D’où François Bégaudeau serait sexiste alors qu’il est féministe?

Le mec le dit, le clame, l’affirme: il est féministe. Et nous, féminazis hystériques que nous sommes, on est là « nan, zou, au bûcher », tout ça pour un pauv’ commentaire sur son skyblog. Mais d’où?

La réaction sur Twitter de l’historienne Ludivide Bantigny, en écho aux propos sexistes de François Bégaudeau à son encontre

François Bégaudeau, posterboy de la tendance « l’arrogance avec une bite, ça passe crème », dit qu’il est féministe, dit qu’il écrit des pièces féministes, dit qu’il écrit des textes féministes (sur son blog, mais no way que je mette un lien vers son blog ici, va juste falloir me croire), dit qu’il écrit des livres féministes, utilise «féminisme» comme un des tags principaux de son blog, « adore l’histoire du féminisme » et a d’ailleurs « toujours pris le féminisme comme quelque chose de réjouissant, pour l’ensemble de l’humanité ». On est réjouissantes les meufs, #Goals. Et nous, féminazis hystériques que nous sommes, on est là « nan, zou, au bûcher ». Mais d’où ?

On est là à critiquer ce p’tit chou qui fait franchement du mieux qu’il peut. Tout ça pour un pauv’ commentaire sur son skyblog. Déjà je trouve qu’on s’acharne un peu trop sur tout ce côté sexiste, parce que, de une, y’avait aussi de l’homophobie nauséabonde dans les commentaires, alors s’arrêter que sur le sexisme ça c’est TYPIQUE des meufs quoi. Et de deux, c’était une blague.

Et ça les p’tit.es potes de Bégaubichon iels espèrent qu’on a bien compris, parce que sinon c’est qu’on est vraiment pas des futes-futes. Mais ça les féministes on dirait que l’humour c’est pas la fête hein. Détendez-vous, on fait que rire de la sexualité présumée d’une meuf. Ça te fait pas rire, qu’on fasse des blagues sur un truc qui légitime des violences contre vous ? Ça te fait pas rire les blagues qui atteignent la crédibilité et/ou l’estime personnelle d’une personne ? Tu rigoles pas qu’on te résume en une phrase à ton cul ? Mais meuf détends-toi, en plus t’es plus jolie quand tu souris.

Nuage de mots d’une lucidité déconcertante sur le blog de monsieur

Pourtant c’est ça qui est pratique aussi, une fois qu’on sait que tu es féministe, c’est là que tu peux te permettre des blagues sexistes. Si t’es bien féministe comme il faut, ça annule le sexisme, tu vois ? Non ? Bah j’sais pas, fais un effort, merde.

Puis Bégauchou, parfois même, quand il raconte qu’il est féministe, il développe un peu. Et ça tu vois moi j’aime bien. Alors j’te cache pas qu’on voit qu’il tâtonne un peu. Mais bordel le mec essaye quoi :

« Les femmes sont plus fortes que les hommes, aujourd’hui [statement qui a le mérite de pas vouloir dire grand-chose, on reste vagues, probablement pour mieux développer après, bien ouèj Franco]. […] A force d’être au pouvoir les hommes sont devenus grotesques. Les femmes, qui ont été confinées à la sphère concrète [hein?] et domestique, ont été « préservées » [j’avoue ces guillemets me stressent. Préservées dis-tu ?]. Mais lorsqu’elles accèdent à des postes de responsabilités, elles se masculinisent [aaah ouais, préservées de la perte de féminité quoi. Quand elles sortent de la sphère concrète. On sort de la cuisine et POUM, les boobs au sol]. Regardez Laurence Parisot. La seule que je trouve épargnée [et stay tuned après la pub pour son top 10 des politiques qu’il veut voir en bikini] c’est Dominique Voynet. Elle se bat en politique mais elle reste mère et femme [aka la mission divine de ton utérus en ce bas monde] ».

Bon, on sent une envie, on sent une passion. On sent un attrait pour la féminité normative qu’il confond peut-être avec le féminisme, certes. Heureusement, Bégaulapinou prolonge la profondeur de sa réflexion dans un article du Nouvel Obs, rédigé par un journaliste pour qui un des ouvrages de Bégaudeau (La fin de l’histoire) est « un hommage aux révolutions que les femmes, dans l’histoire, ont su provoquer (féminisme, etc) ». Le féminisme, etcetera, etcetera, pourquoi se faire chier à détailler, c’est tellement l’évidence même, l’apport des femmes, on cause que de ça, j’me demande même si c’est pas un peu sexiste de demander de détailler. Pour François, d’ailleurs, on tient là une « preuve tangible et physique que la seule révolution possible, la permanente, la durable » sera menée par les femmes qui, d’ailleurs, « ont gagné » (ET ON NOUS ANNONCE ÇA COMME ÇA ?! WOUHOU !), et que du coup, tiens-toi bien, « nous avons gagné ». Je chiale, bordel.

Et alors ce que j’aime bien chez François c’est cette capacité à se remettre en question, super importante chez un allié. « Vous savez, l’homme, moi compris, doit toujours négocier avec son propre machisme. […] j’ai voulu m’amputer de cette gangrène qu’est la phallocratie. Je me considère comme plutôt émancipé par rapport à tout ça, mais je vois bien que j’ai toujours des relents », nous dit-il dans le Figaro (autant répandre cette bien belle semence à gauche à droite, avoue). Vas-y essaye de critiquer ça. François il est pas là pour la langue de bois, et nous gratifie de toute sa lucidité par un aveu : je suis féministe, mais je vois bien que je suis toujours sexiste. Quelle audace, quelle clairvoyance, quelle carrure. C’est vrai qu’on sentait bien, nous aussi, des relents. Légers hein.

Et Bégauchaton, de confirmer ailleurs (sur son blog) : « Comme quoi on peut se targuer de féminisme et conserver un bon vieil inconscient patriarcal. » Bah oui, comme quoi ! C’est quand même foufou la vie non ? Comme quoi, on peut se targuer de féminisme à toutes les sauces, en retirer les honneurs et avantages (« waouw, et en plus il est féministe, cœur dans les yeux »), et conserver de bon vieux relents patriarcaux qui t’autorisent à récolter les bienfaits d’un positionnement sans jamais avoir à faire le taf dis donc. Comme quoi !

Je crois qu’à la fois les féministes et les alliés te sont ultra reconnaissant.es, François-petit-poussin, de bien nous rappeler que le boulot qu’on fait, c’est pour les imbéciles qu’ont pas compris qu’en fait on peut juste dire, sans faire. C’est tout l’intérêt d’une étiquette auto-collée : coucou moi je suis Féministe! Euh par contre jsuis chaud de décider moi-même ce que ça veut dire (genre promotion des meufs okay, mais qu’elles restent bien des meufs compris ?), et aussi, je suis pas à l’abri d’un dérapage, de relents, de mon inconscient, je veux dire merde, ma teub s’exprime quoi. Bon bah du coup euh… Deal ?

Oh Francisco, non chaton, pas deal. L’idée n’est pas que tous les mecs qui se disent féministes ont d’office tort. L’idée n’est pas non plus qu’être féministe dépouille du droit à l’erreur. L’idée c’est qu’on peut arrêter le foutage de gueule, genre un peu ? Les mecs qui s’auto-proclament féministes, souvent ça pue. Et le problème, c’est que ça bouche bien la vue sur ceux qui font le taf en vrai. Qui se questionnent pour du vrai. Qui travaillent à leur désempouvoirement pour du vrai. Qui nous lisent, nous écoutent, nous relayent. Même ceux qui sont au tout début d’un début de cheminement. Y’a devant eux des Bégaudeau avec leur féminisme en papier crépon, qui font passer une posture pour des valeurs, de la pédanterie pour de la réflexion, et surtout qui nous font croire qu’ils nous tendront la main de leur position surplombante alors qu’ils se servent de leur hauteur sociale pour mieux viser quand ils nous crachent dessus, et que surtout, surtout rien ne change.