D’où tu te la pètes pas ?

Je me la pète pas assez. On se la pète pas assez. Et je soupçonne qu’il y ait un grand complot sociétal à la base de ce manque d’estime pour nos merveilleux accomplissements. Et un impact direct sur nos joyeuses luttes.

Il y a quelques temps j’étais à l’anniversaire de L’Émoustille, la newsletter qui te recommande culturellement que de la meuf brillante dans ta boîte mail. À cette soirée, en plus d’avoir dansé en levant ma bière en faisant « wouuu », je me suis retrouvée plusieurs fois à répondre à la question: « et donc avec D’où? t’as plein d’opportunités, non? ». Et moi de répondre « ah ouais non, pas du tout, ou alors vraiment vite fait, mais majoritairement : pas du tout ».

Puis les jours ont passé. Et je me suis dit « oh bah c’est marrant, j’ai même pas pensé à la fois où on m’a proposé une chronique sur la Première » (radio publique de grande écoute of the kingdom of the Belgium que moi-même j’écoute le matin quand me vient l’idée saugrenue mais néanmoins récurrente d’écouter la radio le matin). Puis un peu plus tard, « ah tiens, j’aurais dû répondre qu’on m’a proposé un portrait dans Le Vif » (hebdo belge de grand lectorat, t’as capté). Puis « mais dis donc, et la fois où j’ai eu une page entière de portrait de moi et D’où? dans le journal », « et le fait qu’on m’a invitée au Parlement pour parler de genre », « et la fois où on m’a invitée au théâtre parce que D’où? a été une des inspirations de la pièce, qui contient même une ligne de dialogue en hommage direct à un de mes textes », « et les fois où des étudiant.es glissent l’air de rien après un cours qu’iels ont lu tel texte de D’où? » et la fois, et la fois, et la fois. C’EST PAS DES OPPORTUNITÉS ÇA PEUT-ÊTRE ?

Alors oui, là j’ai juste l’air d’avoir envie de lister des trucs pour me la péter. Mais tu sais quoi, tant pis en fait. GOOD, même. Tu sais pourquoi? Parce qu’en vrai c’est OK de se la péter de temps en temps et j’vais t’dire : on a de la fameuse marge.

Saved by the méta-analyse

Alors a commencé à me coller cette impression que depuis que je suis toutoute petite, j’ai été élevée par toute la société à avoir moins confiance en moi. Et comme faire uniquement confiance à sa propre expérience est rarement l’idée du siècle quand on veut tirer des conclusions qui dépassent notre petite personne, j’ai posé à cette impression la question qui plie le game : que nous dit La Scionce ? Pour y répondre, je me suis plongée dans la cwème de la cwème : laisse-moi t’introduire au monde fabuleux des méta-analyses.

Les méta-analyses, comme leur nom l’indique, c’est des analyses d’analyses. C’est-à-dire que tu sais, toutes ces études qui sortent pour dire que les chats sont plutôt droitiers ? (Avec de l’argent public, oui, mais reste focus). Une méta-analyse, c’est un texte qui va recenser touuutes les études qu’elle trouve sur le sujet des chats droitiers ou gauchers ou ambidextres, et va faire un genre de méga synthèse des résultats de toutes ces études. Pour dire par exemple, bon les loulous, la majorité des études indiquent que les chats ont plutôt tendance à être droitiers, comme nous, et les chats gauchers sont surtout en Asie (j’invente, c’est pas encore le moment de prendre des notes). Donc les méta-analyses, c’est un peu la jupe à poches de la science.

Maintenant qu’on est d’accord sur la majestuosité de la méta-analyse, je peux t’expliquer ce que j’ai fait : écumer les bases de données en quête de méta-analyses sur les niveaux de confiance en soi, en fonction du genre. Donc que concluent les études une fois qu’elles ont étudié les conclusions d’un très grand nombre d’études scientifiques sur le sujet de la confiance en soi ? Est-ce que j’ai raison de penser que les filles et femmes ont globalement moins d’estime d’elles-mêmes que les hommes et garçons ? Réponse courte : oui. Réponse passionnante : ci-dessous.  

Que dit la Scionce ?

Bon on va tout de suite pilonner dans l’œuf une croyance répandue : non, les femmes n’ont pas moins confiance en elles parce qu’elles sont simplement plus touchées par tout comme des puits sans fond de sensibilité. Ça n’est pas vrai, ce truc-là : les femmes, ne sont pas, plus émotives, que les hommes (comme le confirme cette méta-analyse de quelques centaines d’études, donc si peut-on please passer à autre chose).

Ensuite, j’ai trouvé deux méta-analyses très intéressante. La première en matière de confiance en soi dite ‘globale’, donc ce genre de sentiment général d’estime de soi-même. On va pas tourner autour de la poterie : sur ce point-là, les études concluent globalement à un avantage aux hommes, qui ont donc plus confiance en eux (avantage « léger mais significatif »).

La deuxième méta-analyse part du constat de la première et se dit OK, mais confiance en soi ‘globale’ ça comprend beaucoup de paramètres, on va voir ce que ça donne quand on isole lesdits paramètres un par un : y a-t-il des différences en termes de genre toujours « légères mais significatives », ou plus de différences du tout, ou de plus grandes différences, etc. ? Trouvons donc plein d’études (115 pour le coup) sur plein d’aspects de la confiance en soi qui incluent la variable ‘genre’, et analysons-les, se sont donc dit les 5 chercheuses qui ont écrit cette méta-analyse. Elles ont alors établi 10 catégories de la confiance en soi.

Si le détail ne t’intéresse pas, je te donne déjà la conclusion générale : sur les dix paramètres étudiés, seuls deux voient les femmes en avantage d’estime de soi. Tous les autres sont soit (estimés) nuls, soit donnent l’avantage aux hommes. Donc oui, à l’échelle de la société entière, les filles et femmes ont moins confiance en elles.

Clair avantage masculin

Le pire, c’est sur le paramètre « apparence ». Oh mon DIEU, oh surprise, oh choc, oh stupéfaction, oh tiens mon verre que je tourrrnoie de l’œil de tout cet ahurissement : les garçons et les hommes ont largement l’avantage en termes de confiance en leur propre apparence.

Ah bah ça c’est étrange dis donc, tu veux dire que voir des meufs ultra biches all day long pour me vendre des piles, une assurance et du vin rouge, ça n’a pas un impact positif sur ma perception de moi-même ? Tu veux dire qu’avoir son taux de bonassitude estimé régulièrement par des random dudes (collègues, partenaires, frères, pères, quidam en rue) ne me fait pas me sentir extrêmement bien à propos de mon corps ? Tu veux dire que le fait qu’on dise aux petits garçons qu’ils sont courageux et aux petites filles qu’elles sont jolies ne leur permet pas de s’extirper de ces rôles pré-établis ? J’EN TOMBE DE MA CHAISE.

Les filles devenues ados voient leur estime d’elles-mêmes à cet égard diminuer, tandis que celle des garçons devenus ados augmente, ou se maintient. Et cette tendance se poursuit à l’âge adulte, aka en grande majorité, on met un temps pas poss à se trouver bien physiquement (perso j’estime avoir glow up à 28 ans, how’s that for a tendance qui se maintient).

Pour la confiance en soi, paramètre « athlétique », c’est aussi la merde pour l’estime des filles et femmes, et là aussi c’est à l’adolescence que ça se creuse. Les garçons se perçoivent plus compétents en sport dans presque tous les domaines (endurance, coordination, apparence sportive…).

Pas de différence ou avantage masculin

Sur les paramètres « personnalité » (à quel point tu te perçois comme ayant une chouette personnalité) et « auto-satisfaction » (à quel point on est heureuxse avec qui on est en tant que personne), la méta-analyse conclut qu’en fonction du cadre théorique choisi – je vous épargne les détails mais tout est dans l’article – on part, pour chacun de ces paramètres, soit sur pas de différence, soit sur un avantage des hommes et garçons en termes d’estime de soi.

Pas de différence mais c’est tendu

Le paramètre « relationnel » (donc ton estime de toi en termes de relations sociales) donne pas mal d’écart dans des directions opposées, la méta-analyse fait donc un genre de moyenne et tranche pour dire qu’il n’y a pas d’effet, pas de différence en termes de genre sur l’estime de soi.

Le paramètre « famille » (ta perception de ton toi-même vis-à-vis des relations familiales) va dans le même sens. Ce qui est quand même franchement drôle, quand tu sais que les femmes s’occupent plus des tâches ménagères et du soin et de l’éducation des enfants, tandis que les hommes ont plus de temps de loisirs qu’ils passent notamment à jour avec les enfants. Les femmes prennent aussi la majorité de la charge émotionnelle du couple, qui consiste entre autres à créer un petit cocon confortable sur les plans social et affectif. Autrement dit, ouais, no shit que t’as confiance en toi et tes relations familiales quand ton rôle consiste à divertir les mômes plutôt qu’à les garder en vie, et que quelqu’une assure gratuitement et invisiblement tout le travail que demande en fait ton confort.

Elle fait la même pour un autre paramètre, celui qui concerne le « bien-être ». C’est-à-dire le fait de se sentir heureuxse, satisfait.e et non-anxieuxse. Dans l’enfance, on n’observe aucune différence. Puis d’ici la fin de l’adolescence, les filles sont carrément 2x plus susceptibles d’être dépressives que les garçons. Deux fois plus. La méta-analyse confirme que la tendance se confirme à l’âge adulte (et effectivement, quand on regarde les chiffres actuels). Le constat est le même pour l’anxiété : les filles et femmes sont plus touchées. En revanche, quand on ne mesure que les émotions positives, là on remarque que les femmes ont un léger avantage. Et du coup, la méta-analyse conclut à une balance nulle, car les effets négatifs seraient compensés par le positif. Alors comment te dire…

Take it from someone qui vit avec un joli trouble de la personnalité : les moments de dépression ou d’anxiété compensés par les moments heureux ? Haaaahahahaha. Non, potichat, non. D’abord : qu’est-ce que c’est que cette logique weird de points, où le malheur retranche, le bonheur ajoute. Non, les deux pôles sont vécus pour du vrai, en +, les deux sentiments s’ajoutent bien l’un à l’autre.  Ensuite, c’est oublier un peu vite que dans ce prétendu ‘équilibre’, les femmes sont plus facilement déprimées et anxieuses, et déclarent légèrement plus de sentiments positifs, tandis que les hommes non seulement sont moins facilement déprimés et anxieux, mais aussi ils déclarent simplement moins de sentiments positifs, ce qui ne signifie pas qu’ils n’en déclarent pas. Autrement dit, même en suivant la logique de points, ça ne met pas les hommes « en négatif », mais juste un peu moins en positif.

Même vibe sur le plan « académique » : l’étude conclut qu’il n’existerait pas d’écart entre les hommes et les femmes. Or, les filles et femmes ont globalement de meilleures performances académiques et reçoivent de meilleures cotes. Mmh, intéressaaant. Ça signifie donc que bien qu’elles auraient objectivement les raisons d’avoir une meilleure estime d’elles-mêmes, ces meilleures performances ne se traduisent pas en meilleure estime chez les filles et femmes. On constate d’ailleurs que chez les adolescentes douées académiquement, les filles sont même plus auto-critiques de leurs compétences, tandis qu’à compétences égales, les profs donnent plus de feedbacks négatifs aux filles. Voilà, on adore [insert sourire passif-agressif]. Sur ce paramètre donc, l’absence de gap traduit en fait l’existence d’un gap, à la défaveur des filles et femmes.

Une autre méta-analyse sortie 4 ans plus tard (en 2013), et qui s’intéresse uniquement aux études (247, bim) qui traitent spécifiquement de ce paramètre « académique » tire, elle, la conclusion qu’il y aurait un léger avantage aux hommes, et rappelle qu’il a été démontré que cette auto-évaluation a un réel impact sur ce qui est ensuite accompli académiquement. Les grandes oubliées de la science en sont d’ailleurs la preuve éclatante, à la fois conséquence et symptôme de ce que les femmes brillent, mais ne récoltent pas les bénéfices de cette brillance.

Avantage féminin

En termes de « comportement » (à quel point tu te perçois comme ayant un comportement socialement acceptable) et de la perception positive ou négative de sa propre « morale/éthique », les femmes s’en sortent mieux que les hommes. Je dirai juste ceci : je trouve très parlant qu’on score bien dans les deux catégories qui ont trait au savoir-vivre, à croire qu’on a mieux appris à se tenir tranquilles.

Se la péter, c’est politique

Je voudrais commencer en insistant sur le caractère politique de lutter pour son estime de soi. Alors je sais, « de nos jours » comme disent les boomers, on dit vite que quelque chose est politique. Prendre un bain c’est politique. Baiser c’est politique. Décider ce qui est politique, c’est politique.

Mais dire que ci ou ça est politique, ça veut simplement dire qu’on parle de choses qui touchent à l’organisation et à l’exercice du pouvoir dans notre société. Qui détient l’estime de soi et qui en est privé.e, c’est directement lié à l’organisation et à l’exercice du pouvoir. C’est donc politique. Quand j’évoque l’estime de soi, je te parle pas de développement personnel, je te parle de ce qu’en tant que membre de la société, on se sent en capacité de dire, de faire, d’accomplir, indépendamment de nos capacités réelles.

Les études dont je te parle mentionnent par exemple le fait que ce manque d’estime de soi fait massivement choisir aux filles les filières auxquelles elles sont plus facilement associées. Ce manque d’estime complique la prise de parole en réunion ou la possibilité de faire valoir ses limites en couple. Il nourrit la détestation de soi à l’adolescence. Il plombe ton image personnelle, oriente tes choix, tait tes besoins, envies, coups de gueule. En d’autres mots, manquer de confiance en soi a des impacts matériels, tangibles, pas seulement idéels.

Saper l’estime de soi, c’est réduire chez quelqu’un.e ce sentiment d’être en capacité de dire, de faire et d’accomplir. C’est donc aussi diminuer sa foi en sa capacité à changer le monde. En sa capacité à se sentir légitime de ne pas se laisser faire. De parler, et de parler fort. Ça parle de se sentir en mesure de se défendre et d’attaquer s’il le faut. Oui, c’est politique. Très politique. Que l’estime de soi soit répartie de façon aussi systématique en défaveur des femmes, ça touche à nos structures de société, ça touche à l’organisation, l’exercice et la répartition du pouvoir.

L’estime de soi c’est pas du body positivism qui ajoute des injonctions à l’injonction. C’est pas du Girl Power. C’est pas quémander des progrès à la marge. Non. Comprendre qu’on a moins confiance en nous parce que notre monde est structuré de sorte qu’on se sente moins facilement aptes, c’est prendre en main notre propre valeur, c’est la jauger nous-mêmes, c’est savoir sur quoi elle repose. C’est se mettre en capacité de hurler, de râler, de dépecer un système qui nous amoindrit et nous détruit. C’est ouvrir les yeux là-dessus, pour commencer. Oui, un système tout entier nous fait croire qu’on vaut moins que ce qu’on vaut. C’est énorme et c’est pas OK.

Comment se la péter désormais ?

Quid, du coup ? Et bien le principe est simple : on se rappelle toujours qu’on a ce biais-là. Ce biais de croire moins en soi. On l’oublie pas, qu’on a ce gap, mais aussi qu’il n’est une illusion, qu’il ne renvoie pas à nos compétences effectives. On le grave dans notre tête et on s’organise en conséquence. On se fait plus de compliments, on se hype entre nous, on se praise les un.es les autres, on se big up à tire-larigot, on se shine bright comme des diamonds. On se remplit les gaps les un.es des autres.

Mais aussi (level suivant, attention), on accepte les compliments. On dit « merci ». Pas « ah pourtant c’est vieux », pas « c’est pas que mon idée », pas « ah bon ». Non : merci, point. On prend notre part de responsabilité dans ce qu’on accomplit. OK on t’a aidée, et alors ? ça veut dire que t’as rien fait ? ça veut dire que t’as zéro mérite ? Tu crois que Jean-zézette il est arrivé où il est à la force de son index ?

On arrête de s’excuser quand on prend la parole, quand on rédige un mail, quand on pose une question, quand on pleure, quand on a un truc entre les dents, quand on rit fort, quand on respire, quand on cligne des yeux. On a, le fucking droit, d’être là.

On arrête de penser que les opportunités auxquelles on a dit « non » sont pour autant moins des opportunités. « Non », c’est une réponse en soi et ça n’efface en rien le fait que quelqu’un.e ait trouvé que c’était une bonne idée de nous le proposer. Et tant qu’on y est, on arrête de penser que les accomplissements c’est que au boulot. Un groupe de potes de feu, ton nom dans le journal, se lever le matin, une recette maîtrisée, un trait de caractère, un outfit, ta première broderie moche, accepter qu’on a besoin d’une sieste, bien choisir ses lunettes, organiser une manif, raconter, écouter, finir un livre, être appelé.e pour un conseil, tout ça c’est des accomplissements. On a le droit de les voir.

Je ne suis pas en train de dire que l’estime de soi peut s’inventer, que la volonté suffit. Mais si je plaide pour la politique de l’estime de soi, c’est pour nous donner des forces pour vivre en système patriarcal. Pour nous donner les moyens de récupérer cette parcelle-là. Pour accélérer la prise de conscience que oui, on est nombreuxses et on a tout ce qu’il faut pour lutter, déplacer des montagnes, abolir tout un système et en penser un nouveau. On nous fait croire que non, mais en fait si.

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