Will Smith vient de recevoir sa sanction de l’Académie des Oscars: 10 ans d’interdiction de participer à tout événement organisé par leurs soins. Comparons, voulez-vous?
En 1973, John Wayne doit être retenu par 6 hommes de la sécurité pendant la cérémonie des Oscars pour l’empêcher d’atteindre Sacheen Littlefeather sur scène, alors que celle-ci délivre un discours soulignant les mauvais traitements d’Hollywood envers les Native Americans. Aucune sanction de l’Académie, ni à l’époque ni plus tard.
En 2003, Adrien Brody gagne l’Oscar du meilleur acteur pour « The Pianist ». Il embrasse par surprise Halle Berry qui lui remet sa statuette sur scène (clairement contre son gré, ce qu’elle confirmera fermement par la suite). Il ne s’en est pas excusé publiquement. Aucune sanction de l’Académie.
En 2003, Roman Polanski gagne le prix du meilleur réalisateur pour «The Pianist». En 1977, il a lui-même plaidé coupable pour actes sexuels sur mineure (la victime a 13 ans au moment des faits), et est depuis considéré comme fugitif par Interpol, comme il a fui les USA pour éviter la prison. Il est également accusé par onze autres femmes. Il faudra encore 15 ans après son prix pour que les Oscars décident de l’exclure, à 85 ans. Il refuse cette décision et demande qu’elle soit levée, sans succès.
En 2004, Carmine Caridi est le premier membre exclu de l’Académie des Oscars (à 70 ans) pour son implication dans une affaire criminelle d’atteinte aux droits d’auteur (il a aidé à faire circuler sur Internet une soixantaine de copies confidentielles des films qu’il recevait pour évaluation, en tant que membre de l’Académie).
En 2010, 2012 et 2013, David O. Russell est nominé dans la catégorie «meilleur réalisateur», alors qu’il admet (en 2012) avoir agressé sexuellement sa nièce de 19 ans.
En 2013, Michael Fassbender est nominé pour l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, alors qu’il a fait l’objet d’une plainte 3 ans auparavant pour des faits de violence conjugale.
En 2015, Sean Penn remet la stuatuette du meilleur film à Alejandro Gonzalez Inarritu en disant, avant d’annoncer son nom, « who gave this son of a bitch his green card? ». Il refuse de s’excuser sous prétexte qu’il s’agissait d’une blague, malgré le tollé que provoque cette sortie, pointée comme étant raciste. Aucune sanction de l’Académie.
En 2016, Mel Gibson est nominé dans la catégorie « meilleur réalisateur » (son film remportera deux prix cette année-là), alors qu’il a fait l’objet d’une mise à l’épreuve de 3 ans suite à une tirade sexiste et antisémite, et a admis en 2011, avoir frappé son ex-compagne.
En 2017, Kevin Spacey est accusé de viol sur mineur. Il a remporté une statuette en 1995, 1996 et 2000. Aucune réaction officielle de l’Académie.
En 2017, Casey Affleck remporte le prix du meilleur acteur pour « Manchester by the sea », alors qu’il est accusé de harcèlement sexuel.
2017, Harvey Weinstein est exclu de l’Académie des Oscars alors qu’il est accusé par une trentaine de femmes d’agression et harcèlement sexuel, et viol. Il a alors 66 ans.
En 2018, Bill Cosby est exclu à 80 ans de l’Académie des Oscars. Il vient alors d’être reconnu coupable d’agression sexuelle, et accusé par des dizaines d’autres femmes.
Entre 1977 et 2013, Woody Allen a été nominé 24 fois aux Oscars dans diverses catégories (dont 4 remportées). Depuis les années 1990, il est accusé de viol sur sa fille de 7 ans. Aucune réaction officielle de l’Académie.
En 2022, l’Académie accepte la démission spontanée de Will Smith et lui impose en plus une interdiction d’assister aux cérémonies pendant 10 ans, après qu’il ait giflé Chris Rock sur scène. Will Smith, qui a présenté des excuses publiques, dit accepter et respecter cette décision.
Ainsi, l’Académie a déjà vu 1/un cas de violence physique qui aurait eu lieu si la sécurité n’était pas intervenue (par un homme blanc envers une femme racisée); 2/une agression sexuelle sur scène (par un homme blanc envers une femme racisée); 3/des propos racistes tenus sur scène (par un homme envers un homme racisé).
Aucun de ces actes n’a été réprimandé d’une façon ou d’une autre.
Par ailleurs, hormis l’affaire de Will Smith, toutes les sanctions concernent des affaires extrêmement lourdes (quantitativement et qualitativement), criminelles, au sujet de faits répétés, donnant lieu à des poursuites légales, et s’appliquent surtout à des personnes en fin de carrière.
Donc si l’Académie souhaite punir les « comportements inacceptables et néfastes », force est de constater qu’elle choisit soigneusement qui sanctionner, et pour quoi. Pour rappel, en 2012, il est révélé que 94% des votant.es aux Oscars sont blanc.hes (et 77% sont des hommes). Pas plus tard qu’en 2015 et 2016, les VINGT acteurices nommé.es sont blanc.hes.
Ne soyons pas naïf.ves quant à ce deux poids deux mesures. Le choix de bannir ou non, d’appliquer des sanctions ou non, par une institution essentiellement masculine et blanche, aussi visible et structurante du paysage culturel, n’est jamais un hasard. C’est un rappel des règles. Car l’Académie des Oscars promeut des règles qui, comme toutes règles, visent à réguler les comportements. Et l’histoire de l’Académie nous raconte que la règle est la suivante: les personnes racisées sont dispensables et tenu.es à des standards de bonne conduite plus élevés que les hommes blancs. Non, la naïveté n’est pas permise.