D’où l’IVG ne serait pas dans la Constitution?

Suite à la révocation du droit à l’IVG par la Cour suprême américaine, une demande se démarque en Belgique et en France notamment: celle d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Si ça te semble farfelu, ou excessif, ou inutile, ou irraisonné, think again.

Il s’agit d’un droit fondamental qui doit devenir inaliénable. Le voir questionné voire renversé dans d’autres parties du monde doit absolument nous alerter sur l’importance de le couler dans le béton. Pourquoi?

1) Cela consoliderait (très) fermement le droit à l’IVG

Il existe un principe en droit belge qui s’applique aux droits sociaux (principe reconnu par diverses instances comme la Cour constitutionnelle) qu’on appelle l’effet standstill, ou effet cliquet, ou théorie du non-retour. Ce principe interdit au législateur de diminuer le niveau de protection précédemment accordé — sauf à des conditions bien précises et exigeant une justification (comme être motivé par l’intérêt général). Autrement dit, si l’IVG est dans la Constitution, il devient extrêmement difficile de faire marche arrière.

2) L’autonomie corporelle fait partie des droits humains

L’autonomie corporelle, ou « le fait d’avoir la capacité et les moyens de faire des choix concernant son corps et son avenir, sans violence ni contrainte » est, d’après l’ONU, « pas seulement un droit [mais] le fondement même des autres droits humains ». À ce titre, garantir l’accès à l’IVG noir sur blanc dans la Constitution d’un pays n’est aucunement excessif.

3) L’IVG est loin de ne pas faire débat, même en Belgique

Il n’aura pas fallu 48h pour qu’un élu MR (Frédéric Petit, bourgmestre de Wezembeek) se sente tout à fait à l’aise de préciser publiquement: « Je suis contre le droit à l’avortement libre […] Je suis extrêmement réticent à une loi qui autorise l’avortement sans nuance ».

On se rappelle aussi des périples de la proposition de loi de 2019 demandant l’allongement du délai pour avorter en Belgique et la réduction du délai de réflexion. Cette proposition avait fait face à une levée de bouclier des partis conservateurs, et n’a, à ce jour, pas abouti. Non, l’IVG ne fait pas l’unanimité.

4) L’accès à l’IVG en Belgique est toujours soumis à des sanctions pénales

Actuellement en Belgique, l’avortement est sorti du Code pénal. En revanche, en cas de non-respect de toutes les conditions imposées (délai de 12 semaines et délai de réflexion de 6 jours notamment), des sanctions pénales (des amendes de 50 à 200€ et un emprisonnement d’1 mois à 1 an) sont toujours applicables pour 1/les personnes ayant recours à l’IVG et 2/les médecins pratiquant l’IVG. Dans le genre « droit acquis », on peut encore bosser quoi.

5) En l’état, on va vers une pénurie de médecins pratiquant l’IVG en Belgique

La Fédération des centres de planning familial ainsi que d’autres associations et professionnels font régulièrement part de leurs craintes quant à une pénurie de médecins pratiquant l’IVG en Belgique. C’est notamment le résultat d’un manque de formations des médecins en la matière: celles-ci sont peu nombreuses, et uniquement dispensées sur base volontaire.

Cette pénurie potentielle ayant un effet direct sur la pratique et l’accès, il d’autant plus essentiel que ce droit soit reconnu comme inaliénable.

6) La Belgique n’est pas parmi les pays européens les plus progressistes en la matière

En Europe, les délais pour avorter s’étendent de 10 à 24 semaines de grossesse.

La Belgique stagne à 12, tandis que la France autorise l’IVG jusqu’à 14 semaines (depuis février 2022), comme l’Espagne et l’Autriche. 18 semaines pour la Suède ou encore 24 pour les Pays-Bas (qui viennent également de supprimer le délai de réflexion, et le pays n’a pas explosé, incroyable).

7) Au niveau européen, le droit à l’IVG n’est pas sécurisé

En 2013, un projet de loi restreignant le droit à l’avortement en Espagne avait été approuvé en Conseil des ministres. Il a été retiré suite à une énorme mobilisation.

En 2015, le Portugal amende sa loi autorisant l’avortement pour mettre tous les frais liés à l’IVG à la charge des personnes y ayant recours, et ajouter l’obligation d’un examen psy approfondi.

Entre 2018 et 2020, en Slovaquie, pas moins de 11 propositions de loi ont été déposées pour restreindre l’accès à l’IVG.

En 2021, la Pologne restreint fortement les conditions d’accès à l’IVG, la rendant de facto interdite.


Je parle ici du cas belge pour insister sur la nécessité de se battre contre et avec les particularités liées à un territoire. Mais ça ne nous dispense aucunement d’étendre la lutte à toute personne concernée par l’accès à l’IVG, avec une attention toute particulière pour les groupes sociaux qui sont les premiers à subir les conséquences dès que ce droit est menacé.

À ces arguments sur la nécessité d’intégrer le droit à l’avortement à la Constitution s’ajoutent bien sûr tous ceux qui justifient qu’on se batte pour le droit à l’avortement.

On bosse ses arguments et on hurle. Go.

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