

En insistant de cette façon sur l’idée d’hommes et de femmes, l’article participe déjà au merdier patriarcal dans lequel nous nous trouvons. Je précise: le problème n’est pas tant de parler d’hommes et de femmes, mais d’en parler:

1/comme si c’étaient les seules identités acceptables et disponibles, ce qui est factuellement faux (factuellement = ton opinion n’a aucun impact sur le réel, que tu sois d’accord ou pas ne change absolument rien à l’existence d’autres identités de genre);

2/comme s’il s’agissait de deux identités opposées, qu’il faut traiter comme deux ensembles distincts, avec leurs comportements et leurs préférences propres, et régulés par des normes spécifiques. Décider qu’il n’y a que deux cases disponibles, c’est déjà une belle entourloupe, mais en plus tu peux pas vivre ta case comme tu le souhaites: y’a des instructions. Sans ça le patriarcat fonctionne moins bien évidemment, manquerait plus qu’on puisse chacun·e se définir au-delà de ce qu’on a entre les jambes.

3/comme s’il était naturel et non-questionnable que l’un de ces deux groupes ait l’ascendant sur l’autre, étant donné qu’il ne s’agit à aucun moment de s’interroger sur les rapports de pouvoir dans la sexualité, mais précisément d’informer un des deux groupes, et seulement celui-là, de ce qu’il existe des règles qu’il ne suit pas suffisamment, ou pas correctement. Parce qu’un système d’oppression sans oppression, c’est quand même pas mal la loose.

4/comme s’il coulait de source que les deux seules identités reconnues dans l’article s’attiraient automatiquement. Dans le monde de cet article, tous les individus sont sexuels et seule l’hétérosexualité est une réalité. À nouveau, le problème n’est pas tant de parler d’hétérosexualité (en fait si parce qu’on fait que ça, déjà), mais de parler de la spécificité de l’hétérosexualité comme si on parlait de sexualité en général. On voudrait faire semblant que c’est l’unique et donc l’obligatoire option, qu’on ferait tout pareil dis donc.

De cette façon, cet article résume parfaitement le système dans lequel nous nous trouvons: un système binaire, inégal et hétéronormé, et les rapports de pouvoir qui y président, c’est-à-dire la façon dont le pouvoir est distribué et accessible en fonction de la place qu’on occupe au sein de ce système.

Oui mais lézommes aussi

En partant de cela, il devient assez clair que l’un des arguments systématiquement utilisés pour démontrer toute l’ampleur de la bêtise des féministes, à savoir « ouais mais ça existe aussi dans l’aut’ sens hein », ne tient pas la route. Même s’il existe aussi des articles qui racontent aux hommes les comportements à éviter en matière de cul, non, ça n’est pas la même chose, et non ça ne fait pas un partout balle au centre. Car l’un et l’autre article (celui qui parle du groupe « femmes », et celui qui parlerait du groupe « hommes ») ne s’inscrivent simplement pas du même côté du rapport de pouvoir. Faire comme si c’était le cas fausse le raisonnement.

Parce que certes, toutes les règles mentionnées dans cet article pourraient être appliquées à tous les sexes (ce serait pas une bonne nouvelle vu la gueule des règles, mais techniquement ça pourrait). Mais dans le cadre de cet article, elles ne le sont simplement pas, elles s’appliquent exclusivement aux femmes. Aux femmes qui baisent avec des hommes. Aux femmes, qu’on met en garde qu’elles ont le pouvoir de « gâcher une partie de jambes en l’air » si elles ne respectent pas bien les désidératas masculins. Ce genre d’article rappelle aux femmes qu’elles sont soumises à des injonctions jusque dans leur culotte, et rappelle aux hommes qu’ils sont autorisés à avoir des attentes de ce type, et à le faire savoir.

En édictant des règles (particulièrement random) censées cadrer la sexualité des femmes, ce ne sont pas toujours les règles elles-mêmes qui comptent, mais le simple fait de rappeler qu’il y en a. Qu’il ne s’agit pas là d’un espace libre. Que le patron, c’est pas nous. Car qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit évidemment pas ici de règles pour une sexualité épanouie. Rends-toi compte: il s’agit de règles qui, explicitement, favorisent les hommes et leur plaisir, dont il est de bon ton que les femmes se sentent les garantes au détriment de leur propre bien-être.

Ces règles s’appliquent exclusivement aux femmes dans la cadre de cet article, donc, mais aussi plus généralement dans le cadre du « site web belge d’actualités » destiné à « fournir un aperçu le plus complet et honnête de l’actualité » qu’est 7sur7. En fait, 7sur7 qui a publié cet article n’a jamais trouvé que les hommes feraient bien d’éviter des erreurs au pieu. Pas une fois. En revanche, il trouvait déjà en 2009 que les femmes commettaient 15 erreurs classiques avec leur cul (les gourdes), puis encore en 2013, où ils sont revenus aux essentiaux en pointant cette fois 5 erreurs. Les hommes semblent n’avoir aucune erreur à éviter, aucun article traitant de ce sujet ne semble les concerner (recherche Google hein, toi aussi tu peux vérifier si t’es déjà en train de bouder). Ainsi, notre société autorise sans même s’en rendre compte qu’un média qui se veut généraliste trouve bon de rappeler les injonctions aux femmes exclusivement, et régulièrement.

Enfin cet argument du « l’inverse existe aussi et lézommes souffrent » ne tient pas car dans le système qu’on commence un peu à connaître par cœur, les femmes sont dominées, et ça passe notamment (largement) par le rapport au cul. Oui je sais, t’aimes pas trop lire ça. Mais ça change rien. Le rapport des femmes à la sexualité est déjà soumis à un tas d’injonctions. On est sexualisées hyper tôt puis pour la majeure partie de notre vie. On est toujours trop ou trop peu sexuelles. On est constamment évaluées en fonction de notre baisabilité. Le terrain sexuel est un haut-lieu d’injonctions contradictoires particulièrement néfastes pour les femmes. Tout ceci n’existe simplement pas dans la même mesure vis-à-vis des hommes. D’où le petit côté dominant tsais.

Donc pour vos #NotAllMen, je vous invite cordialement à les adresser aux responsables de ce torchon plutôt qu’à moi pour changer. Idem pour vos « alors là je ne comprends pas comment c’est possip' ». Si t’as envie de me dire que toi pas, surtout tu te tais. Je m’en fous. Ce qui m’importe ici c’est que toi et moi, on a grandi dans une société dans laquelle les hommes apprennent qu’ils mettent les règles, et que les femmes les respectent. Que tu aies l’impression d’y participer ou pas n’a aucune espèce d’importance.

Je dis ça, je dis rien (et je le dirai jamais assez), mais un Satisfyer, il s’en fout de ta tête d’orgasme, il veut juste ton bonheur.  

Pour me soutenir avec tes sous, des fois que tu trouverais ça bon: welcome to mon Tipeee (merciii!)

2 réflexions sur “D’où ta baise, elle est pleine d’erreurs?

  1. (Attention chaud devant, fangirl). Merci tellement, t’es ma nouvelle idole. J’aime tes tournures de phrases sulfuriques, tes anglicismes enfin utilisés correctement, ta rage magistrale ô combien partagée et ta passion toute aussi partagée pour Victoire Tuaillon (si j’me la pétais je t’aurais révélé que tu m’as entendue dans le Coeur sur La Table mais j’suis pas comme ça). Tu me donnes envie de danser tous poils dehors et recouverte de larmes de Jean-Cismon, car une plume comme la tienne pour hurler toutes mes aigreurs d’estomac, c’est tellement bon que ça devrait être remboursé par la Sécu. Merci. Puh-leeease, keep up the good work.

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    1. Mais sérieuuux Laurène ❤️ tant de love mais comme ça fait du BIEN ! Je note bien l’anecdote que tu m’aurais révélée s’il s’était agi de crâner (whaaaaat !?) et merci 1000x de me lire, et pour l’egoboost 🔥

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