D’où l’IVG ne serait pas dans la Constitution?

Suite à la révocation du droit à l’IVG par la Cour suprême américaine, une demande se démarque en Belgique et en France notamment: celle d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Si ça te semble farfelu, ou excessif, ou inutile, ou irraisonné, think again.

Il s’agit d’un droit fondamental qui doit devenir inaliénable. Le voir questionné voire renversé dans d’autres parties du monde doit absolument nous alerter sur l’importance de le couler dans le béton. Pourquoi?

1) Cela consoliderait (très) fermement le droit à l’IVG

Il existe un principe en droit belge qui s’applique aux droits sociaux (principe reconnu par diverses instances comme la Cour constitutionnelle) qu’on appelle l’effet standstill, ou effet cliquet, ou théorie du non-retour. Ce principe interdit au législateur de diminuer le niveau de protection précédemment accordé — sauf à des conditions bien précises et exigeant une justification (comme être motivé par l’intérêt général). Autrement dit, si l’IVG est dans la Constitution, il devient extrêmement difficile de faire marche arrière.

2) L’autonomie corporelle fait partie des droits humains

L’autonomie corporelle, ou « le fait d’avoir la capacité et les moyens de faire des choix concernant son corps et son avenir, sans violence ni contrainte » est, d’après l’ONU, « pas seulement un droit [mais] le fondement même des autres droits humains ». À ce titre, garantir l’accès à l’IVG noir sur blanc dans la Constitution d’un pays n’est aucunement excessif.

3) L’IVG est loin de ne pas faire débat, même en Belgique

Il n’aura pas fallu 48h pour qu’un élu MR (Frédéric Petit, bourgmestre de Wezembeek) se sente tout à fait à l’aise de préciser publiquement: « Je suis contre le droit à l’avortement libre […] Je suis extrêmement réticent à une loi qui autorise l’avortement sans nuance ».

On se rappelle aussi des périples de la proposition de loi de 2019 demandant l’allongement du délai pour avorter en Belgique et la réduction du délai de réflexion. Cette proposition avait fait face à une levée de bouclier des partis conservateurs, et n’a, à ce jour, pas abouti. Non, l’IVG ne fait pas l’unanimité.

4) L’accès à l’IVG en Belgique est toujours soumis à des sanctions pénales

Actuellement en Belgique, l’avortement est sorti du Code pénal. En revanche, en cas de non-respect de toutes les conditions imposées (délai de 12 semaines et délai de réflexion de 6 jours notamment), des sanctions pénales (des amendes de 50 à 200€ et un emprisonnement d’1 mois à 1 an) sont toujours applicables pour 1/les personnes ayant recours à l’IVG et 2/les médecins pratiquant l’IVG. Dans le genre « droit acquis », on peut encore bosser quoi.

5) En l’état, on va vers une pénurie de médecins pratiquant l’IVG en Belgique

La Fédération des centres de planning familial ainsi que d’autres associations et professionnels font régulièrement part de leurs craintes quant à une pénurie de médecins pratiquant l’IVG en Belgique. C’est notamment le résultat d’un manque de formations des médecins en la matière: celles-ci sont peu nombreuses, et uniquement dispensées sur base volontaire.

Cette pénurie potentielle ayant un effet direct sur la pratique et l’accès, il d’autant plus essentiel que ce droit soit reconnu comme inaliénable.

6) La Belgique n’est pas parmi les pays européens les plus progressistes en la matière

En Europe, les délais pour avorter s’étendent de 10 à 24 semaines de grossesse.

La Belgique stagne à 12, tandis que la France autorise l’IVG jusqu’à 14 semaines (depuis février 2022), comme l’Espagne et l’Autriche. 18 semaines pour la Suède ou encore 24 pour les Pays-Bas (qui viennent également de supprimer le délai de réflexion, et le pays n’a pas explosé, incroyable).

7) Au niveau européen, le droit à l’IVG n’est pas sécurisé

En 2013, un projet de loi restreignant le droit à l’avortement en Espagne avait été approuvé en Conseil des ministres. Il a été retiré suite à une énorme mobilisation.

En 2015, le Portugal amende sa loi autorisant l’avortement pour mettre tous les frais liés à l’IVG à la charge des personnes y ayant recours, et ajouter l’obligation d’un examen psy approfondi.

Entre 2018 et 2020, en Slovaquie, pas moins de 11 propositions de loi ont été déposées pour restreindre l’accès à l’IVG.

En 2021, la Pologne restreint fortement les conditions d’accès à l’IVG, la rendant de facto interdite.


Je parle ici du cas belge pour insister sur la nécessité de se battre contre et avec les particularités liées à un territoire. Mais ça ne nous dispense aucunement d’étendre la lutte à toute personne concernée par l’accès à l’IVG, avec une attention toute particulière pour les groupes sociaux qui sont les premiers à subir les conséquences dès que ce droit est menacé.

À ces arguments sur la nécessité d’intégrer le droit à l’avortement à la Constitution s’ajoutent bien sûr tous ceux qui justifient qu’on se batte pour le droit à l’avortement.

On bosse ses arguments et on hurle. Go.

D’où tu te la pètes pas ?

Je me la pète pas assez. On se la pète pas assez. Et je soupçonne qu’il y ait un grand complot sociétal à la base de ce manque d’estime pour nos merveilleux accomplissements. Et un impact direct sur nos joyeuses luttes.

Il y a quelques temps j’étais à l’anniversaire de L’Émoustille, la newsletter qui te recommande culturellement que de la meuf brillante dans ta boîte mail. À cette soirée, en plus d’avoir dansé en levant ma bière en faisant « wouuu », je me suis retrouvée plusieurs fois à répondre à la question: « et donc avec D’où? t’as plein d’opportunités, non? ». Et moi de répondre « ah ouais non, pas du tout, ou alors vraiment vite fait, mais majoritairement : pas du tout ».

Puis les jours ont passé. Et je me suis dit « oh bah c’est marrant, j’ai même pas pensé à la fois où on m’a proposé une chronique sur la Première » (radio publique de grande écoute of the kingdom of the Belgium que moi-même j’écoute le matin quand me vient l’idée saugrenue mais néanmoins récurrente d’écouter la radio le matin). Puis un peu plus tard, « ah tiens, j’aurais dû répondre qu’on m’a proposé un portrait dans Le Vif » (hebdo belge de grand lectorat, t’as capté). Puis « mais dis donc, et la fois où j’ai eu une page entière de portrait de moi et D’où? dans le journal », « et le fait qu’on m’a invitée au Parlement pour parler de genre », « et la fois où on m’a invitée au théâtre parce que D’où? a été une des inspirations de la pièce, qui contient même une ligne de dialogue en hommage direct à un de mes textes », « et les fois où des étudiant.es glissent l’air de rien après un cours qu’iels ont lu tel texte de D’où? » et la fois, et la fois, et la fois. C’EST PAS DES OPPORTUNITÉS ÇA PEUT-ÊTRE ?

Alors oui, là j’ai juste l’air d’avoir envie de lister des trucs pour me la péter. Mais tu sais quoi, tant pis en fait. GOOD, même. Tu sais pourquoi? Parce qu’en vrai c’est OK de se la péter de temps en temps et j’vais t’dire : on a de la fameuse marge.

Saved by the méta-analyse

Alors a commencé à me coller cette impression que depuis que je suis toutoute petite, j’ai été élevée par toute la société à avoir moins confiance en moi. Et comme faire uniquement confiance à sa propre expérience est rarement l’idée du siècle quand on veut tirer des conclusions qui dépassent notre petite personne, j’ai posé à cette impression la question qui plie le game : que nous dit La Scionce ? Pour y répondre, je me suis plongée dans la cwème de la cwème : laisse-moi t’introduire au monde fabuleux des méta-analyses.

Les méta-analyses, comme leur nom l’indique, c’est des analyses d’analyses. C’est-à-dire que tu sais, toutes ces études qui sortent pour dire que les chats sont plutôt droitiers ? (Avec de l’argent public, oui, mais reste focus). Une méta-analyse, c’est un texte qui va recenser touuutes les études qu’elle trouve sur le sujet des chats droitiers ou gauchers ou ambidextres, et va faire un genre de méga synthèse des résultats de toutes ces études. Pour dire par exemple, bon les loulous, la majorité des études indiquent que les chats ont plutôt tendance à être droitiers, comme nous, et les chats gauchers sont surtout en Asie (j’invente, c’est pas encore le moment de prendre des notes). Donc les méta-analyses, c’est un peu la jupe à poches de la science.

Maintenant qu’on est d’accord sur la majestuosité de la méta-analyse, je peux t’expliquer ce que j’ai fait : écumer les bases de données en quête de méta-analyses sur les niveaux de confiance en soi, en fonction du genre. Donc que concluent les études une fois qu’elles ont étudié les conclusions d’un très grand nombre d’études scientifiques sur le sujet de la confiance en soi ? Est-ce que j’ai raison de penser que les filles et femmes ont globalement moins d’estime d’elles-mêmes que les hommes et garçons ? Réponse courte : oui. Réponse passionnante : ci-dessous.  

Que dit la Scionce ?

Bon on va tout de suite pilonner dans l’œuf une croyance répandue : non, les femmes n’ont pas moins confiance en elles parce qu’elles sont simplement plus touchées par tout comme des puits sans fond de sensibilité. Ça n’est pas vrai, ce truc-là : les femmes, ne sont pas, plus émotives, que les hommes (comme le confirme cette méta-analyse de quelques centaines d’études, donc si peut-on please passer à autre chose).

Ensuite, j’ai trouvé deux méta-analyses très intéressante. La première en matière de confiance en soi dite ‘globale’, donc ce genre de sentiment général d’estime de soi-même. On va pas tourner autour de la poterie : sur ce point-là, les études concluent globalement à un avantage aux hommes, qui ont donc plus confiance en eux (avantage « léger mais significatif »).

La deuxième méta-analyse part du constat de la première et se dit OK, mais confiance en soi ‘globale’ ça comprend beaucoup de paramètres, on va voir ce que ça donne quand on isole lesdits paramètres un par un : y a-t-il des différences en termes de genre toujours « légères mais significatives », ou plus de différences du tout, ou de plus grandes différences, etc. ? Trouvons donc plein d’études (115 pour le coup) sur plein d’aspects de la confiance en soi qui incluent la variable ‘genre’, et analysons-les, se sont donc dit les 5 chercheuses qui ont écrit cette méta-analyse. Elles ont alors établi 10 catégories de la confiance en soi.

Si le détail ne t’intéresse pas, je te donne déjà la conclusion générale : sur les dix paramètres étudiés, seuls deux voient les femmes en avantage d’estime de soi. Tous les autres sont soit (estimés) nuls, soit donnent l’avantage aux hommes. Donc oui, à l’échelle de la société entière, les filles et femmes ont moins confiance en elles.

Clair avantage masculin

Le pire, c’est sur le paramètre « apparence ». Oh mon DIEU, oh surprise, oh choc, oh stupéfaction, oh tiens mon verre que je tourrrnoie de l’œil de tout cet ahurissement : les garçons et les hommes ont largement l’avantage en termes de confiance en leur propre apparence.

Ah bah ça c’est étrange dis donc, tu veux dire que voir des meufs ultra biches all day long pour me vendre des piles, une assurance et du vin rouge, ça n’a pas un impact positif sur ma perception de moi-même ? Tu veux dire qu’avoir son taux de bonassitude estimé régulièrement par des random dudes (collègues, partenaires, frères, pères, quidam en rue) ne me fait pas me sentir extrêmement bien à propos de mon corps ? Tu veux dire que le fait qu’on dise aux petits garçons qu’ils sont courageux et aux petites filles qu’elles sont jolies ne leur permet pas de s’extirper de ces rôles pré-établis ? J’EN TOMBE DE MA CHAISE.

Les filles devenues ados voient leur estime d’elles-mêmes à cet égard diminuer, tandis que celle des garçons devenus ados augmente, ou se maintient. Et cette tendance se poursuit à l’âge adulte, aka en grande majorité, on met un temps pas poss à se trouver bien physiquement (perso j’estime avoir glow up à 28 ans, how’s that for a tendance qui se maintient).

Pour la confiance en soi, paramètre « athlétique », c’est aussi la merde pour l’estime des filles et femmes, et là aussi c’est à l’adolescence que ça se creuse. Les garçons se perçoivent plus compétents en sport dans presque tous les domaines (endurance, coordination, apparence sportive…).

Pas de différence ou avantage masculin

Sur les paramètres « personnalité » (à quel point tu te perçois comme ayant une chouette personnalité) et « auto-satisfaction » (à quel point on est heureuxse avec qui on est en tant que personne), la méta-analyse conclut qu’en fonction du cadre théorique choisi – je vous épargne les détails mais tout est dans l’article – on part, pour chacun de ces paramètres, soit sur pas de différence, soit sur un avantage des hommes et garçons en termes d’estime de soi.

Pas de différence mais c’est tendu

Le paramètre « relationnel » (donc ton estime de toi en termes de relations sociales) donne pas mal d’écart dans des directions opposées, la méta-analyse fait donc un genre de moyenne et tranche pour dire qu’il n’y a pas d’effet, pas de différence en termes de genre sur l’estime de soi.

Le paramètre « famille » (ta perception de ton toi-même vis-à-vis des relations familiales) va dans le même sens. Ce qui est quand même franchement drôle, quand tu sais que les femmes s’occupent plus des tâches ménagères et du soin et de l’éducation des enfants, tandis que les hommes ont plus de temps de loisirs qu’ils passent notamment à jour avec les enfants. Les femmes prennent aussi la majorité de la charge émotionnelle du couple, qui consiste entre autres à créer un petit cocon confortable sur les plans social et affectif. Autrement dit, ouais, no shit que t’as confiance en toi et tes relations familiales quand ton rôle consiste à divertir les mômes plutôt qu’à les garder en vie, et que quelqu’une assure gratuitement et invisiblement tout le travail que demande en fait ton confort.

Elle fait la même pour un autre paramètre, celui qui concerne le « bien-être ». C’est-à-dire le fait de se sentir heureuxse, satisfait.e et non-anxieuxse. Dans l’enfance, on n’observe aucune différence. Puis d’ici la fin de l’adolescence, les filles sont carrément 2x plus susceptibles d’être dépressives que les garçons. Deux fois plus. La méta-analyse confirme que la tendance se confirme à l’âge adulte (et effectivement, quand on regarde les chiffres actuels). Le constat est le même pour l’anxiété : les filles et femmes sont plus touchées. En revanche, quand on ne mesure que les émotions positives, là on remarque que les femmes ont un léger avantage. Et du coup, la méta-analyse conclut à une balance nulle, car les effets négatifs seraient compensés par le positif. Alors comment te dire…

Take it from someone qui vit avec un joli trouble de la personnalité : les moments de dépression ou d’anxiété compensés par les moments heureux ? Haaaahahahaha. Non, potichat, non. D’abord : qu’est-ce que c’est que cette logique weird de points, où le malheur retranche, le bonheur ajoute. Non, les deux pôles sont vécus pour du vrai, en +, les deux sentiments s’ajoutent bien l’un à l’autre.  Ensuite, c’est oublier un peu vite que dans ce prétendu ‘équilibre’, les femmes sont plus facilement déprimées et anxieuses, et déclarent légèrement plus de sentiments positifs, tandis que les hommes non seulement sont moins facilement déprimés et anxieux, mais aussi ils déclarent simplement moins de sentiments positifs, ce qui ne signifie pas qu’ils n’en déclarent pas. Autrement dit, même en suivant la logique de points, ça ne met pas les hommes « en négatif », mais juste un peu moins en positif.

Même vibe sur le plan « académique » : l’étude conclut qu’il n’existerait pas d’écart entre les hommes et les femmes. Or, les filles et femmes ont globalement de meilleures performances académiques et reçoivent de meilleures cotes. Mmh, intéressaaant. Ça signifie donc que bien qu’elles auraient objectivement les raisons d’avoir une meilleure estime d’elles-mêmes, ces meilleures performances ne se traduisent pas en meilleure estime chez les filles et femmes. On constate d’ailleurs que chez les adolescentes douées académiquement, les filles sont même plus auto-critiques de leurs compétences, tandis qu’à compétences égales, les profs donnent plus de feedbacks négatifs aux filles. Voilà, on adore [insert sourire passif-agressif]. Sur ce paramètre donc, l’absence de gap traduit en fait l’existence d’un gap, à la défaveur des filles et femmes.

Une autre méta-analyse sortie 4 ans plus tard (en 2013), et qui s’intéresse uniquement aux études (247, bim) qui traitent spécifiquement de ce paramètre « académique » tire, elle, la conclusion qu’il y aurait un léger avantage aux hommes, et rappelle qu’il a été démontré que cette auto-évaluation a un réel impact sur ce qui est ensuite accompli académiquement. Les grandes oubliées de la science en sont d’ailleurs la preuve éclatante, à la fois conséquence et symptôme de ce que les femmes brillent, mais ne récoltent pas les bénéfices de cette brillance.

Avantage féminin

En termes de « comportement » (à quel point tu te perçois comme ayant un comportement socialement acceptable) et de la perception positive ou négative de sa propre « morale/éthique », les femmes s’en sortent mieux que les hommes. Je dirai juste ceci : je trouve très parlant qu’on score bien dans les deux catégories qui ont trait au savoir-vivre, à croire qu’on a mieux appris à se tenir tranquilles.

Se la péter, c’est politique

Je voudrais commencer en insistant sur le caractère politique de lutter pour son estime de soi. Alors je sais, « de nos jours » comme disent les boomers, on dit vite que quelque chose est politique. Prendre un bain c’est politique. Baiser c’est politique. Décider ce qui est politique, c’est politique.

Mais dire que ci ou ça est politique, ça veut simplement dire qu’on parle de choses qui touchent à l’organisation et à l’exercice du pouvoir dans notre société. Qui détient l’estime de soi et qui en est privé.e, c’est directement lié à l’organisation et à l’exercice du pouvoir. C’est donc politique. Quand j’évoque l’estime de soi, je te parle pas de développement personnel, je te parle de ce qu’en tant que membre de la société, on se sent en capacité de dire, de faire, d’accomplir, indépendamment de nos capacités réelles.

Les études dont je te parle mentionnent par exemple le fait que ce manque d’estime de soi fait massivement choisir aux filles les filières auxquelles elles sont plus facilement associées. Ce manque d’estime complique la prise de parole en réunion ou la possibilité de faire valoir ses limites en couple. Il nourrit la détestation de soi à l’adolescence. Il plombe ton image personnelle, oriente tes choix, tait tes besoins, envies, coups de gueule. En d’autres mots, manquer de confiance en soi a des impacts matériels, tangibles, pas seulement idéels.

Saper l’estime de soi, c’est réduire chez quelqu’un.e ce sentiment d’être en capacité de dire, de faire et d’accomplir. C’est donc aussi diminuer sa foi en sa capacité à changer le monde. En sa capacité à se sentir légitime de ne pas se laisser faire. De parler, et de parler fort. Ça parle de se sentir en mesure de se défendre et d’attaquer s’il le faut. Oui, c’est politique. Très politique. Que l’estime de soi soit répartie de façon aussi systématique en défaveur des femmes, ça touche à nos structures de société, ça touche à l’organisation, l’exercice et la répartition du pouvoir.

L’estime de soi c’est pas du body positivism qui ajoute des injonctions à l’injonction. C’est pas du Girl Power. C’est pas quémander des progrès à la marge. Non. Comprendre qu’on a moins confiance en nous parce que notre monde est structuré de sorte qu’on se sente moins facilement aptes, c’est prendre en main notre propre valeur, c’est la jauger nous-mêmes, c’est savoir sur quoi elle repose. C’est se mettre en capacité de hurler, de râler, de dépecer un système qui nous amoindrit et nous détruit. C’est ouvrir les yeux là-dessus, pour commencer. Oui, un système tout entier nous fait croire qu’on vaut moins que ce qu’on vaut. C’est énorme et c’est pas OK.

Comment se la péter désormais ?

Quid, du coup ? Et bien le principe est simple : on se rappelle toujours qu’on a ce biais-là. Ce biais de croire moins en soi. On l’oublie pas, qu’on a ce gap, mais aussi qu’il n’est une illusion, qu’il ne renvoie pas à nos compétences effectives. On le grave dans notre tête et on s’organise en conséquence. On se fait plus de compliments, on se hype entre nous, on se praise les un.es les autres, on se big up à tire-larigot, on se shine bright comme des diamonds. On se remplit les gaps les un.es des autres.

Mais aussi (level suivant, attention), on accepte les compliments. On dit « merci ». Pas « ah pourtant c’est vieux », pas « c’est pas que mon idée », pas « ah bon ». Non : merci, point. On prend notre part de responsabilité dans ce qu’on accomplit. OK on t’a aidée, et alors ? ça veut dire que t’as rien fait ? ça veut dire que t’as zéro mérite ? Tu crois que Jean-zézette il est arrivé où il est à la force de son index ?

On arrête de s’excuser quand on prend la parole, quand on rédige un mail, quand on pose une question, quand on pleure, quand on a un truc entre les dents, quand on rit fort, quand on respire, quand on cligne des yeux. On a, le fucking droit, d’être là.

On arrête de penser que les opportunités auxquelles on a dit « non » sont pour autant moins des opportunités. « Non », c’est une réponse en soi et ça n’efface en rien le fait que quelqu’un.e ait trouvé que c’était une bonne idée de nous le proposer. Et tant qu’on y est, on arrête de penser que les accomplissements c’est que au boulot. Un groupe de potes de feu, ton nom dans le journal, se lever le matin, une recette maîtrisée, un trait de caractère, un outfit, ta première broderie moche, accepter qu’on a besoin d’une sieste, bien choisir ses lunettes, organiser une manif, raconter, écouter, finir un livre, être appelé.e pour un conseil, tout ça c’est des accomplissements. On a le droit de les voir.

Je ne suis pas en train de dire que l’estime de soi peut s’inventer, que la volonté suffit. Mais si je plaide pour la politique de l’estime de soi, c’est pour nous donner des forces pour vivre en système patriarcal. Pour nous donner les moyens de récupérer cette parcelle-là. Pour accélérer la prise de conscience que oui, on est nombreuxses et on a tout ce qu’il faut pour lutter, déplacer des montagnes, abolir tout un système et en penser un nouveau. On nous fait croire que non, mais en fait si.

D’où les sanctions des Oscars ne s’appliquent qu’à certains?

Will Smith vient de recevoir sa sanction de l’Académie des Oscars: 10 ans d’interdiction de participer à tout événement organisé par leurs soins. Comparons, voulez-vous?

En 1973, John Wayne doit être retenu par 6 hommes de la sécurité pendant la cérémonie des Oscars pour l’empêcher d’atteindre Sacheen Littlefeather sur scène, alors que celle-ci délivre un discours soulignant les mauvais traitements d’Hollywood envers les Native Americans. Aucune sanction de l’Académie, ni à l’époque ni plus tard.

En 2003, Adrien Brody gagne l’Oscar du meilleur acteur pour « The Pianist ». Il embrasse par surprise Halle Berry qui lui remet sa statuette sur scène (clairement contre son gré, ce qu’elle confirmera fermement par la suite). Il ne s’en est pas excusé publiquement. Aucune sanction de l’Académie.

En 2003, Roman Polanski gagne le prix du meilleur réalisateur pour «The Pianist». En 1977, il a lui-même plaidé coupable pour actes sexuels sur mineure (la victime a 13 ans au moment des faits), et est depuis considéré comme fugitif par Interpol, comme il a fui les USA pour éviter la prison. Il est également accusé par onze autres femmes. Il faudra encore 15 ans après son prix pour que les Oscars décident de l’exclure, à 85 ans. Il refuse cette décision et demande qu’elle soit levée, sans succès.

En 2004, Carmine Caridi est le premier membre exclu de l’Académie des Oscars (à 70 ans) pour son implication dans une affaire criminelle d’atteinte aux droits d’auteur (il a aidé à faire circuler sur Internet une soixantaine de copies confidentielles des films qu’il recevait pour évaluation, en tant que membre de l’Académie).

En 2010, 2012 et 2013, David O. Russell est nominé dans la catégorie «meilleur réalisateur», alors qu’il admet (en 2012) avoir agressé sexuellement sa nièce de 19 ans.

En 2013, Michael Fassbender est nominé pour l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, alors qu’il a fait l’objet d’une plainte 3 ans auparavant pour des faits de violence conjugale.

En 2015, Sean Penn remet la stuatuette du meilleur film à Alejandro Gonzalez Inarritu en disant, avant d’annoncer son nom, « who gave this son of a bitch his green card? ». Il refuse de s’excuser sous prétexte qu’il s’agissait d’une blague, malgré le tollé que provoque cette sortie, pointée comme étant raciste. Aucune sanction de l’Académie.

En 2016, Mel Gibson est nominé dans la catégorie « meilleur réalisateur » (son film remportera deux prix cette année-là), alors qu’il a fait l’objet d’une mise à l’épreuve de 3 ans suite à une tirade sexiste et antisémite, et a admis en 2011, avoir frappé son ex-compagne.

En 2017, Kevin Spacey est accusé de viol sur mineur. Il a remporté une statuette en 1995, 1996 et 2000. Aucune réaction officielle de l’Académie.

En 2017, Casey Affleck remporte le prix du meilleur acteur pour « Manchester by the sea », alors qu’il est accusé de harcèlement sexuel.

2017, Harvey Weinstein est exclu de l’Académie des Oscars alors qu’il est accusé par une trentaine de femmes d’agression et harcèlement sexuel, et viol. Il a alors 66 ans.

En 2018, Bill Cosby est exclu à 80 ans de l’Académie des Oscars. Il vient alors d’être reconnu coupable d’agression sexuelle, et accusé par des dizaines d’autres femmes.

Entre 1977 et 2013, Woody Allen a été nominé 24 fois aux Oscars dans diverses catégories (dont 4 remportées). Depuis les années 1990, il est accusé de viol sur sa fille de 7 ans. Aucune réaction officielle de l’Académie.

En 2022, l’Académie accepte la démission spontanée de Will Smith et lui impose en plus une interdiction d’assister aux cérémonies pendant 10 ans, après qu’il ait giflé Chris Rock sur scène. Will Smith, qui a présenté des excuses publiques, dit accepter et respecter cette décision.

Ainsi, l’Académie a déjà vu 1/un cas de violence physique qui aurait eu lieu si la sécurité n’était pas intervenue (par un homme blanc envers une femme racisée); 2/une agression sexuelle sur scène (par un homme blanc envers une femme racisée); 3/des propos racistes tenus sur scène (par un homme envers un homme racisé).

Aucun de ces actes n’a été réprimandé d’une façon ou d’une autre.

Par ailleurs, hormis l’affaire de Will Smith, toutes les sanctions concernent des affaires extrêmement lourdes (quantitativement et qualitativement), criminelles, au sujet de faits répétés, donnant lieu à des poursuites légales, et s’appliquent surtout à des personnes en fin de carrière.

Donc si l’Académie souhaite punir les « comportements inacceptables et néfastes », force est de constater qu’elle choisit soigneusement qui sanctionner, et pour quoi. Pour rappel, en 2012, il est révélé que 94% des votant.es aux Oscars sont blanc.hes (et 77% sont des hommes). Pas plus tard qu’en 2015 et 2016, les VINGT acteurices nommé.es sont blanc.hes.

Ne soyons pas naïf.ves quant à ce deux poids deux mesures. Le choix de bannir ou non, d’appliquer des sanctions ou non, par une institution essentiellement masculine et blanche, aussi visible et structurante du paysage culturel, n’est jamais un hasard. C’est un rappel des règles. Car l’Académie des Oscars promeut des règles qui, comme toutes règles, visent à réguler les comportements. Et l’histoire de l’Académie nous raconte que la règle est la suivante: les personnes racisées sont dispensables et tenu.es à des standards de bonne conduite plus élevés que les hommes blancs. Non, la naïveté n’est pas permise.

D’où c’est pas votre violence qu’on veut, c’est pouvoir utiliser la nôtre?

À la cérémonie des Oscars, Will Smith est monté sur scène pour mettre une claque à Chris Rock, qui venait de commenter le crâne chauve de Jada Pinkett Smith, qui souffre d’alopécie.

Tout ça, tu le savais déjà parce que ça tourne ad nauseam sur tous, les, médias. Moi je me suis trouvée en difficulté à mettre le doigt sur ce qui me dérange. Parce qu’il y a en fait énormément de choses particulièrement fucked up dans cet événement, ce qu’il implique, ce qu’il suggère, ce qu’il dit et contre-dit.

En fait moi je la trouve complexe cette gifle.

–Parce qu’elle a duré quelques secondes, mais a totalement éclipsé (of the heart) le fait que c’était une soirée de puissance féminine, avec 3 femmes comme maîtresses de cérémonie; une performance incroyable de Beyoncé; le premier Oscar remis à une femme queer racisée, Ariana DuBose; la consécration pour CODA, réalisé Sian Heder… See what I mean?

–Parce qu’elle consacre le mâle alpha et sa violence dans un geste qu’il a lui-même explicité: celui de défenseur d’une femme en mesure de se défendre, sans qu’elle ne soit consultée.

–Parce que bordel de merde, 2022, cet énième commentaire du corps d’une femme noire, sur sa maladie, devant un public, majoritairement blanc, mais sérieusement ??! C’est absolument méprisable, merdique, et violent, et il me semble hypocrite d’exiger une réponse calme et contenue qui serre les dents.

–Parce que la reprise de l’image en memes et autres visuels répétés all day long fait d’une altercation entre deux hommes noirs une forme de spectacle, mettant en scène une violence dans laquelle nos médias adorent enfermer les hommes noirs, toujours déjà compris à travers un prisme raciste.

–Parce que ce qui est présenté comme un discours d’excuses de Will Smith (« love will make you do crazy things », l’amour fait faire des choses folles) inclut un appel à la complaisance face au mythe de la violence par amour, ce qui est inacceptable.

Et c’est finalement précisément cet usage de la violence qui me colle le plus.

Il faut d’abord que je vous dise un truc: dans l’absolu je ne défends pas une position non-violente. Je pense que la violence est une arme de défense utile et rationnelle pour faire face à la violence, mais retirée symboliquement et/ou littéralement à certains groupes sociaux (le cerveau d’Elsa Dorlin 4life). Cette considération de la violence se joue différemment si tu es blanc.he ou pas, je l’ai déjà évoqué, mais aussi si tu es un homme ou pas: alors que la violence des hommes est acceptée, voire attendue, voire encouragée, celle des femmes ne peut pas s’exprimer.

Quand je dis que la violence des hommes est acceptée/encouragée, je parle de la façon dont on élève les garçons. Je parle du trope du preu chevalier secourant la damoiselle, qui sature nos blockbusters. Je parle du fait qu’un homme est censé savoir se battre (que ce soit le cas ou pas).

Quand je dis que la violence des femmes est inacceptable, je parle du fait qu’il est considéré comme émasculant pour un homme d’être frappé par une femme (relis ça). Je parle du fait que même une forme non-physique de violence comme la colère est inacceptable quand elle vient d’une femme. Je parle du fait qu’on sait même pas imaginer cette scène de gifle et ses conséquences si elle venait d’une femme. Qui se lève, gifle, se rassoit, hurle, gagne un Oscar.

On nous apprend même à ne pas penser à nous défendre. Pire, on nous apprend une forme de politesse extrême et spécifique, qui consiste à ne pas froisser la personne dont émane pourtant la violence, surtout quand c’est un homme.

Par exemple, quand j’ai reçu ma première dickpic, à 11 ans, la première chose que j’apprends de ma copine c’est qu’on ne peut surtout pas dire au monsieur que sa bite elle est moche parce qu’on ruinerait sa confiance en lui pour la vie. See my point? On grandit avec ça, qui n’a de cesse de se confirmer à l’âge adulte: ne pas froisser, ne pas vexer, ne pas hausser le ton, ne pas répliquer, pacifier plutôt que se mettre en colère, ne pas s’abaisser à être violente comme l’est l’autre envers nous.

Mais de quel abaissement on parle, stp?

Je veux qu’on désaprenne à ne pas répliquer. Pour conjurer la politesse, je veux qu’on apprenne qu’on peut répliquer. Pour conjurer la peur, je veux qu’on apprenne comment répliquer.

Je veux qu’on arrête de nous dire que la violence et la force physique c’est des trucs de bonhomme, et qu’on commence par nous apprendre à nous battre. Qu’on arrête de trouver qu’une meuf est « rentre dedans » quand un mec avec le même comportement est juste un bon vieux dude.

Je veux qu’on arrête de nous le faire payer quand on arrête d’être fucking polies quand on nous fucking manque de respect.

Je veux qu’on célèbre entre nous cette possibilité-là, cette arme de défense-là. Qu’on se serre les coudes, qu’on se soutienne, qu’on se partage ce feu-là.

Je veux pas un mec qui fout une claque, je veux vingt meufs en furie sur scène.

D’où « femme castratrice »?

« Femme castratrice », 1/ça veut rien dire, 2/ça repose sur que dalle, 3/c’est sexiste, 4/ça parle surtout de votre trouille que les femmes prennent le pouvoir.

Y’a un site qui s’appelle Passeport Santé et qui se retrouve systématiquement sur la première page des résultats Google quand on se pose une question de santé. « Urticaire, que faire », « quel vaccin choisir », « alimentation équilibrée », vas-y check, Passeport Santé arrive à chaque fois sur la première page, et presque systématiquement dans les 5 premiers résultats. Et bien Passeport Santé, avec toute son aura médicale, a décidé de nous pondre une bouse intitulée « Comment reconnaître une femme castratrice », parce que finalement, la science, on s’en carre, c’est bien plus chouette d’être sexiste.

Sorti en 2021, l’article a le mérite de compiler (sans le vouloir, je présume) tous les clichés sur cette notion bien fumeuse qu’est « la femme castratrice » et nous enjoint donc « à les reconnaître ». Car oui, les femmes castratrices sont parmi nous. C’est peut-être ta mère, c’est peut-être ta sœur, c’est peut-être ta bloggueuse préférée, c’est peut-être ta folle d’ex (toi aussi, tu as eu un ex qui disait que toutes ses ex étaient folles ? Passion toxicité), c’est peut-être TOI-MÊME.

Pas de bite, pas de chocolat

Bon d’abord, qu’est-ce que donc que c’est que donc que la femme castratrice ? Et bien la théorie particulièrement pas élaborée de Freud (la légende dit que si tu dis son nom 3x, tu invoques les esprits de la bichonnerie et Emmanuel Todd, Darmanin et Nicolas Bedos fusionnent) dit qu’en gros, imagine t’es une meuf cis. T’es un baby, t’as 2 ans, t’es là, tu manges ta Play-Doh à paillettes tranquilou, tu fais ta life, détendue de la zézette. Puis PAF t’as 3 ans, et ça te percute : t’as pas de zizi, et c’est hautement problématique. À partir de là, ta vie tournera autour de cette absence de bite. Parce que toi tu le veux le zizi, ça pend, c’est flasque, on sait faire l’hélicoptère avec : banco, sur la wishlist.

Et puis tu passes ta vie à décidément pas t’en remettre. L’impossible deuil du zgeg te mène alors à considérer ton sexe à toi comme défavorisé une fois adulte (et ça te fait des générations de féminiss’ à qui faut apprendre les bases de la décence). Là-dessus, envie, jalousie et tutti frutti. Et nous y voilà, le cœur du problème mais aussi de toutes les explications de tous les problèmes du monde à tout jamais : les femmes elles en veulent aux hommes, parce qu’ils n’ont pas été castrés, eux.

Alors que cellui qui n’a jamais fantasmé le pipi nature sans niquer ses baskets me jette le premier pisse-debout. Mais de là à nous coller une jalousie de la teub, je suis pas sure-sure.

« Femme castratrice », c’est l’anagramme de « total bullshit »

C’est peut-être un bon moment pour rappeler que si cette théorie semble fumeuse, c’est parce que qu’elle l’est. Quand je dis fumeuse, c’est qu’elle ne repose sur rien du tout. Mais genre, du tout. T’sais comme si moi je disais « c’est marrant, à chaque fois que les mecs disent qu’ils font quelque chose à la maison, c’est les tâches où t’as le moins envie de crever d’ennui ». Avoue là, j’te balance ça comme ça, sans preuve, t’as pas très envie d’y adhérer à ma théorie, you want more, et t’as bien raison.

Alors je dois faire des observations, mener une enquête, produire des stats, pour pouvoir affirmer en toute quiétude ensuite « ah bah oui tiens, les tâches que les mecs rechignent le plus à faire sont les trucs magistralement chiants comme le repassage (que plus de 70% des hommes n’effectuent jamais), faire les poussières, trier le linge, nettoyer les sanitaires, laver le sol, changer les draps, alors que les mecs s’occupent pépouze de sortir les poubelles (méga relou mais pardon ça prend royalement 60 secondes 2x par semaines, c’est pas non plus le goulag), cuisiner (et tout bien poster sur les réseaux pour bien montrer comme c’est un mec qui « aide sa femme »), faire les courses (l’enquête ne dit pas qui fait la liste des courses, mais nous on sait que c’est toi, t’inquiète, on te voit) et faire la vaisselle (t’sais en boudant qu’y’a une casserole pleine de sauuuuuce, pendant que toi tu fais des bruits de chats malade en récurant les chiottes) ».

My point c’est quoi, au-delà de me faire plaiz en mémorisant les chiffres qui suivront mon prochain « oh tu cuisines, how cute » ? C’est que pour affirmer quelque chose, il faut des preuves, ou au moins des tendances, qui viennent supporter ce qu’on affirme. Sinon ça s’appelle pas un fait, mais un vœu magique. Comment donc Freud s’y prend-il pour élaborer une théorie aussi fortiche, alors ? Et bien, il s’y prend pas. Mais alors là, pas du tout.

Freud dit de lui qu’il n’est « absolument pas un homme de sciences » (Freud, cité dans Van Rillaer), Freud ne voit pas l’intérêt des statistiques, Freud sait que les histoires de ses patients « se lisent comme des nouvelles et sont pour ainsi dire privées de l’empreinte de sérieux de la scientificité » (toujours Freud). En fait, depuis les années 1930, plein d’études ont testé méthodiquement les théories freudiennes, et n’arrivent pas à les confirmer.

Alors le problème est pas tant d’écrire plein de trucs sans être scientifique, ça donne même d’excellents romans. Par contre, quand un site comme Passeport Santé reprend ce genre de lexique sans le contextualiser et nous torche un vomitif naturel en forme d’article psychologisant sur les filles, femmes, mères, qu’il faudrait reconnaître comme castratrices, c’est sérieusement problématique. Qu’un site médical se retrouve à présenter des conseils basés sur du total bullshit, on frôle la faute professionnelle.

Freud, passion mysogynie

Je me permets d’insister aussi sur la dimension particulièrement sexiste de la pensée freudienne. Un exemple parmi un million, Freud affirme que l’infériorité intellectuelle des femmes est « un fait indubitable ». Voilà voilà, bonne ambi. Ne venez pas me dire « oui mais il pouvait pas faire autrement, c’est l’époque ». L’époque de Freud c’est aussi la grande époque des suffragettes, Freud est contemporain de Beauvoir, enfin à un moment les excuses c’est bon hein.

Prise dans son jus, l’idée de « femme castratrice » est donc sexiste comme son papa, et sert à justifier les clichés les plus pratiques pour la bonne tenue des rôles de genre actuels. Par exemple (attention alerte « lien random »), comme elles n’ont pas de kékette, les filles et femmes parlent plus. Voilà voilà.  « Les filles ont généralement la langue bien pendue, parce que, justement, elles n’ont pas de zizi. Il faut bien qu’on les remarque par autre chose », nous écrit avec beaucoup de sagesse (lol) la psychanalyste de premier plan Françoise Dolto. C’est quand même rigolo parce qu’à nouveau, si on se tourne vers le réel et pas la fiction psychanalytique, on voit quoi ? Les filles et femmes sont plus souvent interrompues quand elles parlent, « majoritairement par des hommes, indépendamment des niveaux d’intimité, des attributs de personnalité ou du statut des participants en interaction, que ce soit dans la sphère professionnelle, sociale ou privée » (Carvalho, 2021), et ce dès l’enfance. Encore un bon point pour la science, bien ouéj Sigmund.

L’envie de pénis des femmes permet aussi de justifier la plus grosse arnaque de tous les temps, celle qui consiste à faire croire aux femmes qu’elles ne sont valides qu’à travers leur rôle de mère, car en grandissant, « le souhait d’avoir un enfant a ainsi pris la place du souhait du pénis » (oui, c’est une citation de Freud). Dans son livre Les désillusions de la psychanalyse, l’ex-psychanalyste aujourd’hui repenti Jacques Van Rillaer explique que « [s]elon Freud, la réussite de la vie conjugale dépend de la capacité de la femme à abandonner le désir du pénis pour le désir d’un enfant, et de considérer son mari de la sorte [il cite Freud] : ‘Le mariage n’est pas assuré tant que la femme n’a pas réussi à faire de son mari aussi son enfant et à agir à son égard comme la mère’ ». 

Alors oui, ce sont des considérations qui appartiennent au monde spécieux de la psychanalyse, mais ça signifie que quand tu utilises cette notion (ou que quand Luc-Bichon le fait à la machine à café pour parler de son ex) comme si elle renvoyait à une réalité, c’est aussi tout ça de sexisme que tu charries, que tu le veuilles ou non.

« Personnalité toxique », supplément sexisme

D’après l’article de Passeport Santé, une « femme castratrice » est « oppressante, parfois blessante et jamais satisfaite […]. Toxiques pour elles-mêmes mais aussi pour leurs proches, elles dominent. » D’accord, on part donc sur un excellent capital sympathie. Mais le problème au fond n’est pas tant de proposer aux hommes de ne pas côtoyer des femmes qui leur cause du tort (ce qui est, en soi, plutôt une riche idée pour une vie amoureuse épanouie). Le problème n’est pas, donc, qu’il existe un terme pour désigner une personne toxique dont il faut s’éloigner au risque d’y laisser sa joie de vivre. Mais en fait, « personne toxique » (qui revient d’ailleurs énormément dans les articles sur les femmes castratrices) fonctionne très bien.

Ah oui mais non. J’oubliais un détail de poids : si au lieu de parler de « femme castratrice », on utilise le terme plus neutre de « personne toxique », on se coupe de tout un monde enchanteur de propos sexistes. Parler de femme castratrice permet en effet de parler de toxicité comme si c’était un trait spécifiquement féminin, étant donné que la notion n’existe pas au masculin : lier ça au pénis, c’est l’idée misogyne du siècle, ça assure qu’on ne puisse pas si facilement retourner l’injure.

Associée exclusivement au féminin, la « femme castratrice » parle aussi de la peur que nous devrions avoir des femmes qui veulent (légitimement, #patriarcat) plus de pouvoir. La notion de pouvoir est constamment ramenée sur le tapis, en premier lieu dans l’article de Passeport Santé pour qui « une femme castratrice est celle qui veut le ‘phallus’ (le pouvoir) pour elle seule ». Ainsi, utiliser cette notion qui sonne bien solide, bien psychiatrique (même s’il n’en est rien du tout), permet au calme de pathologiser tout comportement qui ressemble à une prise de pouvoir de la part d’une femme. Il existe un flou sémantique (c’est le problème des notions qui reposent sur du vent) par lequel « femme castratrice » désigne à la fois une personne toxique dont il faut (à raison) se prémunir, et une femme qui fait preuve d’agentivité.  

Alors moi je veux bien, mais je crois qu’il y a une petite faille argumentative : si on est aussi toxique à partir du moment où on VEUT le pouvoir, l’urgence consiste éventuellement à interroger le comportement de ceux qui ONT le pouvoir.

La femme castratrice est un mec

Dans l’article, on a cette magnifique définition du comportement de la « femme castratrice » qui permettrait de la débusquer. Je vous laisse déguster : « En couple, la femme castratrice fait la loi. À son compagnon, elle donne le sentiment qu’il n’est pas à la hauteur, qu’il ne peut jamais la satisfaire en général. Elle n’hésite pas à l’abaisser, à répondre à sa place en public. Plier l’individu à sa vision des choses, à ses besoins et parfois même à ses fantasmes les plus intimes et sordides, est une façon pour elle d’avoir le dessus. De toutes les façons, elle est toujours plus intelligente, mieux que lui. Elle priorise ses désirs, ses besoins sans tenir compte du tout de ses besoins à lui. La femme castratrice n’a pas conscience de l’être. C’est sa nature, pour elle, c’est ainsi que va le monde. » Mais… Attends un peu… La femme castratrice… Ne serait-ce pas *TIN-TIN-TIN-TIIIN* : un Jean-cis-hétéro-sexiste-de-base ?

Attends, ose me dire que tu penses pas à ton ex si t’es une meuf hétéro, ou à n’importe quel pote de ton pote : « En couple, Jean-Pine fait la loi. À sa compagne, il donne le sentiment qu’elle n’est pas à la hauteur, qu’elle ne peut jamais le satisfaire. Il n’hésite pas à l’abaisser, à répondre à sa place en public. Plier l’individu à sa vision des choses, à ses besoins et parfois même à ses fantasmes les plus intimes et sordides, est une façon pour lui d’avoir le dessus. De toutes les façons, Jean-Pine est toujours plus intelligent, mieux qu’elle. Il priorise ses désirs, ses besoins sans tenir compte du tout de ses besoins à elle. Le mec cis hétéro sexiste de base n’a pas conscience de l’être. C’est sa nature, pour lui, c’est ainsi que va le monde ». À s’y méprendre, avoue.

Ma question est donc la suivante : quid des hommes qui ont précisément ce comportement ? Je vous l’demande ? On fait quoi des mecs qui viennent te phagocyter la joie d’être en vie dès que t’as le malheur d’être en couple avec eux parce qu’ils pensent que tu leur appartiens ? On les appelle comment, ceux qui violent, humilient, exercent le pouvoir de leur bite pour mieux te contrôler, ceux qui écrivent des livres pour dire comment avoir l’emprise sur nous, ceux qui mansplain, ce qui est quand même la preuve la plus éclatante de ce qu’ils se pensent constamment plus malins qu’une meuf, ceux qui priorisent leurs désirs, leurs envies, leurs besoins en couple, au boulot, en famille, entre ami.es ? Enfin pardon hein, mais il me semble quand même qu’il y urgence à désigner l’équivalent masculin, qui n’a en vérité rien d’équivalent étant donné qu’il exerce ce comportement avec le pouvoir, lui. Parce que vu d’ici, on dirait surtout qu’à comportement égal, on a droit à un traitement pour le moins différencié. C’est quand même intéressant qu’on ait un terme pour désigner (et pathologiser au passage) une femme qui veut le pouvoir, et que le terme pour un mec qui l’a, le pouvoir, c’est juste « un mec ».

D’où tu vends de la culture du viol pour la St Valentin?

Dans un rayon de la Fnac (oui je vais parfois à la Fnac, et oui la pureté militante est un leurre) trône une forme de matérialisation de la culture du viol : les livres sur la séduction de l’étalage spécial « St Valentin ».

Alors non, je suis pas née de la dernière sortie fasciste de Darmanin, je ne découvre pas les « comment la pécho si elle veut pas », mais je vous assure que là, ça dépasse l’entendement, surtout grâce à la présence au milieu du rayon, bien en évidence, du livre L’art de la séduction, qui n’est ni plus ni moins qu’un manuel de mise en place d’une relation d’emprise. Et joyeuse St Valentin.

Ce livre semble avant tout construit sur un paradoxe: comme les femmes peuvent décider elles-mêmes si elles veulent de toi ou non, il faut les y contraindre. Ainsi, l’objectif n’est à aucun moment de respecter ce que souhaite la personne que vous désirez ken, mais d’obtenir un « oui » ou, plus précisément, quoi que ce soit que vous serez en mesure d’interpréter comme autre chose qu’un refus (même si c’en est un). Ainsi, il est clair que ce livre n’a pas vocation à vérifier qu’on est désiré ni même à apprendre à susciter le désir, mais part au contraire du principe que la personne n’est pas consentante. Et s’emploie à détailler les techniques pour passer outre ce refus, posant que « la séduction est la plus belle arme de pouvoir de tous les temps ».

Arme. De pouvoir. Voilà.

Je rappelle, pour le contexte, que ce torchon est mis en avant, sur un étalage, pour ce qu’on nous présente comme la fête de l’amour.

Le champ lexical de la chasse à courre est omniprésent. On y parle de « proie », de « cible », de « victime idéale », d' »obtenir ce que vous voulez en manipulant », d' »isoler sa victime », on conseille de « rassurer d’abord, puis passer à l’attaque », on explique comment « contraindre votre adversaire à capituler » jusqu’à « porter le coup final » (oui, ce sont des citations). Un conseil revient à plusieurs reprises: une proie blessée est plus facile à traquer. Il s’agit donc de se tourner vers des personnes « souffrant de solitude ou d’un sentiment de tristesse (dû par exemple à un récent échec) ».

Ou encore:

Non seulement on n’est pas là pour plaire, mais il s’agit aussi de générer du mal-être. Je me répète, mais: ce truc est en vente, dans une librairie généraliste, toute l’année, et est mis en avant dans un rayon censé nous évoquer l’amour.

La St Valentin est, à mon humble avis, de la merde commerciale qui promeut l’idée du couple hétérocis comme objectif de bonheur unique et ultime en surfant sur les pires clichés sexistes.

Ceci étant dit, je trouve la St Valentin (au même titre que la fête des mères, par exemple) passionnante à observer pour ce qu’elle nous dit de nos rôles assignés. La force capitaliste consiste notamment à mobiliser ce qui fera mouche le plus simplement et le plus rapidement: les idées les + familières et majoritairement acceptées, en l’occurrence autour de l’amour et de la séduction. Et à cet égard, je ne crois pas qu’il faille prendre ce livre, ni sa promotion, à la légère.

Ce livre en dit long sur les normes sociales actuelles, et ce qu’il nous dit, c’est notamment qu’un refus n’est jamais définitif pour qui sait s’y prendre. Qu’il est légitime d’obtenir du sexe ou de l’attention en construisant un rapport de pouvoir. Que séduire ressemble à contraindre.

Je précise d’ailleurs: le livre ne dit pas explicitement que les « victimes » évoquées sont les femmes. Si je pense qu’un regard féministe est ici indispensable, c’est parce que les statistiques sont claires quant au fait que les femmes et personnes sexisées sont celles qui subissent de plein fouet les conséquences de cette culture du viol, de ce relativisme du consentement.

Placer cet immondice au milieu d’autres livres, dont des livres féministes, envoie par ailleurs le message absolument fucked-up que toutes ces approches se valent, qu’il y a de la place pour tout le monde, que toutes les idées méritent d’être énoncées (et vendues). Qu’un manuel d’implémentation de la culture du viol à l’échelle d’une relation mérite d’avoir sa place dans un rayon de librairie. Vous réalisez? Mais quelle honte.

Ce livre est une honte, et les revendeurs (notamment la Fnac), l’éditeur (Alisio) et bien sûr l’auteur (Robert Greene) devraient avoir infiniment honte.

D’où tu connais pas les règles secrètes des fêtes de fin d’année en famille?

1. On répond « D’où ? » à toutes les questions cata.
-alors c’est pour quand un petit bébé ?
-d’où?

-et alors comme ça, t’es toujours célibataire (souvent prononcé « seul.e ») ?
-d’où?

-ah t’es sûr.e que tu veux te resservir ?
-d’où?

2. On ne quitte pas la table pour débarrasser/aller chercher un plat tant qu’un homme s’est pas levé pour le faire. Pas besoin de leur expliquer les règles ils vont finir par comprendre. Par contre ça peut prendre quelques minutes de long silence gênant (pour eux).
Bonus: quand ils ont débarrassé ou ramené les plats, demander « tu veux de l’aide ? »

3. On compte calmement et à voix haute le nombre de fois que des mecs cis coupent la parole.
« 1x. Non non vas-y poursuis. 2x. Je t’écoute hein. 3x. Tu disais? Etc. »
À chaque fois qu’on arrive à 10, on se lève pour un slow clap.
Fun times.

4. On plante sérieusement son regard dans celui de la personne qui veut nous forcer à être le.a militant.e de service, et on commence à lui chanter une chanson. Jusqu’à la fin. Quoi qu’il arrive. Même quand la personne se lève ou essaye de commencer une autre conversation. Éventuellement de plus en plus fort.
Perso je partirais sur :
-Option a/ »if… I… shou-ou-ould stay… », préférablement chantée en yaourt
-Option b/frère Jacques, mais en faisant des vibes de diva

5. En cas de pression à la pédagogie, avoir quelques citations random et interchangeables sous la main. Si tu les dis avec conviction et un regard suffisamment profond, ça passe crème.
Par exemple (regard profond): Tu sais Charlentin, « tu connais la jungle, ça fait partie de toi. Mais l’exploration n’est pas un jeu » (Donna Harraway. Nan je déconne c’est Dora l’exploratrice)

6. Sont des réponses parfaitement acceptables:
-Non.
-Parlons d’autre chose
-ça va la transphobie /grossophobie/ mysogynie/ le racisme/l’homophobie là ?
-ça te regarde TELLEMENT pas (après un éclat de rire tête en arrière, pour plus d’effet)
-je suis là pour les cadeaux
-c’est pas moi qui m’énerve, c’est toi qui m’énerve

7. Faire semblant de prendre un appel est une façon tout à fait légitime d’aller faire une pause.
Après on peut même s’inventer une vie et tout:
« Ah, mon agent ».
« Ah déso je dois décrocher, vu la débâcle à la dernière pleine Lune, gros débat sur la pertinence de la sauge dans la cérémonie du sacrifice – heeeey bitchiiiiz, bien ou bien ? »


Prenez bien soin de vous. Tout en gardant en tête que faire nombre quand quelqu’un.e dénonce des propos réac, ça fait son petit effet, et ça décharge et soutient celleux qui ont pris la parole. Quelle que soit la façon dont vous passez les fêtes, et que cette façon soit choisie ou imposée, plein de love sur vous. Plein.

D’où il pue le mépris ton pull Lidl ?

Mais bonjour les ami·es du prêt-à-porter chic et tendance, comment ça va ? Moi bof bof. Enfin si, d’un côté ça va parce que je me suis nourrie en continu de Ferrero Rocher aujourd’hui et c’était bien. D’un autre côté : quoi le fuck, les riches que ça fait marrer de porter du Lidl ?

OK, laisse-moi t’expliquer tout ça pour que tu comprennes pourquoi je tape présentement ces mots avec un sourire qu’on pourrait qualifier de : figé. Lidl a mis en vente, pour la modique somme de 8,99€, des pulls de Noël, qui bardé de flocons, qui flanqué des marques fétiches de l’enseigne, qui encore agrémenté de lampes LED clignotantes et oui, quand je suis énervée parfois j’écris comme dans un Lonely Planet. Moins de 2 semaines plus tard, tous les magasins belges étaient en rupture en stock, plein de médias avaient parlé des pulls moches-mais-must-cependant de Lidl et les vêtements se revendaient à prix d’or sur le dark web (non ça j’exagère, mais à 50€ sur ebay).

On la connait par cœur la hype de l’indigence, toutes les formes de récupération de ce qui est considéré comme méprisant, gênant, honteux, inférieur, piteux ou sale jusqu’à ce qu’il soit ramassé par les classes dominantes pour devenir chic. Du sac Ikea à celui, littéralement 2000x plus cher de Balenciaga, du graffiti dans le code pénal à la vente en millions quand on s’appelle Banksy ou Louis Vuitton, oui, on connait. Mais ces exemples concernent un passage fulgurant d’éléments réservés aux classes populaires vers les riches des riches, celleux qui ne font pas semblant.

Le truc avec Lidl, et qui me fait bondir d’autant plus vite, c’est qu’on n’est pas dans ces hautes sphères de la thune dont on peut facilement se sentir tout à fait déconnecté·e. On est dans un espère de ventre mou de la classe (ou plutôt ce qu’on présente comme tel), et du coup le mépris semble peut-être moins spectaculaire, plus banal, donc aussi plus acceptable.

Dans les (nombreux) articles sur ce coup de com’ de Lidl, un passage a retenu mon attention et m’a fait faire la prouesse de lire tout en roulant des yeux à m’en polir les orbites : Libé détaille les différents aspects trop start-up nation qui font que cette vente de pulls de Noël est décidément un sacré coup marketing bien rôdé.

À côté des stratégies ‘vente en Belgique et en France avec date de sorties différentes’ et ‘la rareté fait acheter’, Libé identifie aussi ceci : « L’engouement autour de l’enseigne découle d’une stratégie mise en place dès 2014 : Lidl promet à sa clientèle la fin du déclassement et de la honte sociale. Elle n’est plus composée d’acheteurs lambda qui se rendent en loucedé dans un magasin froid, distant et avare en communication. Tel le Futé d’Agence tous risques, ils sont à l’affût des bons plans et font des achats tendance sans que leurs comptes en banque fassent des loopings. »

Bon premier point : la réf à l’Agence tous risques. Il faut cesser maintenant avec les références d’antan. Oserais-je suggérer un abonnement Netflix ? SINON, ce passage réussit l’exploit de réitérer la suggestion qu’il faudrait avoir honte d’aller au Lidl, tout en nous annonçant que c’est bon, c’est fini, plus personne a honte parce qu’en fait y’a plus de pauvres (oui, en fait y’a des gens pauvres, on t’a fait croire que c’est un gros mot pour qu’on en parle pas trop, au top sur la stratégie de com’ les capitalistes). Oui, ce jour est arrivé : toustes les pauvres se sont visiblement auto-reconverti·es en bobos désormais ravi·es d’afficher fièrement leur appartenance au monde de Lidl. Y’a pu de pauvres, que des petit·es rusé·es qui cherchent le bon plan. La magie du monde de demain, j’imagine.

Non mais tu réalises l’outrecuidance ? La profondeur de la condescendance ? Que Lidl essaye d’avoir des magasins moins froids, soit, très bien, j’adore, mais qu’on en conclue que Lidl promet « à sa clientèle la fin du déclassement et de la honte sociale » ? Et que depuis, ce sont plus les pauvres honteux·ses qui composent la clientèle, mais les futé·es qui aiment les soldes ? Tout va bien, maintenant tout le monde a la classe en allant au Lidl, c’est ça ? S’agirait peut-être d’arrêter de mépriser la pauvreté avant, nan?

Parce que permettez-moi de me hérisser sur un point qui, peut-être, vous aurait échappé : il est absolument clair que les pulls kitsch avec Lidl écrit en grand partout, sont valorisés socialement dès lors qu’ils sont portés par quelqu’un.e qui, en fait, a un niveau de vie (par là j’entends : les sous, mais pas que) qui lui permet de porter ce pull de façon tout à fait ironique. Et tu sais ce qu’elle dit cette ironie ? Elle dit « Regarde comme c’est drôle, je porte un pull d’une marque dont je devrais avoir honte ». Elle dit « regarde on fait comme si j’étais pauvre sauf qu’en vrai non donc c’est drôle ». La seule raison qui te permet cette distance ironique, c’est précisément que tu as ce luxe (oserais-je dire ce privilège) de la, fucking, distance. Tu peux te permettre, sans que cela n’entame ton capital social voire en l’augmentant, de trouver que porter une marque de pauvres, c’est drôle, c’est edgy, c’est esprit de Noël. C’est pour du semblant. C’est de la honte pour du semblant.

Parce que ce dont on nous dit qu’on doit avoir honte en fait, c’est pas d’aller au Lidl, c’est d’être pauvre. Du coup si tu vas au Lidl « pour acheter le truc décalé qui s’arrache sur ebay », en opposition à « n’être financièrement pas en mesure de faire ses courses ailleurs », tu peux tranquillement rire du discount sans jamais ressentir la gêne qui peut y être associée. Et arborer fièrement ton pull de pauvre, sans aucune stigmatisation associée, si ce n’est celle qui stigmatise quelqu’un·e d’autre que toi, donc ça va.

C’est précisément le même principe qui veut qu’une personne pauvre soit sanctionnée à la moindre faute d’étiquette, qui trahit son appartenance à la mauvaise classe. « Bourgeois » étant au même titre qu’homme, cis, blanc, hétéro, une facette de la minorité hégémonique qui constitue la norme, et à laquelle, à ce titre, nous devrions toustes vouloir ressembler, nous sommes tenu·es de laisser transparaître le moins possible, et le plus tard possible, que nous n’en sommes pas. Sous peine de sanctions sociales, dont la moquerie est l’une des formes les plus explicites (il en existe bien d’autres).

Autrement dit, les riches (pardon, « celleux qui n’ont pas à s’plaindre ») n’ayant aucunement besoin de prouver qu’iels le sont comme bah… iels le sont, peuvent dès lors se permettre d’adopter des comportements qui seraient immédiatement et parfois violemment reprochés aux personnes pauvres, et utilisés comme marqueur de pauvreté, comme témoins de ce qu’elles n’appartiennent pas à la bonne classe.

Pour le dire platement : péter, roter, chier la porte ouverte, mais aussi jurer, s’habiller avec des vêtements de seconde main, avoir une barbe de quelques jours, être décoiffé·e, être impoli·e, être bordélique, parler mal aux gens, tous ces comportements sont autrement acceptés en fonction de qui les incarne.

Attention je ne dis pas que les riches (pardon, « les personnes aisées ») ont intérêt à adopter ces comportements, qu’ils sont invisibles quand ils sont adoptés par des riches ; je dis que les riches peuvent se le permettre, que la sanction n’est pas la même et qu’un·e riche (pardon « quelqu’un·e de classe moyenne-moyenne supérieure ») adoptant ces comportements n’a aucune raison d’être perçu comme n’appartenant plus à la bonne classe, tandis que les mêmes comportements adoptés par un·e pauvre seront immédiatement perçus comme des marqueurs de (la mauvaise) classe.

Un·e pauvre qui rote à table, et c’est la preuve de sa non-appartenance, c’est la preuve que c’est toute sa classe qui est dégueulasse et ne sait décidément pas se tenir. Un·e riche qui rote à table, c’est entre irritant (perçu comme un défaut de caractère individuel) et drôle.

Vous imaginez donc bien la pression qui pèse en permanence sur les classes inférieures, qui doivent constamment donner les gages de ce qu’elles ont bien compris les codes disqualifiants, la blague amère étant qu’aucun code n’est, en revanche, qualifiant, ou alors au prix d’un long et souvent douloureux transfuge. Que même quand on upgrade sa classe, ces codes te collent.

Donc quand vous nous sortez vos petits pulls Lidl pour montrer à quel point vous êtes décidément trop cool, moi je pense à ma leçon de vie en primaire d’avoir un pull joli jusqu’à ce que mes copines sachent d’où il vienne. Je pense aux années que ça m’a demandées pour retourner au Aldi sans gêne d’y être vue et sans culpabilité d’être gênée parce que je savais que ma maman faisait au mieux. Je pense à la gêne qui pousse à ne pas aller réclamer les 3€ qu’on avait dit qu’on me rembourserait. Je pense aux fois où quelqu’un·e décrète qu’on va diviser la note alors que j’ai choisi mes plats en fonction de mon négatif. Je pense à un·e collègue qui trouve très cocasse que la pochette de mon PC vienne de chez Wibra. Je pense à une AG où chaque personne présente se découvre un point commun-mais-dis-donc-quel-hasard : chacun·e, à part moi, a un·e architecte dans sa famille très proche (ça fonctionne aussi avec les médecins, c’est les mêmes familles).

Et pour paraphraser avec plein d’humilité les mots brillants de Kaoutar Harchi que j’ai eu le plaisir d’aller écouter dans une librairie bruxelloise (en dialogue avec Amandine Gay, oui c’était aussi magnifique que ce que ça sonne), quand je dis « je », je me le permets parce que je sais qu’on est plusieurs à se reconnaître dans ces exemples. Ce « je », je me le permets parce qu’il est un miroir, qui reflète un « nous ». J’ouvre une parenthèse, mais Amandine Gay a d’ailleurs eu cette formule que je trouve parfaite, en parlant des savoirs des personnes racisées, et de qui prétend produire un savoir universel : « La minorité hégémonique des hommes blancs parle en ‘nous’ pour dire ‘je’ ; nous, on parle en ‘je’ pour dire ‘nous’ ». Fin de la parenthèse (dont t’avoueras quand même qu’elle valait le détour).

Je voudrais conclure en soulignant qu’il n’y a pas de honte à aller au Lidl pour chercher le bon plan. Il n’y a pas de honte non plus à aller au Lidl parce qu’on n’a pas les sous pour Carrefour. Enfin si, y’a de la honte, ou plutôt il devrait y en avoir, mais pas de ce côté-là. Plutôt du côté des puissant·es qui effacent la pauvreté en parlant de « précarisation » ; du côté de celleux qui éludent systématiquement les questions de classe comme si ça ne pouvait être que secondaire, ou oublient d’en examiner l’intrication serrée entre ce système d’oppression et celui du racisme, de l’impérialisme, du sexisme ; du côté de celleux qui prennent « il faut choisir ses combats » à la lettre ; du côté de celleux qui, confondu·es jusqu’aux sourcils dans leurs privilèges, pensent encore que l’appropriation, la récupération et la ridiculisation des codes des classes qui galèrent est un ressort comique, léger ou acceptable.

D’où tu crois pas les victimes ?

J’en peux plus en fait. Je vous propose qu’on déplie toutes les questions autour des raisons pour lesquelles on croit pas les victimes. Parce qu’en vrai tous les arguments tiennent à un fil de mauvaise foi. Donc ouais, non, juste non.

En matière d’agression sexuelle, la panoplie du parfait enfoiré à qui on la fait pas contient pêle-mêle : la meuf elle ment, les preuves sont fausses, les faits sont biaisés, le féminisme est dictatorial, cancel culture, c’était mieux avant, et la présomption d’innocence dans tout ça. Parce qu’envisager que les victimes disent la vérité n’est pas sur la carte. Parce qu’il est plus confortable de protéger les agresseurs. Ça éloigne d’autant la nécessité de sa propre remise en question. Petit rappel : il n’est pas nécessaire de haïr explicitement toustes celleux qui ne sont pas des hommes cis pour être sexiste ; il suffit de leur accorder moins de valeur.

Pour info, je fais le choix dans ce texte de genrer les victimes de violences sexuelles au féminin, et les auteurs de ces violences au masculin, pour refléter la majorité statistique de part et d’autre.

Combien de paroles de victimes pour arriver à l’équilibre

Je lis la colère de Margot Pinot face à la relaxe d’Alain Schmitt pour faute de preuve, son témoignage, la flaque de sang et les photos de son visage tuméfié ne faisant pas le poids face à « spa moi ». J’ai en tête les 8 femmes qui accusent PPDA d’agression sexuelle, les 8 femmes qui accusent Zemmour d’agression ou comportement déplacé à caractère sexuel, les 5 femmes qui ont accusé Nicolas Hulot dans le reportage d’Envoyé Spécial et les autres qui l’ont fait hors-champ, les 25 femmes qui ont accusé Donald Trump de viol, agressions ou comportements déplacés à caractère sexuel…

Et je me retrouve comme 1000x devant ce constat : dans la balance, la parole d’un homme cis pèse plus que celle de plusieurs femmes. Relis ça. Encore. C’est quelque chose hein ?

Alors bon, je sais qu’on connait ça par cœur mais je vais quand même le répéter comme on est là pour ça : bien qu’il soit difficile d’obtenir des chiffres précis (par exemple parce qu’il n’existe pas de consensus sur ce qu’est une fausse accusation), les cas de fausses accusations concerneraient entre 2 et 10% des accusations. Alors moi je veux bien qu’on prenne ses grands airs pour faire semblant que l’argument « et si jamais elle ment » tient la route, mais à un moment va falloir se rendre à l’évidence, qui est que choisir cette option-là est tout bonnement de la misogynie. C’est purement et simplement, en dépit de toute logique et aveugle à la réalité statistique, tirer la conclusion la plus idiote.

Sauf qu’expliquer ça par la bêtise ne tient pas longtemps. J’en peux d’ailleurs plus des « faut éduquer », « si on leur expliquait mieux », « c’est un problème de conscientisation ». Non, c’est une façon d’assurer le maintien de l’impunité. Extrêmement efficace d’ailleurs, étant donné qu’il est estimé en Belgique que 8 victimes sur 9 ne porteront pas plainte. En effet, Femmes de Droit confirme que « les viols et les agressions sexuelles sont les crimes et délits pour lesquels les victimes portent le moins plainte », ce qui est tout à fait logique étant donné que la crainte de ne pas être cru·e est un frein pour parler (no shit), d’après moi-même et 90% des Belges.

Ne pas croire les victimes qui parlent, c’est un exemple. C’est une démonstration de force. Quand tu dis, quand tu penses « quand même, pourquoi il aurait fait ça », « quand même, faut pas écarter la possibilité qu’elle exagère », c’est le patriarcat en action, à travers toi.

Victime coupable

Pourtant, ces prises de parole sont encore largement considérées comme soutenant un désir de vengeance, une volonté de nuire, une attirance pour le glam et les paillettes de la vie de victime publique dont on se demande encore où vous pouvez aller chercher ça ailleurs que dans une nauséabonde mauvaise foi, et donnent encore lieu à d’immondes shitstorms d’insultes, soupçons et remises en question.

Mais il est nécessaire de comprendre ce qui se joue dans ces réactions: si en entendant les propos d’une victime, tu décides d’emblée qu’il faut prioriser la piste de l’innocence de l’accusé, ça implique automatiquement que tu priorises aussi d’emblée la piste que la victime, pour une raison ou pour une autre, ne dit pas la vérité.

Et c’est comme ça que les personnes qui portent plainte pour viol ou agression sexuelle deviennent tout calmement accusées. De mentir, de tordre les faits, d’être vénale, de l’avoir cherché, de pas être partie, d’avoir porté un pull, d’avoir cédé, de pas en avoir parlé à suffisamment de personnes, de pas avoir porté plainte directement, de pas être assez dévastée, d’être tellement dévastée qu’il doit y avoir d’autres problèmes, d’avoir un mode de vie suspect.

Ainsi, celleux qui hurlent à la présomption d’innocence s’avèrent bien souvent incapables de la nuance qu’iels réclament pourtant comme si c’était leur doudou. La présomption d’innocence ne signifie pas qu’il faille décider que toi, avec zéro knowledge de quoi que ce soit, décides maintenant qui ment. On l’a vu, statistiquement, partir du principe que les accusatrices mentent a peu de sens. En épistémologie, on recommande un principe de raisonnement qui s’appelle le principe de parcimonie : face à plusieurs hypothèses, on privilégiera « celle qui cadre le mieux avec ce que l’on sait déjà du fonctionnement du monde ». Une façon d’obtenir un aperçu sur le fonctionnement du monde ? Les statistiques, darling.

Parce qu’en vrai si l’idée de croire « sur parole » les victimes t’arrache ta petite gueule, alors explique-moi un peu en quoi l’idée de croire « sur parole » que les agresseurs n’ont peut-être rien fait te semble plus convaincante ? Sur base des éléments dont on dispose, l’hypothèse la plus parcimonieuse est que s’il y a accusation, il y a de très grandes chances pour qu’il y ait effectivement eu agression. Ça ne veut pas dire que c’est toujours le cas, ça veut dire que partir du principe que ça n’est jamais ou rarement ou minoritairement le cas est une conclusion tout à fait hors-sol.

La misogynie du doute

Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que ce recours constant à l’importance de douter de la parole des victimes est une petite spécificité sexiste comme on les gerbe volontiers. Parce qu’en vrai, personne gueule au vice de procédure quand il s’agit des notions de détention provisoire ou de flagrant délit par exemple, or ce sont par définition des démarches ancrées dans le soupçon de culpabilité, non dans une culpabilité avérée. Si je dois te choper en flagrant délit, c’est que je te soupçonne et que j’ai besoin de prouver que ce soupçon est avéré, sinon j’ai pas besoin de flag. « The Wire » en mode présomption d’innocence comme on l’exige dans les cas de violence sexuelle, y’a pas de série, tu vois c’que j’veux dire ?

Ah bah oui. Ça semble logique mais rappelons-le pour les moins volontaires d’entre nous : la présomption d’innocence ne signifie pas qu’on ne peut pas accuser quelqu’un·e. Parce que sinon, comment t’accuses quelqu·une, tu vois ? Quand j’te dis que c’est absurde. Il y a, de facto, dans le fait même d’accuser quelqu’un·e de faits répréhensibles, l’idée que cette personne a commis ces faits, sinon tu l’accuses pas. Il est donc absolument logique que la procédure à laquelle on soumet un accusé ne peut partir du principe que l’accusé est coupable (that’s la présomption d’innocence for you), mais la procédure à laquelle on soumet un accusé a lieu parce qu’il y a soupçon de culpabilité.

Et cette idée ne fait chier personne tant qu’on parle d’un meurtre, de trafic de drogue, de vol… Ainsi, le doute suffit largement quand, par exemple, un ministre est écarté car on le soupçonne de détournement de fonds (qui va crier à la présomption d’innocence dans ce cas ?), par contre la suspicion d’avoir violenté une femme, ça passe crème (« onpeupassavoiraprétou »).

En 2017, le gouvernement d’Edouard Philippe en France (communément appelé le gouvernement Philippe I, et hop les Belges on est comme à la maison) présente sa démission parce que certain.es de ses ministres sont cité·es dans différentes enquêtes (sauce montages financiers et emplois fictifs), avant même que qui que ce soit ne soit condamné évidemment. Alors oui, le cas contraire existe aussi laaargement, des ministres soupçonnés qui restent en fonction.

Mais ce qui m’intéresse ici, c’est pas tellement qui reste en fonction ou non, c’est que l’opinion publique, la fâmeûûûse, estimait en grande majorité (à 70%) que ces démissions étaient justifiées. Alors même que bien sûr, tout le monde est présumé innocent dans l’affaire ; alors même qu’un des ministres (Ferrand) garantissait son innocence ; alors même que « la justice a estimé qu’à ce stade il n’y avait pas matière à enquêter » ; alors même qu’Édouard Philippe apportait son soutien aux ministres tout en reconnaissant parfaitement “l’exaspération des Français” face à une telle affaire : « Lorsqu’un ministre est mis en examen, il convient qu’il démissionne immédiatement » annonce-t-il, grand prince, sur RTL.

La présomption d’innocence ne semble aucunement bafouée, elle n’est même pas évoquée. Et pour cause : elle concerne en fait la qualité et la rigueur de la procédure qui vise à déterminer l’innocence ou la culpabilité d’un·e accusé·e, elle n’est pas une carte magique qu’on peut brandir pour trouver que c’est trop pas juste qu’on accuse quelqu’un. Et ça on le comprend très, très facilement aussitôt qu’on ne parle pas d’une forme de violence dont les hommes cis sont statistiquement majoritairement responsables. Parler de hasard à ce stade me semble au minimum obscène.

Les vies gâchées

Si le doute est utilisé à fond la caisse tant que l’accusé n’est pas reconnu coupable, t’inquiète on a aussi des belles stratégies qui puent pas du tout la mort une fois que nos héros sont tombés au combat. Ainsi, quand trouver que la victime ment surement devient moins aisé, il nous reste : trouver des excuses désolées à l’agresseur. Et là, sky is the limit, la palme revenant tout de même à la fameuse pulsion virile, aka c’est-pas-moi-c’est-ma-teub, qui consiste globalement à blâmer sa bite pour son manque de considération totale de l’intégrité physique d’un autre être humain.

Les médias jouent aussi souvent le jeu de « nos amis les agresseurs », en nous servant par exemple des agresseurs dans la tourmente à longueur de titraille (Zemmour dans la tourmente, PPDA dans la tourmente, Besson dans la tourmente, Darmanin dans la tourmente, mon conseil bien-être étant de remplacer dans sa tête « la tourmente » par « la benne à ordures à sa mère »).

Mais attention, comme on est une société d’adorables, la considération pour les agresseurs va beaucoup plus loin, jusqu’à leur souhaiter qu’avoir été [je consulte @cestquoicetteinsulte laisse-moi une minute…] des crevures de balais à chiotte ne leur portera pas préjudice pour leur bonheur futur. Mais oui : et si harceler une collègue, attraper les fesses d’une journaliste, insulter une gameuse ou violer sa meuf, lui gâchait sa vie, à lui ? En voilà des manières d’enflures pour insister sur la présomption d’innocence tout en chiant sur les victimes.

Alors petit point de syntaxe à ce propos : « ça pourrait gâcher sa vie » s’emploie uniquement pour parler des agresseurs, jamais des victimes. C’est comme ça, c’est la grammaire. Ça pourrait gâcher la vie du pauvre petit violeur potentiel. Sauf que t’inquiète que, condamnés ou pas, ça leur gâche tellement la vie qu’après avoir été accusé, on peut devenir ministre de l’Intérieur, recevoir des Césars, siéger à la Cour suprême des USA, voir une dette de 45 millions d’euros effacée parce que quand même tu fais des chouettes films, se présenter comme candidat à la présidentielle, devenir et rester président, ou faire face à zéro sanction même après avoir reconnu des faits de viol sur mineure.

Donc on va peut-être se calmer sur le gâchage de vie. Par ailleurs, au-delà de l’argument en fait un peu fucked-up qui consiste à démonter le « ça va gâcher la vie des agresseurs » par un « c’est même pas vrai », il me semble qu’une réponse plus simple et saine serait simplement : et alors ? Dans une société qui adore faire sembler qu’elle fonctionne au mérite et aux responsabilités individuelles, s’inquiéter du bien-être des agresseurs avant de (et bien souvent sans) s’intéresser à celui des victimes, le message ne pourrait pas être plus clair : la vie d’un homme cis a plus de valeur, et son corollaire, les violences sexuelles ne sont pas si graves.

La faveur de la procédure

Par ailleurs, pour celleux qui pleurent la mort de la présomption d’innocence, je vais tout de même me permettre de rappeler qu’elle fonctionne plutôt foutrement bien. Elle est en fait si bien appliquée que les condamnations sont rares : en Belgique, seuls 16% des plaintes finiront en condamnation. Ce qui ne signifie même pas encore que la personne reconnue coupable purgera une peine de prison. Si ce chiffre est effarant (je ne crois absolument pas à la prison comme moyen efficace de régler quoi que ce soit de ce merdier, mais il n’en reste pas moins que ce chiffre témoigne du peu d’usage que nous faisons du système de sanction prôné dans notre société), il devrait raisonnablement rassurer tous les stressés de la fausse accusation. Il est une preuve que le système fonctionne en faveur des accusé·es.

Mais, grand-tata-d’où, c’est quoi alors la présomption d’innocence, parce qu’on dirait bien qu’on fait que de la merde à utiliser une terminologie qu’on comprend pas ? Et bien mes petits chats, d’après la Ligue des Droits humains, la présomption d’innocence est un droit fondamental, c’est « le droit de toute personne, accusée d’un acte délictueux d’être présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie » On respire. On poursuit : « Il implique notamment que la charge de la preuve incombe à l’accusation, que le doute doit bénéficier à l’accusé. »

L’idée est donc que plutôt qu’exiger de l’accusé·e qu’iel prouve sa non-culpabilité, « une personne doit être considérée comme n’ayant rien fait de répréhensible tant que la preuve du comportement injustifié n’est pas rapportée. » Car dans bien des situations, il est extrêmement compliqué de démontrer quelque chose de négatif, d’apporter la preuve que tu n’as pas fait quelque chose, de prouver l’absence de quelque chose qui, well, est absent. Ce serait comme devoir apporter des preuves démontrant l’absence de Dieu, l’absence du monstre du Loch Ness ou… l’absence de consentement à un acte sexuel, dis donc ! Ah bah oui, c’est rigolo hein la justice quand on y pense.

Parce qu’une des difficultés dans les cas d’agression sexuelle, c’est que tu te retrouves en fait, pour prouver la culpabilité de quelqu’un·e (pour qu’il n’ait pas à prouver son absence de culpabilité), à devoir prouver ton absence de consentement. « Il découle du principe de la présomption d’innocence que c’est à la victime de prouver qu’elle n’était pas consentante [son absence de consentement]; jusqu’à preuve contraire, son consentement est donc présumé ». GOOD FUCKING LUCK.

Ça pose toute une série de problèmes, déjà parce que bon, (je cite un article de François Desprez, maître de conf à l’Université Paris Nanterre et membre du Centre de Droit Pénal et de Criminologie) « comme toute infraction, [l’infraction sexuelle] suppose une certaine dissimulation », l’agresseur va logiquement utiliser tous les moyens à sa disposition pour masquer qu’il y a eu acte répréhensible, et qu’il en est l’auteur ; ensuite, « il s’agit d’infractions pour lesquelles il n’est pas toujours aisé de disposer d’éléments matériels permettant de prouver leur réalisation (à l’inverse de la découverte d’une arme dans le cadre d’un homicide ou de l’objet dérobé pour une atteinte juridique aux biens) ». Ce défaut d’élément matériel est évidemment « d’autant plus fréquent si l’infraction a été dénoncée tardivement », ce qui est fréquent dans le cas particulier des violences sexuelles, avec toute la difficulté d’en parler face à l’armée de bouts de vomi qui va nous dire qu’on ment.

Desprez poursuit dans son article : « Ainsi la preuve d’un des éléments constitutifs de l’agression sexuelle (le défaut de consentement) se trouve facilitée, notamment par l’appréciation in concreto [ça claque à l’oral, j’te préviens] opérée par les juges. » Tu te retrouves donc à devoir prouver 1/qu’il y a bien eu acte sexuel et 2/que tu n’étais pas consentante ou plutôt, comme prouver une négative est, on l’a dit, hautement compliqué, tu te retrouves à devoir apporter la preuve qu’il y a eu contrainte, violence, menace ou surprise. Ce qui résulte assez facilement, du coup, en un accusé qui reconnaît l’acte sexuel, mais nie l’absence de consentement, extrêmement difficile à prouver par des éléments matériels. Voilààà, qu’on m’apporte de quoi me saouler la gueule maintenant svp.

Cette difficulté de récolter des preuves matérielles a un impact direct sur la lourdeur de la procédure pour la victime qui, aussitôt qu’elle s’est constituée partie civile « se soumet à la procédure : auditions, confrontations, examens médicaux ou gynécologiques, expertises psychologiques ou psychiatriques, enquête de personnalité. D’autant plus qu’en matière d’agression sexuelle, des investigations poussées sont nécessaires de manière à démontrer l’atteinte au consentement ». Ce faisant, elle se retrouve obligée de se confronter à au moins deux institutions qui ne sont pas caractérisées par un féminisme notoire ni une profonde efficacité en la matière, la police et le système judiciaire. So much for the glamour d’être une victime, non, vraiment, on adore, le rêve d’une vie, à nous la gloire.

Tribunal médiatique

Dans ces circonstances, je bénis, j’adule et je remercie les victimes qui trouvent je-sais-pas-où encore l’énergie de rendre ces informations publiques. Parler aux médias, diffuser sur les réseaux sociaux, se confier à un·e journaliste, c’est la version mégaphone de nos listes noires de gynécos pas safe, des regards entendus qui circulent entre nous sur les collègues à éviter, des groupes FB où on s’échange nos tips sur les journalistes, politiciens, artistes problématiques.

La prise de parole publique sur ces comportements, qui pourtant n’est aucunement un dû de la part de la part des victimes (genre AUCUNEMENT, on prend la parole si on le veut et c’est tout), ça peut être une mission de sauvetage. Un réseau parallèle qui fait le travail de warning, et donc de protection, vis-à-vis des dangereux. C’est donner d’autres moyens de savoir s’il y en eu d’autres. Ouvrir la voie pour d’autres. 

Individuellement aussi, vu l’(in)efficacité, la lenteur et la lourdeur de notre système, rendre son affaire publique, c’est augmenter ses chances que l’enquête soit menée sur plusieurs fronts. Donc même indépendamment de tout jugement de valeur sur cette pratique, il est clair qu’il s’agit d’une démarche tout à fait rationnelle pour que la justice se saisisse d’un dossier.

On l’oublie parfois après le 62è article torché avec les pieds qui nous raconte que Jeanine elle aime pas quand on met du sel de dégel parce qu’après ça décolore les pavés devant chez elle et c’est moche, ou quand on nous assure qu’une étude très très scientifique prouve que les gens qui mangent la peau des tomates font de meilleures pipes, mais les médias et journalistes remplissent un rôle fondamental en démocratie : une mission d’information, dans le cadre de règles déontologiques vu leur métier, et légales vu qu’iels sont des citoyen·nes.

Ainsi, un autre fun fact décoiffant sur la présomption d’innocence (on en aura appris des choses hein), c’est que comme l’indique le Conseil de déontologie journalistique belge, elle « s’applique à toute personne impliquée dans une procédure judiciaire, contraint non seulement les autorités judiciaires au sens large (les policiers, le ministère public et la magistrature assise), mais aussi les représentants de toute autre autorité investie du pouvoir public ». Et t’as vu qui y’a pas dans la liste ? La presse, dis donc. Mais oui, parce qu’en vrai, « [e]n tant que règle fondamentale de procédure pénale, la présomption d’innocence ne s’impose ni ne s’oppose au principe constitutionnel fondamental de la liberté de la presse », considérée « comme un des principes de base de la démocratie ».

Ainsi, pour résumer, les journalistes « possèdent la pleine et entière liberté de présenter des personnes comme responsables de certains faits à l’issue d’une investigation journalistique, pour autant que celle-ci aura été menée dans le respect des règles déontologiques » qui sont décrites dans cet article hyper éclairant. Et t’sais quoi, en vrai c’est ça leur taf aux journalistes. Me lance pas là-dessus parce qu’on va s’emmêler les pinceaux dans mes émotions contradictoires, mais oui, à la base C’EST ÇA LEUR TAF. Il est donc parfaitement raisonnable et juste de se tourner vers elleux pour rendre une accusation publique.

Remember Weinstein ? L’affaire a enfin pris de l’ampleur après que les journalistes du New York Times Jodi Kantor et Megan Twohey ont publié une enquête de plusieurs mois, ensuite appuyée davantage par l’article de Ronan Farrow dans le New Yorker. En août 2020, c’est Numérama et la journaliste Marie Turcan qui ont largement renforcé la vague #balancetonyoutubeur en publiant une enquête ultra fouillée autour de l’affaire ExperimentBoy. Idem pour le reportage d’Envoyé spécial qui respecte les règles déontologiques (respecter le droit de réplique, prohiber les informations non-vérifiées, etc.) dans le cas Hulot. Donc tu peux ranger ta cotte de maille et ton épée en bois, y’a pas de vice à dénoncer, y’a pas de « c’est pas du jeu ». C’est du jeu, et ça s’appelle la démocratie stu veux (OK je suis la première à dire qu’on vit pas en démocratie, mais avoue là ça sonnait franchement bien).

On n’a pas toustes à y gagner

Pour finir, je voudrais revenir sur l’idée qui me semble particulièrement naïve selon laquelle nous aurions toustes à y gagner de mener ce combat pour entendre et croire les victimes. C’est faux. On n’a pas toustes à y gagner, certains ont même énormément à perdre, et il me semble essentiel qu’on reconnaisse ça.

Entendre Nicolas Hulot, sans une once de remise en question, expliquer que le corollaire à la considération de la parole des femmes, c’est que les hommes sont piégés et détruits par les accusations, quand il nous explique être « anéanti » au point de n’avoir même pas la force de donner sa version des faits parce que à quoi bon, je sais pas vous, moi ça me donne envie de dépecer mon canapé en vomissant par les yeux.

Je trouve en particulier cette phrase éclairante : « La parole des gens mis en cause aujourd’hui elle est de fait dénaturée et suspecte […] vous savez très bien que ce sera parole contre parole, ce qui est normal aujourd’hui la parole des femmes est sacrée, la parole des hommes elle est mise en cause donc c’est même plus la peine de se défendre […] Quel poids va avoir ma parole dans le contexte actuel ? » Elle résume pour moi tout ce qu’on essaye de se faire croire autour du fait que les hommes ont autant à gagner dans ce combat. Non, les agresseurs, leurs potes, les « mecs bien » qui décident eux-mêmes où est la ligne, ceux qui parlent de zone grise, ceux qui profitent de leur pseudo-féminisme pour agresser, tous ont à perdre à croire les victimes et à encourager qu’elles soient écoutées et crues.

La citation de Hulot me marque parce qu’elle exprime très bien le paradoxe qui veut valoriser la « parole des femmes » (aka les accusations de violence masculine) sans perdre l’ombre d’un privilège. C’est simplement impossible : oui, choisir d’écouter les accusations, c’est accepter de prendre la mesure de la violence. C’est demander des comptes. C’est arrêter l’impunité qui autorise et encourage cette violence. C’est enrayer un système où il fait mieux vivre en tant que violeur que victime.

Parce que vu d’ici, qu’est-ce que la position est limpide quant à la valeur accordée à la vie de chacun·e, au corps de chacun·e, à l’avenir de chacun·e. Alors avoir un sursaut d’inconfort dès qu’on parle de sanctionner les agresseurs ça va deux minutes. Prendre en compte la valeur de la vie des femmes c’est pour quand ? Des minorités de genre ? Des récits de violence constants, de la colère, c’est pour quand ? C’est quand que la complaisance joue en notre faveur? C’est quand en fait qu’on s’enrage plus parce qu’une femme a été violée que parce qu’un homme a été accusé ? C’est quand qu’on arrête de s’inquiéter de celui qui fout tout seul sa vie en l’air ainsi qu’une vie qui lui appartenait pas ? C’est pour quand cette colère-là ?

D’où ouin-ouin-non-mixité?

Nos espaces non-mixtes s’accompagnent invariablement de leur lot de bouhou-bobo des povzom exclus. Mais comme généralement on a d’autres biscottes à beurrer: petite réponse prête à l’emploi.

1. Peux-tu citer la dernière fois que tu t’es rendu dans un espace féministe organisé dont tu n’étais pas exclu, pour apprendre, écouter, soutenir?

2. Quels sont tes arguments pour justifier ton refus de nous soutenir de la façon dont on te dit qu’elle serait pourtant la plus utile, c’est-à-dire par exemple financièrement, ou en prenant 100% de la charge domestique ces jours-là ?

3. Peux-tu nous jurer-cracher que tu n’auras pas de comportement pouvant déranger des personnes qui sont là pour partager autour des violences infligées par, statistiquement, surtout des hommes, comme toi ? (Astuce: si tu réponds oui, t’as perdu)

4. Quels sont d’après toi les éléments de ta socialisation qui te rendent si compliqué le fait d’écouter une demande, et de la respecter ?

5. Toutes ces questions sont rhétoriques et destinées à ta propre introspection dont, je sais c’est choquant, nous n’avons honnêtement rien à faire.

6. Maintenant tu gardes tes réflexions pour toi-même et tu prends 2 secondes pour réaliser que le temps que je prends pour t’envoyer ceci, pour justifier une demande que tu as par ailleurs très bien comprise, est du temps que je ne passe pas à m’occuper d’une lutte dont tu clames qu’elle t’importe tant.

Shut up now.


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D’où quand c’est une femme qui invente un truc ça compte pas?

OK donc je résume : tous les articles sont OK d’annoncer « le père du tiramisu » tout en reconnaissant que ce titre est au mieux partagé, au pire fallacieux. Alba Campeol (mieux connue sous le nom de « sa femme », variation du célèbre patronyme « une femme ») a en effet, selon les sources, soit inventé le tiramisu sans Ado, soit l’a inventé avec Ado. Dans tous les cas, elle a eu quelque chose à voir avec l’invention du tiramisu, mais n’a pas droit au couronnement de « mère du dessert ».

Pourquoi, me demandez-vous dans un soupir. Réponse courte: la patriarcat, bébé. Réponse longue: 3 facteurs qui nous pourrissent l’existence.

Facteur 1 : on n’a pas de mérite quand on est naturellement douée

Les femmes sont paraît-il naturellement douées pour les choses ménagères. Dès lors pourquoi diable prétendrions-nous à une quelconque forme de gratitude, de célébration ou de reconnaissance ? En revanche, les hommes n’ont pas cette facilité naturelle (parce qu’en vrai personne a le gène du récurage de chiottes), ce qui explique la fascination dont ils sont l’objet dès qu’ils décident de prendre en charge une partie du boulot. Pour « aider ».

« Oh regarde, il est venu chercher son enfant à l’écoooole »; « Ah non mais à la maison c’est lui qui cuisine hein »; « Qui sont ces hommes qui repassent le linge: notre enquête spéciale« .

Ainsi, quand Alba invente un dessert, c’est littéralement moins remarquable que quand Ado le fait. « Une femme » peut donc bien inventer une recette. Mais au-delà des fameux passages de secrets de mère en fille, faudrait pas qu’elle en tire un avantage financier ni symbolique dépassant le cadre de son royaume domestique. Pour quoi faire, comme elle remplit juste son rôle?

Facteur 2 : on a du mal à croire qu’une femme puisse penser

Alors que l’homme serait taillé pour la pensée rationnelle, quand « une femme » pense, c’est essentiellement avec son intuition féminine, avec ses hormones, avec toutes ses émotions qui la débordent bien souvent, la pauvre. Une distinction sans fondement, par ailleurs bien commode pour maintenir les rapports de pouvoir en place: le droit de vote, les fonctions d’autorité, les conflits relationnels, la revendication de nos droits, autant d’espaces dans lesquels la prétendue gestion compliquée de propres émotions peut être utilisée contre nous et tenter de nous renvoyer à ce qui serait notre place, loin de la rationalité, de la sphère publique, du prestige: du pouvoir.

Or inventer une recette et la revendiquer comme sienne demande un tel accès. Il semble donc bien plus sensé qu’Alba ait été, au mieux, un appui à l’invention plutôt que son instigatrice, pourquoi pas en dépit d’elle-même comme le suggèrent les récits à base de « c’est sur une erreur de sa femme qu’Ado a imaginé la recette ».

Facteur 3 : on a du mal à imaginer qu’une femme puisse créer

Comme « une femme » est considérée comme une éternelle enfant, comment voulez-vous qu’elle dispose de l’autonomie, l’assurance et la puissance nécessaire au génie créatif ? C’est bien connu, les génies sont des hommes, et les femmes qui y accèdent, des exceptions. « La femme » est muse, inspiration, assistante. Le génie créateur, c’est lui.

No shit, les George Sand, quand on peine à se rappeler qui est Mileva Marić. Jeanne-Claude effacée par Christo, Dora Maar et tant d’autres broyées par Picasso, la femme qui crée est automatiquement secondaire, accessoire: le créateur c’est surtout lui, vous voyez.

Et non, je ne perds pas de vue qu’on parle d’un tiramisu, et pas de grande littérature ni d’art contemporain. Non, je ne m’agace pas pour rien. D’abord parce que je préfère une vie sans Guernica que sans un dessert qui clame dans son nom son envie de nous remonter le moral ; ensuite parce que trouver un chef, un inventeur, un créateur, plus crédible au masculin, traverse toutes les sphères, donc nos vies, donc nos choix, donc nos destins.

D’où j’ai négligé l’impact de l’affaire Dutroux ?

J’ai vu le documentaire Petites, de Pauline Beugnies, qui interroge celles et ceux qui étaient enfants, en Belgique, au moment de l’affaire Dutroux. Comme moi. Ceci n’est ni une critique de film, ni un décryptage de l’affaire Dutroux, ni même un point de vue argumenté sur la gestion des questions pédocriminelles. C’est une prise de conscience.

Petites sera diffusé pour la première fois le mardi 19 octobre 2021 sur la chaîne publique belge la Trois. Ce sera la veille des 25 ans de la Marche blanche, qui a réuni en 1996 plus de 300 000 personnes à Bruxelles, dont moi, ma classe de primaire et nos ballons blancs, pour protester contre la gestion de l’affaire par les institutions belges, et assurer un travail de mémoire envers les victimes.

Parler de l’affaire Dutroux c’est remuer quelque chose de puant, raviver « un débat raté » dans la société belge, comme le dit l’une des intervenantes du documentaire. L’affaire a confronté à l’échelle nationale la douleur du deuil, l’horreur de la pédocriminalité et les failles-gouffres des machines médiatique, légale, policière, judiciaire dans le traitement de ces questions. En faire un docu, diffusé à la télé belge, la veille de l’anniversaire de la Marche blanche, c’est quelque chose.

Mais ceci n’est pas une critique argumentée du docu: je ne sais pas, à cet instant, proposer un point de vue analytique sur le film. Ma tête est trop occupée à processer ce qu’elle a vu, à se demander comment je n’ai jamais pensé à formuler le caractère structurant de cette affaire sur mon apprentissage de petite fille. Quelque chose s’est mis en place en voyant ce docu. L’impression de souvenirs partagés autour de cette affaire, sans pouvoir faire sens du fait que je n’en parle jamais.

Souvenirs

En 1995, la première fois qu’on parle de la disparition de Julie et Mélissa, j’ai 7 ans. J’ai les cheveux dans tous les sens, je grimpe aux arbres, me laver me semble être une perte de temps inouïe et le photographe m’accueille à la photo individuelle en me décrivant comme une « petite sauvageonne ». Je me suis longtemps demandé ce qui lui avait fait dire ça, alors que je portais un de mes pantalons préférés.

Je sais que c’était en 1995, mais je ne me rappelle pas comment je l’ai appris, comment j’en ai entendu parler la première fois, ce que j’en ai pensé. J’imagine que je n’ai pas compris. Je me souviens très bien, en revanche, des photos de Julie et Mélissa. En couleurs à la télé, et en mauvaise photocopies noir et blanc à l’école. Je me souviens que je les trouvais très jolies, et que les boucles d’oreilles qu’elles portaient y étaient pour quelque chose. Je me souviens que l’affaire a duré très longtemps. J’avais 7 ans, puis 8, puis 9, puis 10, et on en parlait toujours. L’impression que ça m’a accompagnée des années, à la télé, à l’école, dans les rues de mon village où j’allais seule à pied chez mes copines. L’accent des parents de Julie et Mélissa, leur visage familier dans le JT. L’ancien logo de la RTBF. Ça m’avait marqué que ma sœur s’appelle Julie et que la fille de la coiffeuse à quelques rues de chez moi s’appelle Mélissa. Ça rendait tout ça proche et absurde en même temps.

Avant même que ça soit mentionné dans le film, je me suis rappelée qu’on nous avait distribué des petits livres avec un hérisson qui disait « qui s’y frotte s’y pique » et qui nous expliquait que si on ne voulait pas quelque chose, on devait dire « non », et que notre corps c’est notre corps, et est-ce qu’il y a toujours un adulte qui sait où on se trouve. Je me suis dit que ça devait être drôlement important pour qu’on mette ça dans un livre. Et j’intègre, à 8 ans, que je dois me protéger, qu’il y a des gens qui potentiellement penseront que mon corps c’est pas mon corps, à qui potentiellement je devrai dire « non », en m’assurant qu’un adulte sait toujours où je me trouve.

C’est aussi un moment où, assez naturellement, par un glissement qui paraissait évident, ma génération d’enfants a vécu la restriction de mouvement. À tout le moins, la peur qui accompagne le mouvement. Autrement dit, l’espace public est effrayant. Soit tu n’y vas qu’en cas de nécessité, soit tu apprends à en avoir peur, pour te protéger. Je parle d’espace public, mais j’en ai retenu plus largement l’idée d’être très attentive à la proximité physique des adultes.

Avec mes copines, on se racontait entre nous des histoires d’enlèvement, des rumeurs, des paraîtrait que. On parlait d’une camionnette blanche qu’on avait beaucoup vu tourner. Et d’une berline noire qu’on devait fuir à tout prix si on la croisait. Il paraît. On nous avait expliqué aussi que les maisons avec, à la fenêtre, un triangle comme ceci les enfants, vous pouvez y aller si vous avez un problème, vous pouvez avoir confiance. Une fois je suis allée gratter un goûter dans une de ces maisons, près de l’académie de musique, juste pour voir. Parce qu’on nous avait expliqué qu’il s’agissait d’adultes validés par la police, et je me disais qu’est-ce qu’ils sont cons ces adultes, ils pensent que personne ne ment, l’idéal est d’aller vérifier moi-même.

Je me souviens aussi de la Marche blanche, et m’être dit que ça ressemblait à une fête, être mal à l’aise pendant les moments de silence, et me demander si moi aussi, j’en aurais une de Marche blanche, si jamais.

Apprentissages

Il y a une dizaine de jours j’ai donné mon premier cours d’introduction aux études de genre de l’année. Je le commence généralement en expliquant ce qui a construit ma conscience de genre et mon engagement féministe. En fonction des années, je parle du fait que j’étais un garçon manqué, et une fille manquée aussi visiblement, une « petite sauvageonne ». Du fait que j’ai appris difficilement les codes du féminin accepté, et que ne pas les intégrer puis les maîtriser aussi vite et bien que mes copines a été douloureux. Que j’ai essentiellement grandi avec ma mère et ma sœur. Je parle des Spice Girls parfois aussi, de Daria, et de mon premier vrai contact prolongé avec les théories féministes vers 20 ans. Je n’ai jamais, jamais pensé à la manière, pourtant puissante, évidente et indélébile, dont l’affaire Dutroux a influencé ma construction d’enfant-fille-ado-femme. Je n’en reviens pas de n’y avoir jamais pensé.

Petites est exclusivement composé d’images d’archives, avec les voix de différents ex-enfants de ma génération qui expliquent l’impact de l’affaire, leur perception à l’époque, et maintenant. Et tout ça m’est si familier. Je me répète mais : je n’en reviens pas.

Les hommes. La menace, la peur. Comprendre ce qu’on risque, et apprendre que « sexuelle » ça peut être précédé d' »agression » avant même d’avoir une idée claire de ce qu’est « sexuelle » sans rien attaché. Je n’en reviens pas de n’y avoir jamais pensé pour expliquer ma construction de fille, de femme, de féministe enragée et de désillusion dégoutée face au système judiciaire, légal, carcéral, médiatique. L’impact est évident. Il n’a jamais disparu.

Je repense souvent, en fait, à un tournant au bout de la rue de ma maison d’enfance, où j’ai un jour croisé une berline noire. Je faisais parfois semblant que quelqu’un me poursuivait, pour jouer. Courir le plus vite possible, monter les escaliers le plus vite possible, ouvrir et refermer la porte le plus vite possible. Avec une vraie peur, pour m’entraîner. Et ça m’est resté cette habitude. Je ne me mets plus à courir de toutes mes forces, mais je pense à la façon dont je pourrais m’enfuir de tel ou tel endroit, parfois. C’est beaucoup moins conscient qu’à l’époque comme exercice. C’est intégré maintenant, ça fait partie des réflexes qui s’actionnent sans qu’on y prête attention. Tout comme cette peur collante, permanente, que j’ai appris à comprendre mais que je n’ai jamais trouvé de raisons de faire taire totalement.

Ruptures

Voir ce docu aujourd’hui avec mes yeux d’adulte, c’est voir en transparence une de mes fondations je crois, qui ne s’est jamais effacée, qui au contraire a tellement fait partie de ma construction depuis mes 7 ans que je ne l’ai jamais vraiment détachée de moi, mis à distance suffisamment pour pouvoir la regarder.

Cette affaire est l’une des sources de ma colère, et je réalise qu’une des raisons pour lesquelles je n’ai pas conscientisé l’ampleur de l’affaire Dutroux dans ma propre construction, c’est qu’il n’y a finalement jamais eu de rupture qui m’aurait fait voir un avant et un après. La vie c’était ça, et ça l’est resté. C’est entendre adulte, de la part d’hommes adultes, des blagues sur Dutroux après avoir annoncé « attention elle est un peu salée celle-là ». Et être la seule femme présente, et entendre leurs bêtes rires gras, et avoir une boule dans le gorge, et être vidée de l’énergie qui m’aurait permise d’affronter un « hé c’est une blague hein » au lieu d’excuses.

Réaliser qu’on n’a pas vécu ça pareil. Réaliser que dans ta vingtaine, puis ta trentaine, t’es encore la boule au ventre à arracher ton droit à dire « non », mon corps c’est mon corps. À ne pas accepter qu’un adulte sache toujours où tu te trouves comme solution. Que moins de liberté pour plus de sécurité, non plus. À insister sur le fait que le problème vient des agresseurs. D’un système qui nous apprend et nous confirme que la peur peut prendre ses aises dans notre camp, oui merci on va faire comme ça. D’un système qui nous apprend que nous devons compter sur l’État, la Police, la Justice, pour nous protéger, mais que déso ça prend un peu de temps, ah ça oui faire les choses bien ça prend du temps, on peut pas tout faire d’un coup soyez patient.es. On participe activement au maintien des rapports de force en place, mais faites nous confiance les filles. Comptez sur nous.

Il n’y pas eu de rupture non plus dans la façon dont on s’adresse à moi. On n’a finalement jamais changé de ton pour me parler des inégalités que je subis et des manières dont je devrais faire face. On continue à me répéter comment dire « non », ne pas être agressée, gérer ma peur, être sur mes gardes, m’inscrire au krav maga et me demander ce que j’ai raté comme étape s’il m’arrive quelque chose, intégrer que je n’étais visiblement pas suffisamment bien sur mes gardes, affronter les questions qui me demanderont où j’ai foiré, car s’il arrive quelque chose c’est au moins aussi par imprudence de ma part, idiote. On continue à préférer qu’un adulte sache toujours où je me trouve et on attend de moi que je raconte à un adulte ce qui s’est passé, pour qu’on me réponde, comme le veut le script, que « boys will be boys, et puis c’est probablement parce qu’il t’aime bien qu’il t’embête ou te cogne ».

On décrit encore mes adorables velléités de libération en termes enfantins, me demandant de m’inscrire avant tout dans un « Girl » Power où mon empowerment doit être soutenu par l’achat de jouets à la mode, et mes revendications validées par l’autorité étatique paternaliste et patriarcale si je veux les crier dans la rue et pouvoir prétendre à une forme de protection (se résumant bien souvent à la promesse, tenue ou non, d’une suspension temporaire de la violence). Autorité qui sait d’ailleurs toujours où je me trouve. Qui me protège. Enfin bof, mais on y travaille et l’intention est là donc bon, c’est déjà ça et de toute façon vous êtes jamais contentes bande d’enfants capricieuses.

On continue de m’appeler « mon petit », « petite », « gamine », « jeune fille », « mademoiselle », généralement quand on perçoit des prétentions à ne rien être de tout cela.

On continue de prévoir légalement que j’ai besoin de mieux réfléchir, plus longtemps, accompagnée, car mes décisions sont cute mais pourraient être un danger pour les autres et pour moi-même. Qu’on veut très très fort que je devienne mère, et que si je ne le souhaite pas, c’est la preuve que je suis encore une enfant. Réfléchis encore un peu.

On continue de traduire ma colère légitime en piquage de crise. Même argumentée, venant d’un·e enfant elle ne peut qu’être perçue comme maladroite, mal informée, ou soufflée par un adulte. La radicalité est inaudible en ces termes, comme c’est pratique. Même le calme et la maîtrise ne suffisent pas: quand ils sont infantilisés, ils deviennent suspicieux, annonciateur d’un mauvais coup en préparation, d’une tentative de manipulation en vue. Les enfants sont bruyant·es, mais c’est quand on ne les entend plus qu’il faut le plus se méfier, wink wink.

Légitime et autonome

Je n’ai pas l’intention de militer pour que ma maturité soit reconnue. D’une part parce que cela sous-entendrait que le manque de maturité serait une raison suffisante pour ne pas être écoutée, d’autre part car j’en ai fini d’attendre d’institutions qui organisent au quotidien mon oppression qu’elles acceptent de me considérer. En revanche, il me semble essentiel de regarder cette infantilisation. D’en designer les formes et les contours, de la voir. En premier lieu parce qu’elle est si présente qu’on finit nous-mêmes par y croire. Qu’on doute de notre capacité à penser notre propre oppression, à penser tout court, à s’organiser, à avoir de bonnes idées, à être autonome. Ce qui ne nous empêche pas de le faire, par ailleurs.

De ce docu, il me reste l’impression d’avoir vécu quelque chose toute seule au milieu d’une foule qui vivait pourtant la même chose. Il me reste l’impression d’un bilan qui reste à faire, d’une engueulade qu’on n’a pas eue. L’impression aussi que ma confusion d’enfant s’est dissipée par la lecture, la recherche, l’écoute et l’argumentation, en interaction constante avec la pensée des autres, en somme. Puis que ma confusion d’adulte peut se nourrir de l’énergie d’une petite sauvageonne qui va gratter un Melocake pour vérifier qu’on s’est pas foutu de sa gueule.


Petites, 83 minutes, documentaire réalisé par Pauline Beugnies, produit par Laurence Buelens.

Être actuellement plongée dans l’ouvrage collectif Défaire la Police (éditions Divergences) a accompagné mon visionnage. En particulier, le chapitre d’Irene intitulé « Émancipé·e·s » a beaucoup résonné.

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D’où on n’avait pas pensé à régler la violence conjugale avec un casque de RV?

Le ministère de la justice français a proposé, pour endiguer le fléau de la violence conjugale, de mener l’expérience de fournir des détenus en casques de réalité virtuelle, afin de jouer sur leur empathie et ainsi prévenir la récidive. Y’a rien qui va dans cette idée, qui pue l’arrogance d’une politique hors-sol.

Constater que la pression devient suffisamment forte pour que les hautes instances se décident à se bouger le cul sur les violences conjugales est un indice qui me réjouit pour ce qu’il dit de la progression du débat public sur ces questions: il n’est plus de bon ton de ne rien faire. Mais si on peut le faire en ne faisant rien, bamboche assurée.

La proposition du ministère de la justice français d’utiliser la réalité virtuelle pour que les agresseurs puissent se mettre à la place de leur victime, et ainsi changer, témoigne de cette volonté-là. Certes la décision vient d’un manque de compréhension des mécanismes de la violence conjugale, mais l’erreur consiste à penser à mon sens que ce manque de compréhension vient d’un manque d’information, et non d’un désintérêt total.

Il ne s’agit pas ici de se foutre de la gueule du gouvernement qui décidément rholala encore une fois n’a rien compris, mais plutôt de prendre conscience que ces choix contribuent au statu quo voire au renforcement du problème. Parce qu’en faisant semblant qu’on y travaille, tout en n’y travaillant pas, ça apaise bien quelques consciences, mais ça mobilise inutilement du temps et de l’argent, et ça concentre l’attention (publique et médiatique) dans le sens d’une prise en charge, pourtant absolument factice.

L’approche par la récidive

Premièrement, l’objectif du dispositif annoncé est d’éviter la récidive. Autrement dit, les ressources sont mobilisées ici pour travailler à ce que les détenus ne re-violentent pas. Qu’ils ne violentent plus. Disons que c’est plus compliqué de prendre le problème plus tard que ça. C’est dire si la violence conjugale est paresseusement regardée avec fatalisme.

Pour le dire autrement, le fait que l’accent soit ici mis sur la récidive de la violence (empêcher qu’elle recommence) et non sa prévention (empêcher qu’elle commence) en dit long sur la perception du problème par le gouvernement, sur la perception que nous sommes censé·es en avoir, et sur les solutions que le gouvernement est prêt à envisager. Pour rappel, nous ne sommes pas dans une situation où cette mesure serait une tentative expérimentale parmi d’autres approches validées et informées qui ont fait leurs preuves.

Symboliquement donc, la décision de prendre le problème par ce bout est lourde de sens et envoie le message qu’on est bien désolé de la situation violente dans laquelle quelqu’un·e se trouve, mais que si ça va trop loin, que tu portes plainte, que le procès aboutit, et que l’auteur des faits est enfermé, t’inquiète on est sur le coup. Donc tant que 1/ton agresseur ne transgresse pas la loi (ce qui laisse en fait un éventail de violences conséquent) et que 2/le système ne fonctionne pas de façon à l’éloigner de toi par les voies légales, cette initiative n’est pas pour toi.

L’approche par le système carcéral

Parce qu’en effet, la mesure telle qu’elle est pensée implique aussi une claire confiance dans le système en place. Choisir d’investir dans l’expérience de la réalité virtuelle auprès des détenus pour endiguer la violence conjugale, c’est aussi refuser d’interroger les effets du système carcéral. Ou pour le dire autrement, c’est supposer que le système carcéral (j’entends par là aussi les systèmes en amont : celui qui prévoit qui va en prison, pourquoi et comment) fonctionne, étant donné que c’est la prison qu’on choisit comme terrain propice à l’intervention, supposant donc que c’est l’endroit le plus pertinent où trouver les personnes qui devraient bénéficier de ce truc de réalité virtuelle.

C’est faire semblant d’ignorer que le système carcéral n’est pas un terrain efficace pour cette expérience car il n’est pas un terrain efficace pour quoi que ce soit tant il présente de dysfonctionnements, à commencer par les conséquences dramatiques de la surpopulation des prisons (en 2019, on était à 120,6% de taux moyen d’occupation des cellules belges ; 103% en France).

Ensuite, pour des raisons structurelles, certaines couches sociales sont sur-représentées en prison : pour l’Observatoire international des prisons [section belge], l’environnement carcéral « est avant tout une ‘institution pour pauvres’ ». Si les tentatives d’essentialisation de la violence des pauvres (et des couches elles-mêmes sur-représentées dans cet ensemble, comme les populations racisées) sont tentantes pour certain·es qui en font des arguments de campagne, pour l’OIP l’explication est claire : les personnes pauvres sont simplement « davantage sanctionnées à tous les maillons de la chaîne pénale ».

La France et la Belgique n’aiment pas qu’on parle racisme (parce qu’elles ne voient pas les couleurs, spour ça), nous n’avons donc pas de statistiques de la population carcérale par origine ethnique, en revanche, il est intéressant de noter une sur-représentation des personnes de nationalité étrangère en prison (actuellement 23,2% en France et 43% en Belgique > tu réalises ?). Pour l’OIP, « une fois le pied dans l’engrenage du processus pénal, le justiciable étranger semble en effet être, à toutes les étapes de la procédure, soumis à un traitement discriminant qui, in fine, favorise l’incarcération ».

Passer par la prison est donc foireux d’où qu’on regarde le problème : soit on se penche sur le constat d’une violence physique plus présente au sein de certaines couches sociales, et dans ce cas attendre que les personnes soient incarcérées pour adresser le problème, plutôt que s’interroger sur les causes, est un foutage de gueule sans nom et ne fait que perpétuer la situation ; soit on approche la violence conjugale comme un rapport de force de genre touchant de façon égalitaire tous les milieux sociaux, et dans ce cas agir en prison est d’une indécente inefficacité et manque largement de pertinence.

Enfin, partir à ce point du principe qu’agir en prison est une idée décente suppose aussi que le système en amont fonctionne de façon efficace, juste et équitable, dans sa manière de décider qui va en prison (et qui y va plus ou moins facilement), pour quelles raisons (ce qui est puni par la loi ou pas, ce qui est puni dans les faits ou pas) et de quelles façons (on imagine les limites et difficultés posées par le dépôt de plainte, le rassemblement des preuves, les modalités de la procédure jusqu’au procès, etc. et l’impact de tout cela dans les cas de violences conjugales).

Décider d’adresser la violence conjugale via les détenus, c’est prétendre que tout ceci n’existe pas, c’est adresser le problème à un maillon de la chaîne, sans regarder tous les maillons tout pétés qui le précèdent.   

L’approche individuelle par l’empathie

La réalité virtuelle est ici utilisée avec l’objectif explicite de susciter de l’empathie chez l’agresseur qui, expérimentant la position de la victime, comprendrait la portée de ses actions. Cela montre un désintérêt total pour la littérature existante sur les causes de la violence conjugale, qui pointent les causes structurelles, parmi lesquelles les contextes de stress financier, eux-mêmes liés aux taux élevés d’alcoolisme par exemple, et insistent sur la nécessité d’une approche multifactorielle des causes des violences conjugales (un constat qui peut d’ailleurs très bien exister en même temps que celui d’une corrélation entre manque d’empathie et violence).

Les facteurs de récidive, si c’est vraiment là-dessus qu’ils veulent bosser, sont connus également. C’est l’âge de l’agresseur (au plus il est jeune, au plus il risque de récidiver) ; ce sont les antécédents criminels (les agresseurs avec des antécédents criminels auraient 3x plus de risques de récidiver en violence conjugale) ; c’est le fait d’avoir été victime soi-même d’au moins un incident criminel (qui mènerait à 1,5x plus de risque de récidive) ; l’existence ou non d’un suivi thérapeutique de l’agresseur semble aussi déterminant.

Une précision pour conclure ce point-ci et les précédents: je base ici mon argumentaire sur l’information disponible, selon laquelle le dispositif sera testé sur des personnes condamnées, en prison et en milieu ouvert. Le fait que ce sont ces modalités qui ont été choisies pour tester (et donc estimer la validité) du dispositif par le ministère est à mon sens une condition suffisante pour argumenter sur ces points-là. Cela n’implique pas que le dispositif ne sera pas destiné à être utilisé dans d’autres contextes (je vois ici que la possibilité de l’utiliser à terme comme outil de formation pour les magistrats et policiers est évoquée par exemple). Aussi hypothétique que soit cette perspective (et disserter sur des hypothèses, bon je veux bien mais j’ai d’autres biscottes à beurrer en vrai), mon argumentaire concernant ces trois points – la récidive, le système carcéral et l’approche individuelle – demeure valide à un endroit ou l’autre. Par exemple, quel que soit la public visé, l’approche d’un tel dispositif ne peut qu’être individuelle (et donc, par définition, non structurelle).

Par ailleurs, je ne parle donc pas ici de l’intérêt ou non de services à destination des agresseurs dans la lutte contre la violence conjugale, mais de l’absurdité de la manière utilisée ici. Qu’on parle de prévenir les violences conjugales elles-mêmes, ou la récidive des violences conjugales, imaginer qu’une approche par l’empathie, donc nécessairement individuelle, aura un quelconque impact significatif à grande échelle et sur le temps long, et miser l’intégrité physique, la santé mentale, et la vie des personnes violentées dans le cadre conjugal sur une intention individuelle de ce genre, est insensé compte tenu de ce qu’on sait sur le sujet.

La politique sans la recherche

Ne pas tenir compte de ce qu’on sait est en fait au cœur du problème ici. Par paresse, arrogance ou opportunisme, refuser d’intégrer la littérature existante à sa réflexion, quand on est en charge de la mise en œuvre de solutions autour de telles thématiques, c’est une honte. La recherche permet de formuler des pistes concrètes, informées par le terrain, mais aussi de réfléchir les concepts qui permettent de penser la réalité de la violence conjugale.

« La recherche », c’est un métier. C’est un ensemble de personnes qui observent le réel, le pensent ensemble, avec des outils conçus pour. C’est pas (que) des gens qui aiment dire qu’ils ont lu tout Proust et élaborent une pensée tout à fait déconnectée du terrain qu’elles discutent, pour la beauté du geste intellectuel. Ou plutôt, la bonne recherche, ce n’est pas ça. Cette habitude de distinguer théorie et pratique comme s’il s’agissait de deux univers sans lien n’a aucun sens. La recherche ne peut exister pour elle-même: elle existe pour le monde réel dont elle fait partie.

Et de la même façon qu’il est fréquent d’accuser la recherche (à raison dans certains cas) d’être déconnectée du réel, il est fréquent (comme ici) de choisir de se passer de la recherche existante, et de se retrouver à proposer des solutions hors sol, déconnectées des réalités concrètes et matérielles qu’il s’agit d’adresser, et qui satisfont visiblement les quelques-un·es qui y voient le reflet rassurant de leurs propres préconceptions, mais sont un gaspillage inouï de ressources.

Alors certes il existe cet article de la prestigieuse revue scientifique Nature qui revient à divers endroits (notamment dans Libé) du discours médiatique pour présenter/justifier le dispositif du ministère. Intitulé (je traduis) « Les agresseurs deviennent les victimes dans la réalité virtuelle: l’impact d’un changement de perspective sur la violence domestique », l’article semble en effet offrir une base solide justifiant le dispositif, jusqu’à que, bah, on le lise.

Mené sur un total de 20 agresseurs (et 19 non-agresseurs formant un groupe contrôle), l’étude, qui semble par ailleurs tout à fait solide en termes de scientificité, ne cherche pas à vérifier si la croissance de l’empathie chez les agresseurs diminue les comportements agressifs (qui reste une hypothèse de travail non-explorée dans cette étude). Elle se demande si les 20 hommes agresseurs reconnaissent moins bien les émotions de peur des femmes, et si la VR peut augmenter leur score en la matière. Les résultats indiquent qu’effectivement, ce type d’illusion peut augmenter la capacité à reconnaître la peur. Aucun suivi quant au fait que ce changement en termes d’empathie dure sur le temps long, ni que ces 20 personnes n’agressent plus par la suite, par exemple.

L’étude conclut d’ailleurs qu’il s’agit « d’une première démonstration » du potentiel de la VR en la matière, « en revanche, les changements subjectifs, physiologiques et explicites doivent être étudiés dans le futur. » L’étude elle-même appelle donc à la précaution, demande à être répliquée pour tirer d’autres conclusions (on ne tire pas des conclusions valide à partir de 20 personnes) et indique la direction de futures recherches pour compléter ses propres résultats. L’utiliser comme base d’initiative politique est un non-sens.

Alors soit le dispositif français est en fait un projet de recherche scientifique destiné à répliquer dans les règles l’expérience décrite dans Nature, et dans ce cas y’a un gros problème de communication du côté du ministère qui présente cela comme un outil en mesure d’endiguer la violence conjugale, alors que ça n’a pas encore été démontré; soit c’est un move politique qui se fout de la recherche existante quand elle ne concerne pas un nouveau gadget à la mode.

Vous savez ce qu’elle dit la recherche au sujet des violences conjugales ? Elle parle d’un « nombre  limité  d’études », d’un objet d’étude qui pourrait être « approfondi par les études empiriques », bref elle appelle à davantage de recherche sur le sujet. C’est une bien belle piste ça par exemple, non ? Mettre des sous dans la recherche ? J’ai d’ailleurs surtout dû me tourner vers des études canadiennes pour cet article.

Ça parle aussi de l’importance de se focaliser sur la prévention, d’améliorer « l’efficacité des mesures préventives et l’aide offerte aux victimes », d’analyser les données à disposition pour « mieux conseiller les victimes, […] mieux les guider dans leur décision et la planification de leur sécurité ». Ailleurs on conseille de mettre en priorité les « besoins de collaboration intersectorielle », après avoir constaté que « les divers secteurs de services tardent à se coordonner notamment lorsque ceux-ci doivent gérer l’intersection entre plusieurs problématiques ou caractéristiques des femmes, et ceci a été observé notamment dans les contextes autochtone, d’immigration, de maternité et de séparation » (j’ai enlevé les nombreuses références de ce paragraphe par souci de lisibilité mais tout est ici). Plusieurs articles scientifiques pointent aussi l’intérêt, pour diverses raisons, de reconceptualiser la violence conjugale, de retravailler sa définition et les réalités qu’elle recouvre dans le but de penser efficacement les solutions pour répondre à ses différentes formes.  

Bref, les pistes sont nombreuses et pointent vers une nécessité d’approcher le problème dans sa complexité, et à la source. Marrant hein ? Ce « dispositif inédit » que les médias semblent largement accueillir comme une magnifique initiative mise donc ouvertement sur la caractère novateur, jamais vu, avant-gardiste, comme si c’était une bonne nouvelle que de faire fi, justement, de tout ce qui est établi et connu sur le sujet. Le cynisme incarné.


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D’où tu l’appelles « gamine »? ou la minimisation du succès des femmes athlètes, par l’exemple

Récemment, la RTBF a voulu célébrer (I guess) le succès de Leylah Fernandez (19 ans) et Emma Raducanu (18 ans), qui venaient de se qualifier pour la finale de l’US Open, en annonçant joyeusement « Les deux gamines réalisent un tournoi exceptionnel ». Avec émoji biberon. Si si.

WELL WELL WELL, les miasmes du patriarcat, we meet again. On va encore dire que le féminisme est affaire de pinailleries, mais… Les gamines? Ah bon? Deux athlètes pro t’explosent tout un tournoi où tu toucherais à peine une balle, et c’est des « gamines »? L’émoji biberon m’a flinguée. Mais le terme « gamines » m’énerve encore plus par son petit côté pernicieux, d’autant qu’il est récurrent dans les articles qui parlent des 2 championnes.

De l’usage différencié de la gaminerie

Et je me suis demandée si on utilise « gamin » comme on utilise « gamine » dans les articles qui causent tennis. La réponse va vous surprendre, mais alors là pas du tout.

Quand on fait une recherche sur le site de la RTBF Sports, pour « tennis + gamine », les articles concernent:

  • Fernandez et Raducanu, « deux gamines [qui] réalisent des tournois exceptionnels »
  • Luksika Khumkhum, « une gamine de 20 ans » qui vient de battre Kvitova, la gagnante de Wimbledon
  • Jelena Ostapenko qui vient de gagner sa place en finale de Roland Garros à 20 ans
  • Daria Kasatkina, 14è mondiale et 21 ans, dont son entraîneur dit « cette gamine a quelque chose de magique »
  • Yanina Wickmayer, « une gamine de 20 ans » (en 2009) d’après le père et coach des Borlée
  • Justine Henin et Kim Clijsters, qu’on décrit à une période où elles avaient 19 et 18 ans : « les deux gamines vont tout écraser sur leur passage »
  • Y. Wickmayer, K. Flipkens , A. Mestach et S. Oyen, entre 16 et 24 ans, « nos gamines » sur le point de représenter la Belgique à la Fed Cup en 2010.
  • Raducanu que son coach décrit quand elle avait 16 ans
  • Bartoli et son « rêve de gamine » qui s’envole alors qu’elle vient de perdre contre Schiavone pour la finale de la Fed Cup

Quand on fait une recherche sur le site de la RTBF Sports, pour « tennis + gamin », les articles concernent:

  • Un ramasseur de balles
  • Un autre ramasseur de balles
  • Un fan qui échange quelques balles avec Djokovic
  • Grigor Dimitrov, le 478-ème au classement ATP qui vient de perdre contre Nadal
  • Benoit Paire, 31 ans, qui « colporte fièrement une image de sale gamin, sorte de cocotte-minute bancale, prête à exploser au moindre à-coup »
  • L’athlète Diego Schwartzman quand il avait 13 ans
  • Un spectateur invité à jouer un point contre Federer
  • Denis Shapovalov (21 ans) et Jannik Sinner (19 ans) qui s’opposent dans un « choc des gamins » au 1er tour de lOpen d’Australie
  • le temps où O. Rochus et R. Federer ont joué ensemble, en tournoi junior à 17 ans
  • R. Harrison qui veut péter la gueule à Kokkinakis (« je devrais défoncer ce gamin »)

Si je peux me permettre une petite synthèse comparative, quand on utilise le terme « gamine », c’est donc majoritairement pour décrire au présent des athlètes professionnelles, de très haut niveau, généralement à un temps fort de leur carrière, voire à un moment de consécration. Gamine = athlète en réussite. Quand on utilise le terme « gamin », c’est soit pour parler de jeunes ou d’enfants ni athlètes ni pro, soit pour parler d’athlètes qui perdent, se menacent, se comportent comme des enfants, ou ne sont pas (encore) au top de leur carrière. Gamin = well, gamin.

Champ lexical de l’étonnement

Je pointe un site d’info ici, mais ça n’est pas ce site qui est important. Ce serait trop facile. Ca voudrait dire qu’on a en fait juste besoin d’une webmaster pour déprogrammer le patriarcat. I wish, mais non. Par exemple, dans la première version d’un article du journal Le Soir modifiée entre temps, tous les qualificatifs et groupes nominaux* utilisés pour désigner Fernandez et Radunacu ensemble sont :

deux lolitas – pas nées voici 20 ans! – deux fillettes – teenagers – two stars – pas nées lors des attentats du 11 septembre – deux joueuses issues de l’immigration – toutes deux nées au Canada – deux nouveaux profils, très frais – [font preuve de] ce zeste d’insouciance juvénile qui déplace les limites – les deux lolitas [encore] – même pas 20 ans – Si on additionne leur âge (37 ans et 308 jours), elles restent plus jeunes que Kim Clijsters ou que Serena Williams! – complètement inattendues à ce niveau

Tandis que tous les qualificatifs et groupes nominaux* utilisés pour désigner leur parcours et le tournoi sont :

contes de fée – étonnant – belle histoire – une quinzaine folle – c’est le genre de choses qu’on n’imagine pas! Tout a tellement changé en 15 jours sur la planète tennis

*Ce qui m’intéresse ici, c’est le discours journalistique, je n’ai donc pas pris en compte les citations rapportées dans l’article.

Ainsi, le problème n’est pas tant de souligner qu’elles sont jeunes, mais d’en faire un point focal et une aberration plus qu’un simple constat. Ce qui m’intéresse donc, c’est la tendance à infantiliser les femmes qui réussissent, alors qu’on infantilisera plutôt les hommes quand il s’agit de les déresponsabiliser (« il ne savait pas, il n’a que 28 ans après tout… », « c’est un grand gamin de 31 ans » vs. « Oooh elle a gagné un tournoi du Grand Chelem à 18 ans, c’est cro mignon« ).

La minimisation passe ici par la référence appuyée à l’âge des femmes, et le recours à un champ lexical de fraîcheur, nouveauté, surprise qui confère un caractère inédit ou exotique à leur réussite. Sauf que bon, rien qu’en comptant l’US Open, McEnroe l’a remporté à 20 ans, comme Marat Safin et Venus Williams. Steffi Graf, Pete Sampras, Andreescu, del Potro, Sharapova et Kuznetsova l’ont remporté à 19 ans, Monica Seles et Serena Williams à 18, Martina Hingis à 17. Ils ont cru qu’on n’avait pas wikipédia ou bien?

Minimiser par l’âge, par une dimension prétendument inédite, par la mention d’une tierce personne (masculine) qui a quand même beaucoup aidé (« Philippe Dehaes, celui qui a transformé le coup droit de Radunacu« ), par la référence à la personnalité « difficile » d’une joueuse… tout un arsenal de minimisation existe, et ça n’est pas pinailler que de le pointer.

La réussite est-elle masculine?

C’est au contraire crucial car ça nous éclaire par la bande sur la perception genrée de l’ambition, du leadership et de la réussite, et les conditionnements de part et d’autre pour bien respecter le script. Tu sais, tous les « non, je joue pas, je suis nulle« , les « merci, mais j’ai quand même été beaucoup aidée« , les « elle a couché avec qui pour arriver là?« , les « non ‘directrice’ ça fait crâneuse, ‘coordinatrice’, ça sonne plus moi nan?« , et autres « c’est moi ou je dois en faire 2x plus pour être considérée 2x moins?« 

Bon, ceci étant dit, l’ambition, l’assurance, la capacité à (se) prendre en charge, à assumer ses réussites, à oser, tout ça peut (et doit, if you ask me) se penser hors d’une perspective de productivité propre aux exigences capitalistes. Mais plutôt pour, tsais, LA VIE. Les relations (y compris professionnelles, pour le coup). L’affection, l’amitié, le sexe, la santé mentale, les centres d’intérêt, la créativité, la réflexion intellectuelle, bref les choses qui nous font du bien, sont aussi influencées par ces compétences là (quelle que soit, en fait, notre propre définition de l’ambition ou de la réussite).

À chaque fois qu’on appelle des femmes en réussite des « gamines », c’est aussi notre perception de tout ça qui est en jeu.

À partir de maintenant c’est « majestés », thank yew.

D’où « not all men » c’est ta réponse par défaut ?

Suite à l’appel d’Olympereve, elle-même inspirée par Mashasexplique, une vague de listing des violences sexistes et sexuelles est amorcée.

Pour montrer que ces violences, quel qu’en soit le degré, nous concernent toutes, massivement, mais aussi que les hommes autour de nous ont tous participé à ces violences, ne serait-ce qu’en n’intervenant pas, en faignant qu’elles ne sont pas graves voire qu’elles n’existent pas. J’ai commencé ma propre liste dans mon notepad un peu machinalement. Puis j’ai été comme aspirée. Décrire succinctement ce genre de choses est bouleversant.

À 7 ans, les garçons jouent à passer leur tête sous la porte des toilettes des filles. On a aussi toutes intégré qu’il faut mettre un short sous sa jupe car elle sera soulevée.

À 8 ans, j’entends un adulte raconter en blaguant qu’il adore suivre de trop près les voitures avec des femmes seules tard le soir, car on voit leur regard inquiet dans le rétro. Tout le monde rit.

À 10 ans, un prof de sport nous tient d’une façon qui nous met mal à l’aise.

À 11 ans, je reçois ma première dick pic (non sollicitée, tu te doutes).

À 14 ans, une amie remarque qu’un type se branle dans sa bagnole en nous regardant. On est en excursion scolaire au Planetarium.

À 15 ans, un garçon met sa main entre mes jambes au cinéma sans me demander, aussitôt que le film commence; un prof nous lance régulièrement, à moi et ma pote, « hé les pétasses, je vais vous chercher vos néons ? » quand on parle pendant son cours.

À 17 ans, en vacances, un employé de l’hôtel me tire et me retient par le bras un soir vers un recoin sombre d’une terrasse de l’hôtel, je m’enfuis et crains d’en parler car je lui avais souri plus tôt dans la journée et je pense que je l’ai donc cherché.

À 17 ans, je donne une bonne réponse à un cours d’histoire. Le prof s’adresse aux mecs de la classe en disant que c’est honteux qu’aucun d’eux n’ait pu répondre à partir du moment où même une fille a pu le faire.

À 20 ans, un type met sa main entre mes jambes dans le métro bondé. Je suis sidérée, puis j’essaye de me dégager sans succès. Je descends 5 arrêts avant le mien et je n’en parle pas, j’ai trop honte de ne pas avoir hurlé.

À 21 ans, tard le soir, un type me suit dans une rue jusque chez ma pote. Alors que je cherche la bonne porte, il me plaque contre une voiture. J’arrive à me dégager, il part tranquillement en marchant.

À 22 ans, à une soirée déguisée chez une pote, un mec frappe sa matraque entre mes jambes; un type m’attrape les seins dans la rue et continue sa route; je rentre avec un type qui m’annonce, sûr de lui « tu vas sucer comme tout le monde ma grande ».

À 23 ans, tard le soir, un type me suit à distance pendant quelques rues et, sur un ton de conversation, me répète que les mini-jupes c’est un truc de salope et que je devrais avoir peur. J’ai, comme pour tous les retours de soirée, le numéro d’urgence déjà composé sur mon téléphone; un type se branle à côté de moi dans le train. Tout le monde regarde ailleurs, je suis coincée entre lui et la fenêtre ; un type m’arrête dans la rue pour me demander le trajet, puis me dit sur le même ton qu’il adore ça les petites salopes comme moi et qu’il sait que j’adore qu’on me parle comme une chienne.

À 24 ans mon mec s’applique à me demander une fois par semaine minimum de faire un truc de cul que je ne veux pas faire. Il m’aura à l’usure, pour qu’il me foute la paix. Il ne m’a bien sûr pas foutu la paix; un inconnu s’est introduit chez moi, je le trouve dans mon salon, portant mes vêtements. Quand j’appelle les flics, je dois patienter pour qu’ils arrêtent de rire et de raconter l’histoire aux collègues. Toujours seule chez moi, avec le type en face de moi.

À 25 ans, un mec n’arrête pas alors que je dis que je n’ai pas envie. Quand il a fini il ironise sur le fait qu’une meuf qui pleure après un rapport, c’est une première fois pour lui.

À 26 ans, des mecs roulent à ma hauteur en voiture, je leur fait un fuck quand ils sont passés, ils freinent net, font crisser les pneus en faisant demi-tour pour revenir vers moi, je rentre chez moi en courant; je demande à un gars de se retirer avant de finir, car je suis en pause de contraception hormonale dont les effets secondaires deviennent trop lourds. On est clean et en couple exclusif, on n’a pas de capote. Il accepte mais ne le fait pas. Je dois prendre une pillule du lendemain, effets secondaires inclus.

À 27 ans, je rentre avec un gars, tout se passe bien. Quand je lui dis que c’était chouette mais que je ne veux pas d’une relation, comme discuté précédemment, il se sent rejeté et ne peut concevoir qu’il ne m’ait pas fait changer d’avis entre temps. Malgré mes nombreuses réponses très claires, il me stalke les jours suivants, m’attend en bas de chez moi, laisse des mots dans ma boîte aux lettres, insiste pour avoir des explications supplémentaires et pour qu’on se revoie. Il m’écrit une longue lettre, m’achète un livre, m’envoie des messages. Ça s’arrête quand il quitte le pays.

À 27 ans toujours, pendant un rapport consenti, un mec « se trompe de trou » et je comprends qu’en résistant j’aurai + mal. Je laisse faire ; on me propose un job que j’aime beaucoup. On dit plusieurs fois pour rire que je ken avec mon supérieur.

À 28 ans, un « mec bien » m’explique que le nombre de mecs avec qui j’ai fait du sexe ne fait pas de moi fondamentalement une salope, mais que je dois bien admettre que c’est un comportement de salope.

À 32 ans, on me propose un job impliquant une visibilité médiatique importante. Je dois le refuser car l’employeur ne prévoit aucune protection efficace face au harcèlement statistiquement prévisible.

À 33 ans, je ne compte plus les récits d’amies, de proches, d’étudiantes qui me confient avoir subi des violences.

Je ne compte plus les fois où des hommes se sont d’une manière ou d’une autre attribué mon travail et mes idées.

Le nombre de fois qu’un mec s’adresse au mec qui m’accompagne sans s’adresser à moi, même quand c’est moi qui ai posé une question.

La quantité d’interruptions et d’infantilisations. D’insultes, beaucoup sur Internet.

Je ne compte plus le nombre de remarques non sollicitées sur ma tenue, mon corps, ma sexualité réelle ou présumée, l’évaluation de mon physique et/ou de ma baisabilité, ou celle de femmes qui m’entourent, de blagues sexistes, de gestes déplacés, tout ça de la part d’hommes connus et inconnus, sans qu’aucun homme n’intervienne. Ou alors après les faits, quand les autres mecs sont partis.

C’est dur d’écrire cette liste. C’est à la fois empouvoirant de mettre des mots, de décrire, de constater qu’on n’est pas seule, loin de là. De voir ce qu’on a traversé. Mais en même temps non, c’est horrible et terriblement vulnérabilisant. Cet effet de masse, bordel. Ce constat qu’on a toutes vécu des choses similaires aux mêmes âges, au point que ça sonne comme des rites de passage. Ça fout la gerbe et les larmes et la haine.

Mais en vrai je fais pas cette liste pour que les mecs réalisent. Je pense que la moitié se sentira agressée, l’autre se sentira pas concernée, ou alors 10 minutes, pour la beauté du geste. J’ai pu constater à plusieurs reprises que des hommes concernés ne se reconnaissent pas dans ce type de descriptions. Ils ont oublié, tout simplement. D’autres viennent demander si ça les concerne. Ils savent qu’il est possible qu’ils aient oublié, aussi.

C’est pour nous que cette liste est importante. Cet effet de masse. On est ensemble, on est nombreuses, on doit se soutenir. On doit se soutenir.

On doit rester vigilantes sur les parcours de chacune. Pas dans le détail, pas de façon voyeuriste ni victimisante. Juste garder en tête,en avançant, que statistiquement, on a toutes eu notre lot de merde. Être dans une forme d’empathie par défaut face à toute cette violence. Et en miroir, que s’il y a des choses qu’on n’a pas subies, ça n’est pas le cas de toutes. Que certaines multiplient les listes comme elles multiplient les sources d’oppression. Que parmi ces listes, certaines inclueront des éléments qui nous concernent.

On doit s’écouter, et se croire. On doit se serrer les coudes. On doit s’offrir mutuellement et activement du respect et de la protection. Se soutenir, faire le taf. S’informer, se défendre les unes les autres, concrétiser les intentions, qui ne servent à rien si elles restent sous forme d’intentions, si ce n’est à notre bonne conscience et à la conservation de nos propres privilèges.

Et puis aussi, tant qu’on y est, on peut arrêter de se trouver violentes entre nous. On peut arrêter de trouver que l’agressivité est propre aux femmes qui dénoncent. Bien sûr, la méfiance par défaut. Bien sûr, la rage. Regarde un peu la violence de ce à quoi on réagit. Depuis l’enfance. De ce qu’on a appris à pas trouver violent ni grave, alors qu’on le vit. Imagine ce qu’on a appris à pas trouver violent ni grave, alors qu’on le vit pas, mais que d’autres dénoncent.

Je nous trouve incroyablement mesurées. Et fortes. Incroyablement. Love sur toutes.

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Bingo time : pourquoi, comment, de quoi, j’ai pas compris, tu m’expliques ?

Se prononce aussi: Comment t’épelles « théorie du genre »? / de quoi ça parle l’article? / tu peux ré-expliquer, mais en mieux, en vite et avec des images?

Contexte: « Salut miss, je travaille sur un projet pour lequel je vais être payé et j’ai besoin de pomper ton travail gratos, t’aurais une 3 journées max à m’accorder? »


Bon avant toute chose, rien que d’avoir écrit « salut miss » je me sens sale. Jamais. Tu m’entends? Jamais t’appelles une meuf comme ça. On en peut plus. Bon, passons à nos moutonneries, à savoir la seule attitude qui te permet de revendiquer à la fois une arrogance éhontée, et une auto-infantilisation assumée, j’ai nommé : l’injonction à la pédagogie, AKA « mais pourquoi, comment, de quoi, mais si tu m’expliques pas je fais comment moi », AKA « je suis tellement prêt à admettre l’étendue de ma flemme, mais aussi mon incapacité absolue à être autonome et mon besoin à peine refoulé qu’on s’occupe de moi non stop que je ne vois pas d’autre solution que tu me moulines finement et me nourrisses à la petite cuillère de tout ce que je suis pas foutu de chercher moi-même, car je te perçois comme étant low-key à mon service ».

J’veux pas être désagréable, mais : et ta dignité dans tout ça ?

Le problème avec cette attitude, c’est que la personne qui s’apprête à prendre du temps pour te prémâcher l’info que t’as la flemme de chercher et que tu vas pouvoir ressortir telle quelle à ta prochaine réunion pour avoir l’air so woke, elle a travaillé en fait. Elle a lu, elle a discuté, elle a relu, elle s’est plantée, elle a retenu, elle a confronté, elle a synthétisé, elle a fait des liens, elle a bossé. Alors oui, je comprends bien qu’on a chacun·e nos priorités, notre temps, nos appétences et nos compétences. Mais on a aussi chacun·e nos limites et là c’est plus possible.

« Mi oui mi alors nous on fait quoi nous alors? » Comme je te sais désemparé (c’est tout le sujet de cet article), laisse-moi te fournir 6 conseils beauté pour ton âme en perdition, quand te vient l’envie de pas faire le taf toi-même.

Conseil n°1: Fucking Google it

Des sabots qui frappent, des éperons qui tintent : mais oui ma parole, c’est bien toi que j’entends, monter sur tes grands chevaux. « Si VoUs NoUs ExPlIqUeZ pAs, C’eSt SûR oN rIsQuE pAs De CoMpReNdRe HeIn ». Et bien tu vois mon chaton, c’est là ta première erreur. Confondre la matière qui va t’éduquer et l’action de t’éduquer, pour laquelle tu fais pourtant preuve d’une autonomie remarquable quand il s’agit de savoir c’est quand qu’ça reprend Koh-Lanta. Mais utiliser Google tout seul comme un grand pour t’informer sur « le truc de l’écart des salaires là », t’as 2 ans et demi, t’as jamais vu un smartphone et t’as besoin d’assistance.

Te rends-tu compte de l’attitude de crevure que c’est d’exiger d’une catégorie de personnes que tu désignes depuis ta chaise haute qu’elles prennent le temps de te prémâcher, puis de t’expliquer des choses que tu peux trouver par toi-même ? Du comportement puéril que c’est d’exiger que l’info vienne à toi, plutôt que l’inverse ? Parce qu’une fois que tu acceptes de faire ce pas insoutenable de prendre en charge ce que tu peux de ta propre éducation, la matière, elle est là. Elle est gigantesque, elle est variée, elle est accessible, et bien souvent gratuite (j’y reviens, t’inquiète que j’y reviens).

Step one: Internet est peuplé de meufs que t’insultes ou, la version « mec bien », à qui tu vas gentiment expliquer qu’elles s’y prennent pas comme t’aimes bien, bah tsais quoi ces meufs là, à la place, tu les lis. Tu prends sur toi, tu ranges ta petite casquette à hélice de critique littéraire des zinternettes et ton petit rictus arrogant par défaut, et tu la lis juste.

Step two: Et puis quand tu t’es un peu chauffé, tu vas voir que des espaces pour s’éduquer à pas agir comme un malappris, y’en a plein. Il y en a pour tous les niveaux, tous les médias, tous les âges. Tu sais, celle que tu as lue en serrant les dents, et bien tu suis les comptes vers lesquels elle renvoie. Tu suis les comptes que suivent les comptes vers lesquels elle renvoie.

Step trois: De là, mode fusée, tu t’abonnes aux blogs. Tu achètes un livre. Y’a même des BD féministes. Y’a des magazines aussi, et de la science-fiction, et des podcasts. Y’a des chaînes Youtube, des comptes Insta, Twitter, TikTok, des humoristes, des journalistes, des biologistes, sociologues, artistes. Y’a des pages wikipédia, des docus, des collages, du slam, des performances. Y’a des séries, des films, des thèses, des fanzines.

Je vous voir déjà venir avec vos petits noeils tout mouillés de larmes : « Oui mi ça veut dire qu’on peu pu rien chamais demander alors? » Disons juste qu’il y a un gouffre entre « ton avis m’intéresse pour ci » ou « t’aurais une ref pour que je comprenne mieux ça » et « raconte-moi Simone de Beauvoir ». Franchement si tu commences par Googler tes questions, mais le GAIN de TIME. Pour nous, j’entends. Et à force on aura même l’impression que tu nous respectes un peu dis donc.

Conseil n°2: Grow up

Sous un partage d’un de mes articles, j’ai pu lire ce pertinent apport à la réflexion collective, je cite : « Des grands « FaUt EdUquEr lEs HomMes » mais quand il faut faire du renforcement positif y a plus personne. Quand ton gosse fait un truc « normal » pour la première fois tu fais aussi « ouaaa c’est normal en fait, t’as cru j’allais te féliciter » Ben oui grognasse c’est comme ça qu’on fait, personne a dit que c’était exceptionnel mais faut faire croire que oui pour « éduquer » ».

Bon. Passons sur le présupposé qu’on a d’office un « mon gosse » à qui refuser notre affection. Passons aussi sur la fragilité de l’usage de l’insulte comme véhicule de frustration – nous pourrons parler une autre fois de façons de solidifier son argumentation même lorsqu’on se sent inférieur et/ou en difficulté. Allons à l’essentiel: l’argument consiste bien à assimiler l’apprentissage des questions féministes à l’éducation des enfants. Je vais un peu marcher sur des œufs sur ce coup-là mais… Avez-vous conscience d’être… des grandes personnes ? Nan parce que l’argument « dur dur d’être bébé » (c’est son nom scientifique, qu’est-ce j’y peux) est un motif récurrent dans tout votre attirail du « meilleur allié ».

Mais si, regarde: vous l’utilisez aussi quand des hommes disent ou font de la merde antiféministe et sexiste. Combien de fois on entend, après qu’un homme ait dit un truc de merde, ou agressé sexuellement quelqu’un·e, que c’est une erreur de jeunesse. Excuse qui marche, d’après mes calculs, jusqu’à au moins 30 ans. À cet âge-là nous on est priées d’avoir deux enfants élevé·es au grain de l’éducation positive et de maîtriser la pâte à choux tout en étant à un point raisonnablement ambitieux de notre carrière.

C’est d’ailleurs particulièrement cocasse (c’est un code name pour « c’est un foutage de gueule sans nom ») de noter que 1/ceux pour qui on brandit l’erreur de jeunesse peuvent à la fois plaider la maturité, ça n’est apparemment pas incompatible et 2/ quand l’immaturité des hommes les prémunit à la fois de la nécessité de s’instruire et de tenir des propos décents, c’est la même immaturité qui est utilisée pour expliquer le militantisme des féministes (tsais le « tu dis ça parce que t’as pas encore assez vécu »). Et me lance même pas sur la maturité à géométrie variable impliquant que les mecs sont d’éternels ados, tandis que les filles sont sexualisables le plus tôt possible.

Bref, je trouve ça personnellement très drôle que tu admettes avec tant de fougue ton droit à être considéré comme un gros bébé. En revanche, je te saurai gré, s’il te plaît bien, d’admettre que ta requête ne s’encombre aucunement de cohérence à partir du moment où l’immaturité devient une porte de sortie ou un fardeau en fonction de qui la brandit. Thank yeeew.

Conseil n°3: notre expertise n’est pas un dû

Tu sais que pour une majorité d’entre nous, le militantisme c’est pas un métier hein ? On touche pas 500 boules dès qu’on va faire une manif. Je touche pas de salaire autrement qu’en cœurs avec les doigts pour écrire mes articles. Quand je suis chercheuse, bloggueuse, mais aussi collègue, amie, amoureuse, casseuse-d’ambiance-en-soirée, je fournis un travail gratuit.

Je réponds à des questions que se posent mes proches, je fournis des pistes de réflexion qui me semblent appropriées, je cherche des références qu’on me demande « comme ça vite fait », j’absorbe les regards qu’on me lance et qui disent « bah tu réagis pas? », je gère comme je peux les débats dans lesquels on me tire par la manche sans me demander si j’ai envie de débattre, je réagis comme ça se met quand on me « taquine » à coups de blagues sexistes, je réponds poliment quand on me demande si j’ai lu tel livre et si je peux « le résumer, mais très rapidement ». Tout ça, c’est du travail gratuit. Je dis pas que c’est mal, je dis pas qu’on me force, je dis juste que c’est gratos.

C’est aussi le cas de la meuf que tu connais là, qu’est féministe extrémiste. C’est le cas de toutes les meufs qui ont un jour pas ri à une blague sur Dutroux, ont été cataloguées en conséquence, et sont devenues sans avoir rien demandé les féministes de service qu’on somme de réagir au moindre comportement sexiste. C’est le cas des personnes non-binaires, qui doivent expliquer 100x leurs pronoms, pourquoi, comment. C’est aussi le cas de la meuf noire que tu es vraiment, sincèrement, holala tellement désolée d’avoir visiblement blessée, mais que c’était pas ton intention, donc tu comprends pas, donc va quand même falloir t’expliquer pourquoi elle a si mal réagi, merci bien.

Et tu vois, elle est là la limite. La ligne de démarcation entre ce qu’on est chacun·e prêt·e à fournir, un jour donné, de notre plein gré, et ce que toi, tu attends, tu exiges de nous. Cette ligne, c’est nous qui la fixons, pas toi. Ou plutôt, toi tu la fixes pour toi-même, pas pour les autres, iels s’en chargent. Elle est là, l’injonction à la pédagogie: quand tu pars du principe qu’on bosse toustes pour toi, gratuitement qui plus est. Que ce qu’on fournit n’est pas suffisant, que tu en exiges toujours plus, parce que bon, après tout c’est pas toi qui les demandes hein, tous ces droits. Mais à quel point faut avoir sa tête loin dans son cul bordé de privilèges. Soit tu décides que ça ne te concerne pas, et tu dégages de nos luttes. Mais alors pour du vrai. Soit tu te dis que ça t’intéresse, et ça c’est vraiment top, mais alors tu fais ta part.

Tout ce travail existe parce qu’on le fait exister, parce qu’on veut transmettre, parce qu’on veut se décharger, parce qu’on en pleure, parce qu’on en crève. Ta théorie, c’est nos vies. J’adore écrire, ça me fait du bien, c’est cathartique et réjouissant, mais c’est aussi pénible et enrageant de produire du contenu toujours d’actualité sur ma propre oppression et celle des personnes qui m’entourent. Donc que tu penses qu’on te doit quoi que ce soit, même après qu’on t’ait donné quelque chose qu’on ne te devait pas: mais en quel honneur stp?

Conseil n°4: I can teach you, but I have to charge

[Cette section comprend 10 liens vers mon Tipeee tout-frais-tout-beau sur lequel je t’invite cordialement à me doucher de thunes à coup de 3€: sauras-tu tous les retrouver?]

Une façon efficace de nous proposer de passer cette fameuse ligne de démarcation, c’est les sous. Récemment, j’ai donné mon avis sur un truc (I mean, duh…). J’ai dit sur Facebook tout ce que je trouvais problématique dans une production culturelle qui venait de sortir. Et là, surprise, l’une des personnes en charge du projet commente ma publi, me demande des éclaircissements, me propose qu’on en discute avec l’équipe parce que bon, tu vois, mon avis il était quand même fort pertinent. Je dis « avec plaisir pour en parler, je reviens vers toi avec mes tarifs ». Et là tout d’un coup mon avis est passé de « bloquons une après-midi avec toute l’équipe pour discuter » à « ah ouais non, malentendu, byyye ». QUOI LE FUCK J’AI ENVIE D’DIRE. À croire que le problème n’est pas la pertinence de mes arguments.

Soyons limpides : tu as le droit de pas vouloir de mon expertise. Tu as aussi le droit de pas vouloir me donner tes sous. C’est avec les deux en même temps que j’ai du mal. On parle bien 1/ de skills ou d’infos 2/ que tu n’as pas, 3/ que tu veux avoir. Et ça tombe bien dis donc, nous aussi y’a quelque chose que t’as qu’on veut avoir. La pédagogie est un travail, le partage de connaissances est un travail, la diffusion de savoirs est un travail. Quand c’est possible, on veut bien des sous, oui. Ni la visibilité, ni ton éveil intellectuel ne sont acceptés contre des Panzani. On veut du cash.

Mais je sais bien, on est pas censées expliciter ce truc-là. Quand on fait autre chose que chuchoter notre féminisme on nous demande de nous calmer, mais dès qu’il s’agit de vouloir être payées, soudainement on attend de nous qu’on se nourrisse de la pureté de notre militantisme et qu’on s’abreuve de la puissance de nos convictions et qu’on se fringue avec quoi, le swag de nos arguments ?

Parce que comme toutes vos maudites injonctions, on se retrouve bien souvent entre deux impasses: soit on bosse gratos et on peut oublier le luxe du beurre frigotartinable, soit on est payées et on est des suppôts du système qu’on dénonce, et comment ose-t-on avoir besoin de s’alimenter alors qu’on se permet de critiquer le capitalisme patriarcal blanc? C’est oublier un peu vite que dénoncer un système ne nous fait pas pousser une capacité magique à nous extraire dudit système. Le système capitaliste il s’en fout que je le dénonce ou pas: il existe et je vis en plein dedans. Lutter prend du temps et de l’énergie. On doit payer des trucs. Donnez-nous vos sous.

T’as pas idée à quel point ce truc est récurrent. On fournit un travail conséquent, gratuit, de qualité, de notre plein gré. Parfois, notre travail est utilisé sans même qu’on nous cite. En règle générale, on est invité·es à parler de nos luttes, sans être payé·es. Des fois, d’autres se font de la thune en pompant notre taf gratuit. Souvent, on nous regarde avec des yeux ronds quand on explique que ouais, non, j’ai pas juste téléchargé les autrices féministes, je les ai lues; j’ai pas sucé mon cadre théorique de mon pouce, je l’ai bossé; j’ai pas trouvé mon analyse dans les plis du canapé, je l’ai construite. Et malgré tout ça, souvent y’a toi, qui es là à trouver que ce qu’on produit, c’est entre normal et pas suffisant. GOD DAYUM, ce bagout.

Alors attention, il s’agit pas, en toutes circonstances, de conditionner l’accès à notre travail au fait d’être payées. Pour le dire autrement, que tu me donnes tes sous ou pas, mes articles te sont accessibles gratuitement. C’est que donner ses sous est une façon étrangement négligée d’utiliser ses privilèges qui, pourtant, se traduisent souvent directement sur le plan de la sécurité financière. Or payer les associations, les militant·es, les productions, les caisses de grève, les fonds de soutien, etc. est une manière productive de soutenir celleux qui portent les causes en lesquelles on croit, et qu’on ne sait pas toujours comment porter soi-même.

Y’a rien d’obligatoire, et ça n’est pas non plus un passe-droit pour être une raclure-parce-qu’on-file-ses-sous, mais c’est une manière absolument sensée et nécessaire d’utiliser ses privilèges, que je te laisse le soin de comptabiliser pour toi-même. En d’autres mots, on a chacun·e nos leviers, de nature et de degré variables. Pour certain·es d’entre nous, ces leviers incluent l’apport financier, négligé bien que crucial voire vital pour certaines causes (je pense par exemple aux caisses de soutien aux travailleur·euses du sexe en plein confinement).

Conseil n°5: Dépasse ta flemme

Ta zone de confort te semble grande, mais c’est juste parce qu’elle t’est facilement accessible. Elle t’est donnée partout, tout le temps, au point que t’as cru que tu apprenais très efficacement, que tu supportais tout, que t’étais blindé face à la contradiction, que ta consommation culturelle était extrêmement diversifiée, que tes connaissances étaient variées et contradictoires et transversales, comme ces gens qui répondent « de tout » quand on leur demande ce qu’iels écoutent comme musique. Mais en fait, t’as un monde à découvrir, le tien te semble universel uniquement car il est aussi dominant que toi. Category is: egotrip extranvaganza. Y’a un million de choses qui t’échappent pendant que t’es là, la bouche ouverte, à attendre qu’on fasse l’avion avec tout le savoir féministe qui se déploie partout.

Du coup, le prends pas mal, mais t’es logiquement plus paresseux. Tu dois faire aucun effort pour chercher l’info qui te parle, le personnage qui te ressemble, l’œuvre qui est écrite pour toi. Alice Coffin a payé le prix fort pour avoir relevé une réalité pourtant si simple et juste, et qui traverse tous les systèmes de domination: en tant que blanc·hes omniprésent·es dans les représentations, on se sent rejeté·es dès qu’un film compte plus d’un personnage noir, comme s’il était inconcevable d’universaliser ces vécus-là. En tant que personnes cis, on applaudit quand une série compte un personnage trans, mais faudrait pas que ça devienne une habitude, ni que ça prenne du travail aux acteurices cis-qui-peuvent-vraiment-tout-interpréter-c’est-leur-métier-après-tout. En tant qu’hétéro, on est tout déstabilisé·es quand un personnage lesbien est autre chose que juste lesbienne dans son arc narratif. Comment ça, elle a aussi un travail? Il est trop compliqué ce personnage, on comprend rien.

Là je te parle de personnages fictifs, mais ça vaut pour les auteurs dont t’as entendu parler à l’école, pour les journalistes que tu suis, pour les romanciers que tu lis, pour les politiciens, les chanteurs, les penseurs, les scientifiques, les profs, les présentateurs, les artistes. Je te laisse envisager tout·e seul·e de combien de systèmes de domination tu bénéficies, et de quelle façon ça impacte ton accès à tout ce que je cite ici.

Nous on est abreuvées de toi. L’inverse n’est pas vrai. Pour nous abreuver de nous-mêmes, depuis toujours, on a dû chercher, travailler, fouiller, être curieux·ses et rester alertes. Toi pas. C’est OK, mais apprends à le faire plutôt que monter sur notre dos pour profiter de nos habitudes. Ca nous allègera.

Conseil n°6: Reconnais la pédagogie

L’injonction à la pédagogie a aussi ceci d’agaçant: soit, même quand tu dis explicitement que tu vas pas faire de pédagogie, t’as toujours une trentaine de branques qui viennent te quémander des arguments, soit elle vient se superposer à une situation qui est déjà une situation de pédagogie. C’est-à-dire qu’on se retrouve régulièrement à se prendre des exigences de pédagogie alors qu’on est déjà en train de fournir ce travail. Mais pas de la façon que tu veux.

Ah mais ouais parce qu’il suffit pas de faire de la pédagogie, faut le faire gentiment aussi. En vous faisant des petites doudouces sur la tête comme ça, et si possible en ASMR. Et si possible en porte-jarretelles. Et que ce soit pas trop long, surtout. Ni trop compliqué. Et que ça aille dans ton sens, idéalement. Et beaucoup de douceur, ça c’est important. Si c’est drôle, c’est un plus. Puis faut qu’il y ait un happening dans chaque virgule pour garder ton attention. Ou alors tout ludifier, si y’a pas un coefficient Bois-des-rêves à chaque phrase, ça vaut pas la peine.

Mais l’épuisement, chaton! T’as cru que les spas restaient ouverts en pandémie pour les militant·es ou bien? Quand on t’explique notre point de vue, c’est de la pédagogie. Quand on parle de notre vécu, c’est de la pédagogie. Quand on argumente, c’est de la pédagogie. Quand on te dit qu’on n’en peut plus de tel débat, c’est de la pédagogie. Ce que tu lis ici, c’est de la pédagogie. Que tu sois d’accord avec le propos ou pas. Que tu te sentes visé ou pas. Ca n’a aucun lien.

Donc venir poser 15 questions parce que t’aimes pas le ton utilisé, ou « jouer l’avocat du diable », ou forcer le débat, ou péter un câble dès que la personne en face à pas envie de débattre avec toi, ou utiliser les mêmes arguments que t’utilisais y’a 3 ans sans avoir bougé tes curseurs de 3mm depuis, c’est pas une super nouvelle sur ta capacité à apprendre en fait.


S’informer fait partie de ton devoir politique. Et pour tout te dire (c’est malin de balancer ça maintenant tu vas m’dire) je pense aussi qu’il est du devoir politique des militant·es d’éduquer. Sauf qu’en vrai, on le fait. Genre, beaucoup. Avec passion, plaisir, ou méga flemme, dans un cadre formel, ou informel, contre rémunération, ou agressivité, ou marques d’intérêt, tout en colère, ou douceur, ou clarté ou conceptualisation. My point c’est que transmettre ce qu’on sait, on le fait. Ce qui va pas c’est quand tu l’exiges. Quand tu peux pas entendre que c’est pas le moment. C’est quand demander qu’on te fournisse notre travail est ta seule façon d’apprendre. À un moment y’a pas 1000 chemins, va falloir que tu sortes, ou que tu travailles. Et please posez vos questions, please osez dire quand vous savez pas, please entendez aussi quand nous on sait pas, ou quand on n’est pas OK de répondre, et puis entendez quand on sait, en fait. Mais glander à chaque tournant, bouche en coeur, caprisun à la main, à attendre qu’on te porte pendant que tu brandis fièrement ton écusson féministe, juste non.

D’où Salut nan c’est pas cool?

Après m’être auto-décerné l’Oscar du titre le plus flemmard du monde, j’aimerais me pencher sur le cas James Darle, accusé de viol, et la demande insistante qu’on lui foute la paix parce qu’il s’est excusé.

James Darle, membre du groupe Salut C’est Cool, a révélé publiquement qu’il était accusé de viol, d’après lui, sur demande de la victime. Avant toute chose : les autres membres du groupe ont réagi au message en question, précisant notamment que « le contenu de son message n’est aucunement approuvé par la victime » (une donnée qui devrait déjà convaincre tout le monde quant au caractère pour le moins foireux du message), et que « sa version des faits est inexacte, n’aide personne à part lui-même et ne remet pas du tout en question sa position ». Je plussoie, mais massivement. Voici pourquoi.

J’aimerais clarifier un truc d’emblée : vous dire que non, effectivement, on sera jamais contentes. Vous êtes là à vous agiter dans votre agacement que décidément, c’est à croire qu’il y a pas de bonne façon d’écrire des excuses pour avoir violé. Vous vous rendez compte ? Non, il n’existe pas de manière idéale, parfaite, ni même satisfaisante, de s’excuser de ça, non. On ne s’excuse pas d’avoir violé. Les excuses peuvent être nécessaires dans certains cas dont la latitude doit être laissée à la victime. Mais elles ne compensent rien, jamais, comment voulez-vous.

Je m’inquiète d’ailleurs, considérant certaines formulations des derniers messages de ce type qu’il nous ait été donné de lire, considérant aussi les commentaires à ces messages, appelant à calmer notre colère, que quelque chose vous ait donné l’impression que l’enjeu était là : écrire de belles et convaincantes excuses quand on a violé. Plutôt que ne pas violer.

Parmi les éléments les plus problématiques du message, un retient particulièrement mon attention : la tendance classique à ne pas qualifier correctement les faits (« rapport », « rapport sexuel », le mot « viol » n’étant utilisé que dans la phrase « elle estimait que je l’avais violée ») est ici renforcée par tout un registre lexical dégageant l’agresseur, de l’identification de l’agression. Je m’explique : « contrairement à mes souvenirs », « pour moi consenti », « sans que je le sache », « avec le recul », « elle estime que », le tout compacté dans une seule phrase, la seule qui expose la situation dont il s’agit, sont autant d’occasions de laisser la porte ouverte à l’idée, dont je comprends certes qu’elle vous arrange, que le consentement ne serait qu’une affaire de mauvaise communication, de maladresse, de quiproquo.

Alors bien sûr, la communication est essentielle, apprendre à s’entendre (aussi au sens littéral) en matière de cul est crucial, mais formuler les choses de cette façon évacue fort opportunément ce que sait tout·e étudiant·e inscrit·e depuis 10 minutes en études de comm : la communication c’est pas qu’un émetteur, c’est aussi un récepteur. Or, utiliser de telles formulations, en tel nombre, en une seule phrase, laisse entendre, d’une part, que c’est la victime qui aurait mal communiqué (d’après ses standards à lui), et d’autre part, que c’est uniquement la victime qui qualifie et comprend la situation comme un viol, d’après des critères incertains, voire capricieux.

C’est non seulement abject, mais aussi une façon très efficace de jeter le doute, dans un type d’affaire qui n’a jamais besoin de ça. C’est savoir que la parole de la victime ne sera jamais entendue telle quelle, prise au sérieux telle quelle, et lui donner le petit kick nécessaire pour être bien sûr que ce sera le cas. Abject.

Tout en se donnant le joli rôle au passage, celui du mec qui a fait tout ce qu’on lui a demandé (sauf ce qui aurait permis d’éviter tout ça, mais c’est visiblement un détail), qui en fait la promo, et se paye de luxe de nous faire croire que le viol peut aussi être une belle une occasion de grandir. Pour l’agresseur, s’entend.

Et James de clôturer son message en expliquant tout ce que cette situation lui aura apporté en termes de prise de conscience et d’apprentissage, enjoignant chacun·e à la discussion et à l’apaisement, prenant ainsi sans sourciller la position de violeur donneur de leçon.  On ne se débat pas toustes pareil avec sa dissonance cognitive.

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D’où faut refaire un warning général dès qu’on dépasse les 20°C?

J’avais écrit ce texte sur Facebook l’été dernier. Mais comme me l’a aimablement rappelé un connard dans le tram ce matin, nous baver dessus, c’est chaque année à la mode. Si je peux me permettre deux trois précisions.

  • On s’en fout de ton avis sur notre tenue ni comment tu nous trouves bonne ou pas dedans. On ne veut pas ton avis. On déteste ton avis. Être sifflées comme des chiennes, détaillées comme de la viande, commentées comme de la déco.
  • On porte cette tenue parce qu’on a chaud, ou froid, ou envie, ou besoin, ou pcq on adore ou pcq on s’en fout ou pcq on tente un truc ou pcq on vient de l’acheter ou pcq c’est jour de lessive ou pcq c’est confo ou pcq on se sent so fraîche ou pcq on se camoufle. Tu vois le lien entre ces raisons ? Y’a jamais toi dedans dis donc.
  • Liberté d’importuner mon cul. C’est pas un compliment. C’est l’énième estimation de notre apparence, random et non sollicitée, de la journée, de la semaine, de l’année. C’est l’énième personne qui nous rappelle qu’on est trop ou pas assez vis-à-vis d’une norme intenable. C’est quelqu’un qu’on ne connaît pas qui choisit de nous faire savoir à combien il estime la valeur de notre corps. À quel point notre apparence lui plaît, ou pas. À combien on score. À quel point il pourrait nous baiser ou pas. À quel point c’est censé être notre objectif, qu’il ait envie de nous baiser. C’est l’énième rappel de la journée, de la semaine, de l’année, qu’en tant que femmes ou identifié.es comme telles, on ne choisit pas d’être dans ce game ou pas. On y est par défaut. C’est sale, c’est violent, c’est humiliant, c’est déshumanisant.
  • C’est aussi nous signifier encore et encore que l’espace public ne nous appartient pas, ou moins. Qu’on aurait un prix à payer pour l’occuper. L’espace public nous appartient. La rue nous appartient. Le parc, le trottoir, le banc, le terrain de basket, le skatepark, l’arrêt de bus, tout ça c’est à nous. On a autant que toi le droit d’être là, de marcher, de rouler, de se poser, sans rappels constants que t’es là aussi, à soupeser notre valeur en te léchant les babines. C’est notre espace de vie, pas ton terrain de chasse. Pas ton terrain tout court. On vous voit, à nous rabaisser pour qu’on se sente moins chez nous, de peur de plus avoir assez de place pour votre bite et votre ego.
  • Et c’est pas parce qu’on réagit pas qu’on s’en fout. Réagir de façon plus ou moins intense, c’est toujours un pari: on mise notre sécurité pour gagner le droit de se défendre. Une fois, j’ai réagi et je me suis faite plaquer contre une voiture. Une autre fois, j’ai réagi et je me suis faite courser jusque dans ma rue. Une autre fois j’ai réagi et le gars a trouvé ça très drôle que je m’énerve tellement il savait qu’il serait dans l’impunité la plus totale. Des potes ont réagi et se sont fait cracher dessus. Ou ont dû prendre de longues minutes de leur journée pour faire un cours au gars, pour l’aider à voir le problème. Donc parfois, pour plein de raisons, on parie. Et puis parfois si on réagit pas, si on regarde ailleurs, ou si même on sourit, c’est par flemme, par peur, par cynisme, par stratégie de survie, par manque de soutien, par manque d’énergie, par habitude. Pas parce que c’est OK whatsoever.

C’est pas des compliments, c’est pas de la drague, c’est du harcèlement. C’est de la participation active à la culture du viol. Et si grands dieux, toi, jamais de la vie, tu n’es pas de ces gens-là, premièrement: ah bon, think again. Deuxièmement: c’est pas un pey qui traverse le pays pour harceler 95% des meufs. AKA si c’est pas toi c’est tes potes, tes collègues, des passants que tu croises.

Si ta défense c’est que toi t’as rien fait, tu fais tout autant partie du problème. Fais quelque chose, espèce de lâche.

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D’où Naomi Osaka paye notre allergie au consentement ?

Naomi Osaka a refusé de faire quelque chose que d’autres ont très envie qu’elle fasse. Son refus est inaudible, et le traitement médiatique dudit refus, édifiant. Parce que si certain·es ânonnent maintenant fièrement, l’index levé, « non : c’est non », comprendre que le consentement est une question de respect plus englobante c’est genre pas gagné du tout.

Le 26 mai dernier, Naomi Osaka, 2è joueuse mondiale, annonce qu’elle ne répondra à aucune question de la presse pendant le tournoi de Roland Garros, dans le but de préserver sa santé mentale. Tollé, amende, menace d’exclusion, « boycott », « polémique », « coup de théâtre ». Et un traitement médiatique de capricieuse, d’ingrate et d’opportuniste.

Credit photo Andrew Henkelman, CC BY-SA 4.0

Parce que dire « non » à quoi que ce soit, quand c’est pour soi-même, reste inaudible. Et parce qu’invoquer la santé mentale n’est toujours pas pris au sérieux. Naomi Osaka se retrouve au croisement de ces deux angles morts savamment entretenus de notre bien belle société, qui adore dire « ère post-MeToo » à toutes les sauces, mais flemmardise de mépris dès qu’il s’agit de faire autre chose que dire. L’affaire met encore méchamment en lumière qu’entre apprendre sa leçon par cœur pour se faire bien voir, et comprendre la portée de ce qu’on apprend, il y a fossé. De la taille d’un changement de paradigme.

Comment ça, le consentement ça dépasse ma culotte ?

On avait bien insisté sur le consentement sexuel, parce que c’était le plus urgent, celui autour duquel le flou savamment entretenu était le plus violent, le plus traumatisant. Mais vous vous avez cru que le consentement c’était que ça en fait ? Quand on vous a expliqué ça avec des tasses de thé, ça vous a pas mis la puce à l’oreille des fois ? Vous vous êtes pas dit « tiens, ça marche pour une boisson chaude, donc peut-être ça dépasse le cul » ?

Visiblement pas, donc permettez-moi d’expliciter : respecter le consentement, c’est dire « d’accord » quand quelqu’un·e dit « non ». C’est respecter le refus. Point. (C’est respecter l’accord aussi, techniquement, mais ça pose moins de problème, duh). C’est-à-dire que si tu souhaites que quelqu’un·e fasse quelque chose, et que la personne n’est pas d’accord, tu as absolument le droit d’être frustré·e, déçu·e, mécontent·e, mais juste, tu respectes le refus. Ce qui peut passer dans certains cas par ne pas exprimer ton mécontentement. Ou même questionner sa légitimité. Ou le différer. Ça peut aussi passer par te taire et laisser la personne tranquille. Ou t’interroger sur les raisons du refus, et ton possible rôle dans le mal-être qui est peut-être à sa source, si des raisons ont été explicitées. Dans tous les cas, ça passe par entendre, et accepter « non ». Pour un dick pic, pour un date, pour de l’alcool, pour une sortie pourtant prévue, pour une conférence de presse.

Va pas me foutre un homme de paille en feu ici, je te vois venir gros comme une tiny house avec ton « ah ouais, bah à ce prix-là alors, moi j’refuse de payer ma bouffe, et le magasin doit respecter mon consentement, t’vas faire quoi », ou «  si c’est comme ça, d’où tu te permets de pas respecter que je refuse d’être vacciné·e?  », ou encore pour les plus fûté·es à qui on la fait pas, « et si je refuse d’accepter ton refus, tu dois respecter mon refus, alors hein ? hein ? hein ? T’es dans la mert’ ».

Ah bah zut, ouais, j’avais pas pensé. C’est juste oublier un peu vite que je ne dirige pas le monde (moi aussi je m’y méprends des fois), et que chacun·e est encore responsable de son degré de connardise d’une part, et d’ignorance de l’autre. Donc non, toute exigence de consentement ne se vaut pas, et les lignes ne se mettront pas aux mêmes endroits en fonction de qui regarde.

Pour le dire autrement, j’insiste sur un mécanisme (celui qui consiste à envisager l’option révolutionnaire de dire « d’accord » quand quelqu’un·e dit « non »), mais le sens dans lequel tu le fais fonctionner, c’est toi qui vois, en ton âme et conscience. C’est à la fois tes valeurs et tes connaissances qui donnent la direction. Sachant en plus que les premières influencent les secondes (et inversement), étant donné que nos valeurs vont influencer dans une certaine mesure ce qu’on cherche et ce qu’on valide comme connaissances. Si la rigueur scientifique n’est pas très haut sur ta liste, il est clair que tu risques moins de chercher tes infos dans la littérature scientifique, ni de percevoir comme valide le savoir qui s’y trouve, par exemple. Ou encore, tes valeurs progressistes risquent bien de te rendre plus perméable aux infos qui confirment toutes tes bonnes raisons d’être progressiste (pour ne donner qu’un exemple du monde fabuleux de la biaiserie de ta cognition).

Et attention les yeux je vais complexifier un peu l’affaire, mais je vous sens bien investi·es, alors je me permets. Le mécanisme (dans ce cas, celui du consentement), peut même être appliqué de la même manière, mais en répondant à des valeurs différentes. Par exemple, tu refuses de payer ta bouffe dans un supermarché, parce que tu estimes qu’il s’agit d’un rouage capitaliste par excellence, ou tu refuses de payer ta bouffe dans un supermarché parce que tu estimes que chacun·e pour sa gueule. Je serai plus encline à comprendre l’une que l’autre, bien que le refus soit identique. Valeurs et connaissances, j’te dis.

Ce détour en forme d’invitation à l’introspection, somme toute, pour insister sur nos gestions individuelle et collective du consentement de toute personne appartenant à un groupe social dominé. Pour rappeler que « d’accord » est une option, mais surtout pour pointer que ça n’est pas une option particulièrement valorisée dans notre société, qui prône en priorité certaines valeurs (qui ne sont ni le respect ni la tolérance, SPOILER ALERT) et certaines connaissances, nous plongeant la tête en avant dans la direction opposée. Autrement dit, les mécanismes de la culture de viol fonctionnent à plein de niveaux, et génèrent plus largement une culture du le-consentement-c’est-secondaire.

Traitement médiatique à la truelle

Ce qui me marque dans le traitement médiatique du refus de Naomi Osaka de participer aux conférences de presse, c’est qu’il illustre magnifiquement notre problème massif avec le consentement, et plus spécifiquement le consentement des femmes, régulièrement punies (entendre : critiquées publiquement, harcelées, menacées, mises en doute, accusées…) pour avoir pris position de façon franche dans le sens contraire de celui du vent (avoir dit « non »), ou pour avoir rendu public le non-respect par d’autres de leur « non » (expliciter le non-respect de leur consentement. Je pense évidemment en premier lieu au traitement médiatique des victimes d’agressions et de crimes sexuels).

Tout y est. Le on-a-toujours-fait-comme-ça-de-quoi-elle-se-plaint à coups de « c’est le job » ; la condescendance du ton, à coups de « la demoiselle », « la fille », pour désigner l’une des plus grandes athlètes de tous les temps ; le rappel des conséquences pour les autres (en insistant par exemple pour appeler cette décision un « énorme gâchis ») ; l’accusation d’agir par appât du gain, en rappelant à tour de bras et avec des points d’exclamation pour bien montrer qu’il convient d’être stupéfait·e, son salaire et ses sponsors, et en mentionnant qu’elle fait une exception pour le média japonais qui la rémunère, « parce qu’elle est payée, donc » ; l’usage de l’euphémisation, en plaçant soigneusement ses guillemets dans la phrase « la demoiselle a décidé de ne pas parler à la presse pendant ce tournoi. Et cela pour « sauvegarder sa santé mentale »», ou en titrant la tristesse, et non la dépression.

Enfin, la part est belle aussi pour la traditionnelle suspicion d’opportunisme, aka vous-plaindre-c’est-que-quand-ça-vous-arrange-hein, oubliant au passage que oui, c’est bien ça le principe du consentement. On parle alors du soutien appuyé de Naomi Osaka au mouvement Black Lives Matter, pour préciser que bah oui, « à ce moment-là, elle avait besoin des médias, pour relayer ses messages » et maintenant y’a plus personne, ou on glisse que pour ses « prises de position déterminées […] elle était mieux inspirée par le passé… », les points de suspension en forme de wink-wink-ça-pue-l’embrouille pour les distrait·es.

Un article de la RTBF, particulièrement violent à cet égard et jouant le jeu de l’incompréhension devant tant d’absurdité, avance une hypothèse : « Ou alors, Naomi Osaka est vraiment très fragile. Mais ce n’est pas le cas, on le sait. La fille est assez solide, mentalement, pour gagner des tournois du Grand Chelem, pour jouer des matches devant 10.000 personnes ».

Le tweet de Naomi Osaka, 26 mai 2021

Et nous y voilà : Naomi Osaka ne souffre pas correctement, pas suffisamment, pas assez visiblement, pas comme on aimerait, pas comme on croirait.

L’un des (très nombreux) problèmes de cette incapacité médiatique à traiter un « non » comme une décision sensée et légitime par défaut, est qu’en jetant le doute sur la personne qui dit « non » et ses motivations, on l’oblige aussi à aller toujours plus loin dans la nécessité de se justifier. Et quand on parle de santé mentale, ça signifie souvent l’obligation de s’outer : de donner un diagnostic, de nommer des symptômes, de partager des détails de santé qui ne sont en fait pas nécessaires, pour prouver sa bonne vulnérabilité.

Je comprends bien sûr qu’il existe des situations, professionnelles notamment, dans lesquelles une justification est nécessaire ou souhaitée. Je comprends qu’ici les enjeux médiatiques et sportifs sont ce qu’ils sont, et qu’un simple « non, je ne participerai pas aux conférences de presse » soit plus difficile à avaler. Mais Osaka a d’emblée fourni cette explication. Elle a d’emblée annoncé qu’il s’agissait de préserver sa santé mentale. Simplement, la santé mentale n’est jamais perçue comme une justification en soi, elle est au mieux une bonne excuse pour se défiler. Il a donc fallu ensuite qu’elle détaille de quoi elle souffre, depuis combien de temps, comment ça se manifeste. Comme si dès que t’appelais pour dire que tu viens pas bosser pour cause de gastro, tu devais annoncer publiquement tes symptômes.

Psychophobie médiatique

Parce que si le traitement médiatique de celles qui disent « non » est désespérément cohérent, il prend ici ses propres petites tonalités bien réjouissantes étant donné qu’il aborde un cas de consentement bien particulier, relatif à la dangereuuuuuuuse santé mentale. Je dis dangereuse, mais c’est en fait au choix : dans les médias, la santé mentale est soit traitée sur le mode de « mais-qu’est-ce-qu’on-s’en-tape », soit traitée sur le mode de la dangerosité (le fameux trope du fou meurtrier ou de la folle incontrôlable, alors que les personnes atteintes de maladies psychiques sont, tu vas pas en revenir, plus souvent victimes qu’auteurices de violence). J’en profite pour vous demander d’imaginer deux minutes la gueule de la couverture médiatique du refus de Naomi Osaka de parler à la presse pour des questions de santé physique, et non mentale.

L’article de la RTBF est aussi édifiant dans son illustration de la psychophobie, car il adopte un angle aussi pourri que commun, celui qui consiste à ridiculiser la question de la santé mentale. La démonstration par l’absurde traverse l’article à des degrés divers : on a le casual « parler aux journalistes rend fou ? » (oui, ceci est une citation), qui nous strike à la fois terminologie stigmatisante, sophisme de l’homme de paille et ironie condescendante ; on a une longue liste de questions précédemment posées à Osaka en conférence de presse, pour bien montrer leur caractère inoffensif, la seule conclusion possible étant que la joueuse fait preuve d’une mauvaise foi crasse ; on a aussi, mon pref car subtile-mais-rudement-efficace, le champ lexical de l’horreur utilisé tout au long de l’article (les journalistes ne pratiquent pas « la torture psychologique », « le calvaire » de la conférence de presse ne dure pas, les questions ne sont pas « traumatisantes », tout ça n’est pas « si terrible »), pour mettre en relief l’exagération de la décision d’Osaka.

Bien sûr, le traitement médiatique catastrophique du consentement + de la santé mentale embarque en plus ici avec lui toute la violence des représentations médiatiques des femmes racisées, dont ce qu’on choisit de retenir de leur personne peut être à la fois utilisées pour elles (mais c’est jamais aussi simple, is it ?), et contre elles. Comme le dit @_WrittenByHanna sur Twitter : « Il y a encore quelques années, l’attitude réservée de Naomi était utilisée pour mettre en relief l’ »agressivité » de Serena, et maintenant ce pour quoi Naomi était glorifiée, est ce pour quoi elle est critiquée. La misogynoir est si flexible dans sa cruauté. »

Un dernier procédé est d’ailleurs utilisé dans l’article de la RTBF (mais pas que) : demander à Roger, Rafael, David, ce qu’ils pensent de la situation, pour insister sur le fait que c’est quand même pas la mer à boire, eux ils font tout bien comme il faut, eux ils y arrivent, eux ils trouvent ça normal, sans bien sûr jamais questionner ce qui leur permet de tenir ce genre de position. Il faudra qu’une autre athlète noire (Serena-Queen-Williams) intervienne à son tour pour qu’on commence à parler de soutien.

Nos médias, nos biais

En réponse aux commentaires vomitifs sous la publication d’une personnalité publique qui accusait un homme blanc riche de viol (j’ai oublié de qui il s’agit, coucou la déprime du nombre), quelqu’un·e pointait un élément qui m’a marqué par sa simplicité et sa justesse : la femme médiatique en question ne va probablement pas lire tes commentaires de merde (je paraphrase), mais la personne que tu connais, qui te suit, qui te lit, avec qui tu es peut-être ami·e, ou qui fait peut-être partie de ta famille, va les lire. Et va noter que tu ne fais pas partie des personnes vers qui elle pourrait se tourner s’il lui arrive quelque chose de similaire. Et encore moins, du coup, pour quelque chose que tu risquerais de trouver moins grave.

Cette idée s’applique sans peine ici aussi, à chaque réaction individuelle (comme on nous rappelle sans cesse que machin à une sœur, truc une mère, bidule une voisine comme caution de son sexisme, hésitez pas à vous demander régulièrement ce que pensent vos cautions de vos prises de position), mais elle fonctionne aussi, il me semble, à chaque réaction médiatique dominante, et nos réactions face à ce traitement.

À chaque mouvement qui domine, comme celui-ci qui refuse de prendre la santé mentale au sérieux, c’est un signal, dans ce cas-ci vers toutes les personnes souffrant de dépression, vers toutes les personnes qui vivent avec un trouble de l’humeur, ou un trouble de la personnalité, ou même qui ‘se demandent si’. C’est un signal en forme de majeur tendu, qui rappelle que ce qui se joue là n’est pas perçu comme sérieux, ni important, ni digne d’intérêt. Qu’il y a un prix à payer pour qui veut en parler.

Qu’au contraire, surtout continue à prétendre des symptômes physiques quand tu te bats avec des symptômes mentaux, parce qu’on n’est pas intéressé. Continue à pas oser en parler, et donc à ne pas chercher de l’aide, parce qu’on n’est pas intéressé. Continue à garder pour toi les compétences et appétences particulières et enrichissantes que t’apportent ton trouble, on n’est pas intéressé. Continue à adapter parfois de façon ultra alambiquée tes vies sociales et professionnelles en secret, comme si t’avais fait quelque chose de mal, et continue de t’épuiser en stratégies pour masquer tout comportement qui pourrait te trahir, parce qu’on n’est pas intéressé.

By the way, je sors pas ça de mon cul, je te parle pas d’impressions mais de tendances claires des effets du paysage médiatique, d’un manque d’information total sur les questions de santé mentale, qui par ailleurs sont allègrement tartinées de stigmatisation. Une étude IPSOS de 2014 (je n’ai incroyablement pas trouvé d’équivalent belge de l’étude…) montre par exemple que 74% des Français·es pensent que les personnes vivant avec une maladie mentale sont dangereuses pour elles-mêmes ou pour les autres. Un tiers des Français·es seraient gêné·es de travailler (35%), ou de partager un repas (30%) avec un·e malade mental·e. Hahaha, well, guess what…

En 2019, la chercheuse Blandine Rousselin s’est demandé comment les personnes vivant avec une maladie mentale perçoivent le traitement médiatique de leur pathologie, pour conclure que ô joie, ô surprise, la stigmatisation, la discrimination et le rejet « apparaissent ainsi comme des marqueurs permanents des discours ». Je précise à toutes fins utiles que la prévalence de la dépression (qui est loin d’être le seul trouble mental) en Belgique, c’est autour des 10% (15% en 2013, 9% en 2018), qu’on a bien sûr grimpé à 20% pendant le confinement (donc tu prends 4 personnes autour de toi (+ toi, patate) et tu tires tes conclusions), que la prévalence est 2x plus élevée chez les femmes, et que les troubles mentaux et du comportement représentent la cause principale des incapacités de travail de longue durée (35,8% en 2019).

Surtout, ne rien questionner d’autre que l’individu

Tout ça pointerait vers la santé mentale comme question structurelle qu’on serait pas étonné·e hein ? Pourtant le traitement médiatique de l’affaire, what else is new, s’applique bien fort à ne chercher à faire sens de la situation que par un recours à l’individu qu’est Osaka, sa personnalité, sa carrière, son salaire, son palmarès, tout en usant d’une rhétorique du choix, de la décision individuelle de la joueuse, afin de continuer à ne pas comprendre, un individu à la fois. Une posture idéale pour ne jamais avoir à tirer de conclusion d’ensemble, à interroger le système qui mène à prendre ce genre de décision, qui pourrit la santé mentale, qui s’avère incapable de l’entendre comme une donnée valide. Car tant qu’on boude sur le choix d’une joueuse, le système peut continuer sur ses roulettes.

Combien d’articles ont conclu l’affaire, soit de leur propre analyse pointue, soit en rapportant les propos de truc ou machin, que ces conférences de presse, « ça fait partie du job ». Combien, en miroir, se sont interrogés sur ledit job, ses règles, ses contraintes, ses discriminations internes, sa rigidité. Combien ont contextualisé les effets de la dépression, et envisagé la décision comme celle d’une femme athlète all grown up qui prend une décision difficile mais raisonnée, sans partir du principe qu’elle est soit capricieuse, soit inconséquente ? (Une timide dépêche AFP, reprise telle quelle ça et décrit plus qu’elle n’analyse, mais a le mérite d’élargir le débat) Combien ont entendu ces propos comme émanant d’une athlète qui s’avère être une femme racisée ? Combien ont abordé dans leur traitement les contraintes inouïes du sport de haut niveau, et ses biais sexistes, classistes et racistes, en tenant de comprendre le cadre dans lequel s’inscrit cette décision ? Combien ont pris au sérieux les questions répétitives ou propices à générer du doute, pointées par Osaka, et en ont profité pour remettre en question les pratiques de leur métier ? Combien ont fait preuve de créativité vis-à-vis de leur métier en imaginant des alternatives de communication entre les athlètes et la presse ?

En fait je n’attends pas tout ça des médias, qui sont pris dans des contraintes économiques et politiques trop pernicieuses pour pouvoir remplir le rôle qu’on continue pourtant de leur assigner. Mais quand ce genre de sujets émerge, le traitement médiatique qui en est fait me semble crucial à conscientiser. Ne serait-ce que pour réaliser nos propres conditionnements, biais et coins d’ignorance entretenue, nos propres tendances à forcer la main avant d’envisager « d’accord ». Mais aussi pour reconnaître que ce sont ces représentations-là qu’on véhicule en tant que société, se demander si, en fonction de nos valeurs et de nos connaissances, c’est quelque chose qu’on a envie de défendre, ou de combattre. Individuellement, et collectivement. Puis le faire.

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D’où ta baise, elle est pleine d’erreurs?

Capture d’écran dudit article sur le site de 7sur7

Hier, 7sur7, le site d’actu qui a à coeur de nous « informer avec sérieux sans se prendre au sérieux » s’est effectivement bien payé notre gueule avec son « 8 choses que les femmes ont tendance à faire au lit qui énervent particulièrement nos chéris. Oups… ». Bon, déjà, non, pas « oups », mais « what the actual fuck ».

L’article annonce qu’il s’agira de pointer les « comportements qui peuvent déranger les hommes au lit », à savoir « des choses qu’on fait parfois sans s’en rendre compte, mais qui peuvent gâcher une partie de jambes en l’air ». RIP ma vibe petit bambou, à ce stade, j’ai fait un bruit de chat qui tente de recracher une boule de poils puis j’ai tout lu les dents serrées. Oskour. Viens, on se tape ensemble toute cette catastrophe, puis on respire, puis on se demande ce qu’on en fait.

Les règles qui prennent les femmes pour des buses

Dans la catégorie « La Femme, cette empotée », l’article nous déconseille de « lui proposer de regarder un film porno… et lui reprocher d’apprécier le moment » ou encore de « lui griffer le dos ». La Femme essaye d’avoir des bonnes idées, mais La Femme n’assume pas, et La Femme est une quand même pas mal une chieuse, pendant que Monsieur ne demandait pourtant qu’à se palucher, et elle elle fait rien que le déconcentrer.

Le mieux est de tout miser sur une explication lente et concise à La Femme: « Ces films ont pour simple but de faire monter la température ou de stimuler votre imagination« , ooooh. Griffer son partenaire, « ça lui fait surtout mal« , aaaah. « C’est une pratique qu’on voit souvent dans les films, mais à ne pas reproduire dans la réalité« , mmmmh.

Les règles « l’inconfort c’est ma passion »

L’objectif de ces conseils est que le susmentionné « chéri » bénéficiera de ton inconfort le plus total, pour passer en toute décontraction son petit moment d’extase dont, je te rappelle, tu n’es qu’un instrument. Ainsi, il nous est déconseillé d’être « trop bruyante quand d’autres personnes peuvent nous entendre » au risque de « gêner » chaton qui y perdrait sa concentration. Pas de mention de tête d’orgasme déconcertante ni de grognements d’outre-tombe, étrangement.

Dans le même ordre d’idée, ça les arrangerait aussi qu’on évite surtout d’« aller aux toilettes juste avant l’acte », car ça « casserait l’ambiance ». Donc on part sur moi qui te pisse dessus par surprise plutôt? En termes d’ambi ça dit quoi? Attends donc le mec sait pas se concentrer si je fais un peu trop de bruit, mais moi je dois pas perdre le fil en ayant envie de faire caca. Non, non, bien. Bien bien bien. Dans le genre règles random on, est, bon.

Les règles « oui, mais aussi non »

On arrive bien sûr à ce que la patriarcat produit de meilleur: les injonctions contradictoires, AKA débrouille-toi, AKA t’es obligée de jouer et t’as déjà perdu. Ainsi, il nous est par exemple vivement conseillé d’arrêter de vouloir « éteindre la lumière ».

OK donc, topo rapide : on passe toute notre vie à subir vos injonctions improbables là, qui nous demandent d’être bonne mais pas trop, mince mais avec des formes, maquillée mais pas comme un camion, épilées mais sans que ça fasse trop explicitement prépubère, à être jugées sur la taille de nos seins, la taille de notre cul, la longueur de nos cheveux, la qualité de notre peau, le mou de notre ventre, la circonférence de nos cuisses, ET EN PLUS on est priées de rien mettre en place qui pourrait nous permettre de pas penser à la violence de ces normes au moment où on jouit ?

Pour continuer sur cette belle lancée, et si on arrêtait de « se contenter du missionnaire »? Bah oui, « plus c’est varié, plus les hommes aiment […] En manque d’inspiration? Pourquoi ne pas tenter la position du triangle lumineux ou encore celle de l’union du papillon. » En manque d’inspiration ? Et pourquoi ne pas commencer par lécher ta meuf si t’as tant que ça envie de changer de position ? Ou tenter la position de ma basket dans ta grande bouche pleine de sottises ? Permettez-moi tout de même d’être surprise du nombre de trucs qu’on est censées prendre en charge pour des personnes dont il faut à ce point encadrer la sexualité.

Les règles qui balaient le consentement

OK là on arrive sur le terrain qui non seulement ne me fait pas rire, mais aussi me fait prendre un air comme si j’allais déboulonner ta maison. Et pour cause. L’article suggère aux femmes qu’elles cessent ce comportement visiblement insupportable qui consiste à « attendre que ça se termine », étant donné que « la passivité pendant une partie de jambes en l’air n’a rien de sexy ».

Plus loin, femmes ingrates que nous sommes, nous sommes également encouragées à arrêter de « lui faire comprendre que vous lui faites une faveur ». En effet, l’article poursuit sa mission d’éducation en nous faisant savoir qu' »un homme aime ressentir que vous avez autant envie que lui de faire l’amour. Si vous n’avez pas envie d’une relation intime un soir, soyez honnête et dites-le à votre chéri. D’abord, parce qu’il ne faut jamais se forcer, et ensuite parce que votre chéri sera déçu d’apprendre par la suite que vous n’avez pris aucun plaisir ou que vous l’avez fait juste pour lui faire plaisir.

Chaque mot de cette justification est un désastre. Laisse-moi d’abord être limpide sur un point : bien sûr qu’on baise pour vous faire une faveur. Pas toutes, pas à chaque fois, pas avec chaque partenaire, pas forcément toute sa vie, mais oui, bien sûr que ça arrive. J’ai envie d’dire que se faire pilonner au réveil, la lumière dans ta gueule, sans avoir pu aller pisser avant, en papillon de lumière là, on le fait pour quoi exactement ? Pour nous ? Hahahahahaha, chouchou.

Si tu peux pas encaisser qu’on te suce pour te faire plaisir, 1/le mot que tu cherches, c’est « merci », 2/n’hésite pas à redescendre un peu quant à la grandiosité de ta bite : non, elle est pas incroyable au point que sa proximité nous suffit à crier de plaisir (enfin à gémir assez fort pour que tu entendes la tigresse qui est en moi mais sans déranger les voisins je veux dire). 3/Si t’es déçu parce qu’on n’a pas pris de plaisir, on peut peut-être partir sur une petite remise en question/discussion de si, et comment, t’as effectivement essayé de faire plaisir. Et enfin 4/si t’es déçu d’apprendre par la suite que la meuf avait en fait pas envie, je t’assure que le problème vient de toi.

Parce que ce que sous-entend ce « conseil » est profondément glauque, et particulièrement dangereux. Oui, y’a plein de moments où on prend notre pied, parfois même avec vous, y’a plein de moments où on peut aimer, adorer le sexe, y compris le vôtre, oui ça peut être épanouissant, et joyeux, et jouissif, etc. Mais y’a aussi des moments où on peut baiser littéralement pour faire plaisir à l’autre. Et c’est pas forcément grave. Par contre ça peut l’être. Ça l’est quand le sexe « de politesse » est en fait du sexe parce qu’on n’ose pas dire non, parce qu’on a peur pour sa sécurité, parce qu’on sent qu’il pourrait y avoir un tarif au refus, parce qu’on veut être tranquille…

Du coup, apprendre à distinguer la deuxième situation de la première, c’est pas juste une bonne idée pour être un être humain décent, c’est surtout apprendre à ne pas violer. Parce que ce dont ça cause ici, c’est de consentement. Si la meuf avec qui tu es te dit après coup qu’elle n’avait pas envie, la réaction appropriée n’est pas la déception. La réaction appropriée est une fucking remise en question massive et immédiate de ta façon d’initier le sexe, de ta façon d’écouter la personne avec qui tu veux du sexe, de la considérer comme une personne et non une chose, de ta façon de nier les éléments qui indiquaient que le désir n’était pas là. De la même façon que si t’es avec quelqu’une qui est/semble passive, le problème c’est pas sa passivité, c’est ton choix de continuer sans te/lui demander si tout lui convient.

Ces « conseils », c’est à nouveau mettre la responsabilité sur les mauvaises personnes. C’est prétendre que c’est une question d’ « honnêteté » de notre part. Comme si le problème était qu’on mentait sur notre désir. Tu réalises à quel point c’est fucked up ? Est-ce qu’on peut plutôt parler du fait que moi et un nombre gigantesque de meufs, on a pu constater de première main que dire non et pleurer, ça fait partie des signes que les hommes peuvent se sentir autorisés à ignorer ? On peut parler du fait que le problème est là, et pas dans notre prétendu manque de transparence?

Du coup oui : ça me semble indispensable qu’on apprenne à reconnaître les moments où il y a absence de désir sexuel, et ceux où il y a absence de consentement. On peut être d’accord pour du sexe, pour d’autres raisons que le sexe. Et c’est OK. On peut être d’accord pour du sexe, pour d’autres raisons que son plaisir. Et c’est OK. On peut être d’accord pour du sexe, et finalement pas prendre de plaisir. Et c’est OK. On peut être d’accord pour du sexe, puis plus d’accord. On peut avoir très envie, mais pas être d’accord que ça se passe. La base est que Tout le monde. Soit. Fucking. D’accord.


Bon, pourquoi on s’est tapé toute cette lecture gerbante? Je ne suis pas une grande fan de partager le sexisme pour le plaisir de se rappeler qu’il existe. De partager ce genre d’articles juste pour dire « vous avez vu comment c’est trop sexiste? » On n’a pas besoin de ça, ça plombe le moral et ça appuie où ça fait mal alors que les exemples ponctuent déjà nos journées. En revanche, il me semble essentiel de prendre le temps de commenter ce sexisme, d’en étudier les mécanismes pour mieux l’identifier, même dans l’anodin et le banal d’un article lifestyle de 7sur7. Parce que ça s’immisce partout cette merde, et ça fait partie du concept: faire passer pour normal et ordinaire des éléments qui perpétuent la violence et l’inégalité intrinsèques au système.

Le système résumé en un article

En insistant de cette façon sur l’idée d’hommes et de femmes, l’article participe déjà au merdier patriarcal dans lequel nous nous trouvons. Je précise: le problème n’est pas tant de parler d’hommes et de femmes, mais d’en parler:

1/comme si c’étaient les seules identités acceptables et disponibles, ce qui est factuellement faux (factuellement = ton opinion n’a aucun impact sur le réel, que tu sois d’accord ou pas ne change absolument rien à l’existence d’autres identités de genre);

2/comme s’il s’agissait de deux identités opposées, qu’il faut traiter comme deux ensembles distincts, avec leurs comportements et leurs préférences propres, et régulés par des normes spécifiques. Décider qu’il n’y a que deux cases disponibles, c’est déjà une belle entourloupe, mais en plus tu peux pas vivre ta case comme tu le souhaites: y’a des instructions. Sans ça le patriarcat fonctionne moins bien évidemment, manquerait plus qu’on puisse chacun·e se définir au-delà de ce qu’on a entre les jambes.

3/comme s’il était naturel et non-questionnable que l’un de ces deux groupes ait l’ascendant sur l’autre, étant donné qu’il ne s’agit à aucun moment de s’interroger sur les rapports de pouvoir dans la sexualité, mais précisément d’informer un des deux groupes, et seulement celui-là, de ce qu’il existe des règles qu’il ne suit pas suffisamment, ou pas correctement. Parce qu’un système d’oppression sans oppression, c’est quand même pas mal la loose.

4/comme s’il coulait de source que les deux seules identités reconnues dans l’article s’attiraient automatiquement. Dans le monde de cet article, tous les individus sont sexuels et seule l’hétérosexualité est une réalité. À nouveau, le problème n’est pas tant de parler d’hétérosexualité (en fait si parce qu’on fait que ça, déjà), mais de parler de la spécificité de l’hétérosexualité comme si on parlait de sexualité en général. On voudrait faire semblant que c’est l’unique et donc l’obligatoire option, qu’on ferait tout pareil dis donc.

De cette façon, cet article résume parfaitement le système dans lequel nous nous trouvons: un système binaire, inégal et hétéronormé, et les rapports de pouvoir qui y président, c’est-à-dire la façon dont le pouvoir est distribué et accessible en fonction de la place qu’on occupe au sein de ce système.

Oui mais lézommes aussi

En partant de cela, il devient assez clair que l’un des arguments systématiquement utilisés pour démontrer toute l’ampleur de la bêtise des féministes, à savoir « ouais mais ça existe aussi dans l’aut’ sens hein », ne tient pas la route. Même s’il existe aussi des articles qui racontent aux hommes les comportements à éviter en matière de cul, non, ça n’est pas la même chose, et non ça ne fait pas un partout balle au centre. Car l’un et l’autre article (celui qui parle du groupe « femmes », et celui qui parlerait du groupe « hommes ») ne s’inscrivent simplement pas du même côté du rapport de pouvoir. Faire comme si c’était le cas fausse le raisonnement.

Parce que certes, toutes les règles mentionnées dans cet article pourraient être appliquées à tous les sexes (ce serait pas une bonne nouvelle vu la gueule des règles, mais techniquement ça pourrait). Mais dans le cadre de cet article, elles ne le sont simplement pas, elles s’appliquent exclusivement aux femmes. Aux femmes qui baisent avec des hommes. Aux femmes, qu’on met en garde qu’elles ont le pouvoir de « gâcher une partie de jambes en l’air » si elles ne respectent pas bien les désidératas masculins. Ce genre d’article rappelle aux femmes qu’elles sont soumises à des injonctions jusque dans leur culotte, et rappelle aux hommes qu’ils sont autorisés à avoir des attentes de ce type, et à le faire savoir.

En édictant des règles (particulièrement random) censées cadrer la sexualité des femmes, ce ne sont pas toujours les règles elles-mêmes qui comptent, mais le simple fait de rappeler qu’il y en a. Qu’il ne s’agit pas là d’un espace libre. Que le patron, c’est pas nous. Car qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit évidemment pas ici de règles pour une sexualité épanouie. Rends-toi compte: il s’agit de règles qui, explicitement, favorisent les hommes et leur plaisir, dont il est de bon ton que les femmes se sentent les garantes au détriment de leur propre bien-être.

Ces règles s’appliquent exclusivement aux femmes dans la cadre de cet article, donc, mais aussi plus généralement dans le cadre du « site web belge d’actualités » destiné à « fournir un aperçu le plus complet et honnête de l’actualité » qu’est 7sur7. En fait, 7sur7 qui a publié cet article n’a jamais trouvé que les hommes feraient bien d’éviter des erreurs au pieu. Pas une fois. En revanche, il trouvait déjà en 2009 que les femmes commettaient 15 erreurs classiques avec leur cul (les gourdes), puis encore en 2013, où ils sont revenus aux essentiaux en pointant cette fois 5 erreurs. Les hommes semblent n’avoir aucune erreur à éviter, aucun article traitant de ce sujet ne semble les concerner (recherche Google hein, toi aussi tu peux vérifier si t’es déjà en train de bouder). Ainsi, notre société autorise sans même s’en rendre compte qu’un média qui se veut généraliste trouve bon de rappeler les injonctions aux femmes exclusivement, et régulièrement.

Enfin cet argument du « l’inverse existe aussi et lézommes souffrent » ne tient pas car dans le système qu’on commence un peu à connaître par cœur, les femmes sont dominées, et ça passe notamment (largement) par le rapport au cul. Oui je sais, t’aimes pas trop lire ça. Mais ça change rien. Le rapport des femmes à la sexualité est déjà soumis à un tas d’injonctions. On est sexualisées hyper tôt puis pour la majeure partie de notre vie. On est toujours trop ou trop peu sexuelles. On est constamment évaluées en fonction de notre baisabilité. Le terrain sexuel est un haut-lieu d’injonctions contradictoires particulièrement néfastes pour les femmes. Tout ceci n’existe simplement pas dans la même mesure vis-à-vis des hommes. D’où le petit côté dominant tsais.

Donc pour vos #NotAllMen, je vous invite cordialement à les adresser aux responsables de ce torchon plutôt qu’à moi pour changer. Idem pour vos « alors là je ne comprends pas comment c’est possip' ». Si t’as envie de me dire que toi pas, surtout tu te tais. Je m’en fous. Ce qui m’importe ici c’est que toi et moi, on a grandi dans une société dans laquelle les hommes apprennent qu’ils mettent les règles, et que les femmes les respectent. Que tu aies l’impression d’y participer ou pas n’a aucune espèce d’importance.

Je dis ça, je dis rien (et je le dirai jamais assez), mais un Satisfyer, il s’en fout de ta tête d’orgasme, il veut juste ton bonheur.  

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D’où tu parles de sublime toi ?

Point rapide sur la sortie abrutie de Fabien Lecoeuvre. Le monsieur trouve que la chanteuse Hoshi n’est pas à son goût. Il trouve qu’elle n’est pas à son goût, publiquement, à la radio. Le monsieur trouve qu’elle est décidément très talentueuse, ha ça oui, mais par contre est-ce qu’elle aurait pas envie d’utiliser quelqu’un de « sublime » comme véhicule de tout ce talent ? Le monsieur est enfoiré ascendant morceaux de vomi.

On va faire ça en checklist, comme ça vous pourrez l’utiliser la prochaine fois que vous aurez envie de nous informer de la taille de votre trique à la vue de l’une d’entre nous.

1/Lâchez-nous le cul avec vos injonctions. Je répète, lis-le autant de fois que possible : LÂCHEZ-NOUS LE CUL AVEC VOS INJONCTIONS. Et avec vos regards dégueu qui pensent qu’à nous évaluer en fonction de notre baisabilité. C’est quoi l’idée, c’est parce que tu sais qu’elle veut pas de toi ? C’est ça, dès qu’on s’écarte même d’un poil (LOL) de vos exigences de merde, il faut que vous nous fassiez savoir, haut et fort, qu’on ne bénéficie plus de ce luxe suprême qu’est votre envie de nous baiser ? Vous me dégoûtez bordel.

2/Ce qui est merveilleux c’est que soit on est officiellement moche, soit on est officiellement sublime, soit on se situe quelque part entre les deux, et dans tous les cas on est, qu’on le veuille ou non, sur votre fucking baromètre là, en fonction duquel sera évalué notre humour, notre intelligence, notre force, notre parole, notre existence, tout ça à l’aune de la taille de nos boobs. Avant d’être quoi que ce soit d’autre, on doit être belle ou moche. Quoi qu’il arrive faut qu’on sache d’abord si on est un trou acceptable à vos yeux. La gerbe. La honte. La violence.

3/On sait toutes ce qu’on vaut physiquement, pour des mecs cis. Tu sais pourquoi ? Parce qu’on est toutes évaluées par vos sales regards. Vos réflexions « bienveillantes » sur notre corps. Vos « compliments » sur nos formes, ou absence de. Vos « préférences » sur notre maquillage, sur nos cheveux, sur nos talons. Vos « blagues » sur notre tenue. Votre « drague ». Votre « second degré ». Votre « imagination ». Votre évaluation, constante, de notre apparence. C’est un rappel régulier que notre valeur tient à ce qu’on est baisable. Tu réalises ça ? Evaluer notre apparence, c’est une dimension centrale de la culture du viol. C’est nous prévenir que la société t’autorise ça, valorise ça. C’est nous ramener systématiquement à l’idée que le respect que tu daigneras nous témoigner tient à combien tu nous trouves bonne. Sachant qu’être bonne n’impose pas non plus automatiquement le respect. Parce que ce qui compte c’est pas qu’on atteigne tes standards, c’est qu’on les craigne.

4/Non, l’équilibre n’est pas rétabli parce qu’on te dit à toi que t’es moche. Parce qu’en vrai, ton ego en prendra peut-être un petit coup. Peut-être que tu te pensais tellement au-dessus du lot que la réplique te prendra un peu de court. Mais elle ne s’inscrira pas dans une société qui te demande de préparer ton « summer body » la moitié de l’année, de perdre les kilos des fêtes l’autre moitié, qui te méprise violemment si t’as des poils, de la peau, des tâches, du gras. On n’a pas commenté régulièrement ton physique depuis que tu es tout petit. On ne t’a pas mis en concurrence sur un nombre incroyable de normes improbables pendant ton adolescence, te poussant à une autosurveillance constante. On ne te montre pas à poil dans la douche pour vendre un yaourt. Tu vois tout le temps des gens qui te ressemblent à la télé, sans que ça soit « courageux » ou « inclusif ».

5/Oublie tes excuses à base de « maladresse », de « hors contexte », de « déso que t’ait été blessée parce que vraiment y’a aucune raison, tout ça c’est dans ta tête ». Même tes excuses elles puent le ressac merdeux. À quel point faut-il être toxique pour penser que ton évaluation du physique d’une femme est ok parce que t’as dit un autre truc, aussi, en même temps. On veut des excuses, pas des justifications. Cette arrogance.

6/Virez-nous ces mecs blancs de la parole médiatique. Virez-nous ces mecs qui pensent qu’ils sont tellement les rois du monde, et traités comme tels, qu’ils peuvent se permettre ce genre de sortie. Incapables de penser autrement qu’à travers un cadre misogyne. Et qu’on arrête de les excuser par leur supposée ignorance. Ça n’est pas de l’ignorance: ils sont entourés de discours qui leur expliquent le problème. Ça n’est pas de l’ignorance, c’est un choix, un positionnement. Watch us plus laisser passer ça.

D’où je vis seule (et pour toujours, j’espère)?

J’ai toujours perçu le fait de vivre avec mes partenaires comme une fin en soi. Jusqu’à ce que ça se mette autrement, et que la question ne se pose plus. Petit débrief très personnel d’un choix, d’un privilège et d’une raison d’être du féminisme.

Je n’ai jamais été amoureuse de quelqu’un sans avoir envie de vivre avec cette personne. Ça me semble parfaitement logique et parfaitement excitant. J’ai d’ailleurs toujours vécu ce projet comme une étape essentielle dans une variation personnelle de la suite maison-bébé-mariage (adaptée en fonction du partenaire, de ma génération et de ma classe sociale, mais l’idée reste la même : c’est le fameux escalator dont parle Victoire Tuaillon dans le premier épisode du Cœur sur la Table, qui m’a clairement donné l’impulsion d’écrire. Allez l’écouter, genre maintenant).

J’ai souvent vécu cette étape avec un sentiment d’urgence, d’excitation, comme une preuve d’amour, de sérieux et de réciprocité, un tremplin vers la suite d’une passion intacte à jamais (oui je suis plutôt quelqu’un d’intense, émotionnellement parlant).

Invite-moi, plutôt

La première fois que j’ai vécu avec un homme dont j’étais dingue amoureuse, j’avais 21 ans. L’écrire maintenant m’évoque « wtf, 21 ans » et « quel ‘un homme’, on était des bébés » mais ça semblait l’étape la plus romantique qui soit, même si je sentais (preuves écrites de l’époque à l’appui) que c’était probablement pas l’idée la plus brillante de ma vie. No shit.

Pendant les douze années qui ont suivi, j’ai vécu beaucoup seule, un peu en coloc et encore 2x en couple. Avec le recul, j’associe les phases d’appart solo à des périodes de grande liberté, pendant lesquelles j’ai été assez protectrice de ma bulle, et seuls des amants (cœur sur les amants) étaient autorisés à me rejoindre dans mon joyeux chalet bordélique tout en haut d’un immeuble. Encore aujourd’hui, j’invite très peu chez moi. Quand je le fais c’est avec plaisir, mais c’est rare. Je déteste les « passages à l’improviste » (je comprends pas pourquoi vous faites ça, les gens. J’sais pas, restez chez vous quoi). Si tu m’apportes un truc, c’est moi qui descends, pas toi qui montes. Et j’ai fait le deuil de ce qu’on m’avait vendu et que j’ai échoué tant de fois à devenir : une fée du logis qui reçoit, fait ça bien, adore ça. Nah, j’suis une bonne invitée moi.

Et pourtant, l’idée d’emménager avec un amoureux, que je la vive comme une relative obligation comme la première fois, ou comme un projet joyeux et sensé comme la dernière, je l’ai toujours accueillie comme une évidence. J’aurais été vexée qu’elle ne se présente pas, en vrai. Si l’idée de ne pas vouloir me marier, puis de ne pas vouloir d’enfants avait doucement fait son chemin, je n’avais jamais, jamais envisagé de ne pas vivre avec la personne dont je suis amoureuse. Pas dans le sens où c’était impensable tellement c’était grandiose ; mais dans le sens où c’était impensé tellement c’était la norme. C’était invisible à mes yeux, ancré si profondément que je n’avais pas conscience que c’était aussi un paramètre questionnable. Que c’était un paramètre tout court.

Faire famille

Une amie a évoqué ce choix pour elle-même un jour, en me disant super casual « ah ouais non, moi non » et j’ai trouvé ça 50% badass AF, 50% no fucking way. Genre mais c’est tellement cool, enfin pour toi j’veux dire. Parce que c’est super effrayant : on te vend tout un modèle à coup de contes de fée et de comédies romantiques, tu vois tout le monde autour de toi qui semble s’épanouir là-dedans, ou essayer de toutes ses forces, toi t’as déjà fait des choix qui te marginalisent en refusant toute une partie du package, et tu voudrais en plus pousser le truc encore un peu, genre passion solitude ici.

Pour le dire autrement, après avoir compris que le mariage ne présentait rien de sensé pour mon cerveau perpétuellement en train de se demander EN MÊME TEMPS d’où t’es pas en train de me faire un câlin, et est-ce que tu veux bien me laisser respirer-stp-merci-bien, et que c’était la perspective de ne jamais avoir d’enfants qui me foutait les papillons, vivre côte-à-côte quotidiennement avec la personne que j’aime présentait un double avantage : 1/ça me semblait être la meilleure façon de « faire famille », la seule option pour me sentir profondément liée à quelqu’un, quand ni un contrat, ni des bébés ne feraient le taf et 2/ça me permettait de rester lisible, de limiter la marginalisation en tant que femme-incomplète-à-jamais-car-sans-enfant, et donc suspecte, dangereuse, triste, sorcière (je suis sûre qu’Adrienne Rich et Mona Chollet seraient subjuguées par ma capacité à condenser leur pensée de façon si efficacement éloquente).

Et puis tsais comment ça va, la vie te met des grands coups de pelle dans la gueule comme ça, régulièrement par le biais de ta vie amoureuse. Et j’ai décidé sans trop y penser que plus jamais je vivrai avec quelqu’un. Ça a d’abord été un choix par défaut, en mode survie, quand ma vie amoureuse c’était Thatcher en plein partie de Ibble dibble. Où paumée, j’entrais dans une relation sur la pointe des pieds en chuchotant « j’suis pas v’nue ici pour souffrir aukay ? », donc la perspective d’emménager avec quelqu’un avait un effet vomitif immédiat (aussi appelé « effet Desigual ») sur ma petite personne.

J’étais dans l’faux, j’étais dans l’faux

Puis petit à petit, en plein milieu de cette situation inédite pour moi, en me sentant en couple comme un bébé à qui on doit expliquer patiemment qu’il peut pas manger du sable, j’ai retrouvé le soulagement que c’est d’avoir un endroit où rentrer seule. Après la phase vomitive a donc commencé la phase refuge, où mon chez-moi est devenu une petite grotte dans laquelle me planquer en cas de menace de coup de pelle dans la gueule. Un genre de doudou de 30m² sous lequel recharger mes batteries.

Et petit à petit, sans que je réalise vraiment, mon chez-moi est redevenu détaché de son rapport à ma vie amoureuse, jusqu’à ne plus en être un paramètre, du tout. C’est-à-dire que sans m’en rendre compte, j’ai commencé à passer du temps dans mon petit deux pièces bruxellois sans que ce soit pour éviter de, échapper à, me remettre de. Juste pour passer du temps, seule, chez moi.

Et rentrer seule chez moi à la fin d’un weekend de feu, rentrer seule chez moi après quelques jours chargés, rentrer seule chez moi pour glander comme jamais en training-cheveux gras ou en robe à paillettes que j’ose pas encore mettre dehors, rentrer seule chez moi d’une soirée entre potes (so 2019 la meuf), rentrer seule dans mon petit bordel que j’ai pas envie de ranger maintenant, rentrer seule chez moi et écrire dans le silence, et lire mes livres, et écouter Sheryfa Luna si j’veux, rentrer chez moi, dans mes affaires, dans mes meubles, mes draps, mes habitudes, dans mes choix qui, à ce moment-là, n’engagent que moi.

Bref avoir mon chez-moi, ce n’est plus un paramètre de ma vie amoureuse, c’est un paramètre de ma santé mentale. C’est devenu du self-care. Je parle pas (que) du self-care bain-masque-bougies-treat-yoself. Je parle plus globalement d’un self-care politique, celui qui consiste à s’auto-déchiffrer, à comprendre ce qu’on veut, une fois qu’on a compris que ce qui s’est imposé par la norme ne nous convient pas et nous bouffe. Identifier ce qui ne fonctionne pas avec soi, c’est une étape qui peut être douloureuse. Savoir ce qu’on va faire de cette info, comment on va aménager les solutions, c’est encore un tout autre monde, qui exige un apprentissage sans fin de soi-même. Du self-care.

Socialisée à être utile aux autres

C’est aussi se rappeler qu’en tant que personne socialisée à la passivité plus qu’à l’agentivité, à prendre moins de place qu’un homme, à remplir un rôle particulier au sein du couple (de la charge mentale ménagère à la charge émotionnelle), à se conformer à une série d’attentes qu’on peut, pour certaines, espérer laisser tomber avec plus de facilité quand on est seule (l’injonction conséquente et multiforme à l’auto-surveillance esthétique est un exemple criant, qui implique par exemple un degré différent de ce qui est considéré « se laisser aller » en fonction du genre. Ça et le fait qu’on est censées pas faire caca, quel enfer), vivre seule peut être une réelle prise de pouvoir.

Comme on nous apprend, dans les schémas hétéro, à nous positionner en fonction du regard masculin, à être constamment secondaires, ou secondées, vivre seule est une façon de s’extraire temporairement de ça, d’exploser à la batte des cases qui nous restreignent, de pas occuper cette place-là, d’en tester d’autres, de penser à sa gueule. De donner de l’importance à d’autres choses. Et d’y prendre goût.

Moi, ça me permet de vivre à mon rythme. De me sentir plus libre de mes mouvements. D’être une meilleure amoureuse et une meilleure amie. De travailler à ce que ma vie amoureuse ne soit pas toujours au centre. De m’obliger à m’occuper de moi, alors que j’ai tendance à laisser glisser ça au second plan sans m’en rendre compte quand je suis amoureuse. D’être plus consciente des choix que je fais pour ma vie sociale. Et puis toi, t’aurais peut-être d’autres raisons. Ou t’aurais peut-être envie de toucher à un autre paramètre. Ou pas. Et trouver le courage d’y penser un peu, c’est déstabilisant, pas toujours confortable, mais potentiellement libérateur.

Ça peut revenir à s’offrir la possibilité d’expérimenter des espaces que la société nous laisse peu l’occasion d’explorer, et qui diffèrent évidemment en fonction des parcours de chacune : ça peut être la solitude, la débrouillardise, l’égoïsme, le self-care, la connaissance de soi, l’ennui, le plaisir, la créativité, la patience, la capacité à faire des choix. C’est s’offrir une bulle dans laquelle, pour changer, il ne « faut » rien, où on peut déposer les armes et détricoter les attentes et voir ce que ça donne. C’est un laboratoire. Une zone d’observation de soi-même.

Tiens, je fais quoi quand je m’ennuie ; tiens, après 2 jours seule, je deviens triste ; ou tiens, la musique le matin c’est indispensable pour moi (« musique » peut être un code pour ce que tu veux). Parce que si on a intégré que la sphère domestique était notre royaume, on a bien intégré en même temps qu’un royaume où l’on vivrait seule est d’une tristesse sans nom, le témoin humiliant d’un échec et de notre inutilité. Que le royaume n’a de sens que si l’on y travaille pour l’autre, pour la famille, si l’on y exerce un rôle assigné, sans quoi notre royaume ne serait qu’une coquille vide.

I call bullshit.

Le privilège de la solitude

Dans Illégitimes, Nesrine Slaoui écrit « l’intimité est un luxe que la misère confisque ». La solitude, même occasionnelle, est un luxe. Vivre seul·e a un coût, ça coûte plein de choses, et notamment des sous. Ça coûte un loyer et une vie quotidienne pris en charge par soi tout·e seul·e, et donc des contraintes et des compromis qu’il faut avoir le privilège de pouvoir poser (interlude agacé : oui parce que « c’est une question de priorité » implique que tes besoins premiers sont déjà couverts. Au point qu’il t’est difficile d’imaginer que les « priorités » de quelqu’un·e d’autre puissent inclure manger, boire, payer ses factures, acheter des tampons, aller chez le médecin, se reposer, se divertir, qui sont des choses déjà boulonnées dans la vie des personnes qui disent « c’est une question de priorité ». Arrêtez de dire aux gens que mettre son argent ailleurs, c’est « une question de priorité ». C’est condescendant et ignorant. Fin de l’interlude agacé).

Au-delà du coût financier (parce que vivre à deux ou plus permet éventuellement des avantages fiscaux, un partage des coûts de la bouffe et des charges diverses, une mutualisation de toute une série d’éléments matériels, etc.), vivre seule s’appréhende différemment en fonction de plein de facteurs. Notre difficulté à trouver un logement (on sait qu’il est statistiquement plus simple de se loger quand on est blanc.he, par exemple) et l’énergie requise qui s’en suit. Nos santés mentale et physique influencent notre envie, voire notre capacité de solitude. Notre réseau social aussi, car le choix de vivre seule se vit bien quand c’est ce qu’il est : un choix, et qu’on bénéficie d’une vie sociale qui nous permet en contraste de nous nourrir de cette solitude, et non de la subir.

La présence éventuelle d’enfants aussi. D’autant plus en tant que femmes, quand cligner des yeux en regardant ses enfants peut être pris comme le signe d’un amour étouffant (quelle mauvaise mère), d’une distance passagère (quelle mauvaise mère), d’un excès d’attention (quelle mauvaise mère), ou d’un manque de vigilance (quelle mauvaise mère), on a aucun mal à s’imaginer comment serait reçue l’idée de vivre seule.

C’est pour ça que mon propos n’est pas qu’il s’agit là d’un graal. Je propose pas de remplacer une recette par une autre. Je propose pas d’exemple en bloc. Je propose rien, en fait. Je constate juste l’effet que ça fait, les yeux écarquillés, les airs curieux, les regards inquiets pour mon amoureux quand vient dans la conversation le fait que j’ai posé ce choix (comme s’il ne s’agissait pas d’une décision commune), et que je me reconnais à la place de ma pote qui m’avait parlé de son choix à elle, il y a quelques années. En somme, je dis juste, comme d’autres avant et avec moi : repensons les bases (se prononce aussi : mort au patriarcat).

Virginia, si tu nous écoutes

Il ne s’agit pas d’une injonction au bonheur (lâchez-nous avec votre pression), d’une invitation à tout repenser d’un coup, ni d’ajouter des contraintes. L’idée est simplement de dire : c’est pas obligé. Ça rend rien parfait, ça solutionne pas tout, juste pour celleux à qui ça convient, ça rend certains espaces plus doux. Ça rend certaines choses plus faciles. Ça rend certaines relations plus belles. Quelle que soit la situation, pour certain·es, vivre seul·e c’est OK. Pour certain·es, c’est une possibilité qui existe, qu’on peut envisager pour soi-même.

Qu’on peut même penser en déclinaison. Par exemple, vivre seule, mais pas 100% du temps. Vivre en couple (ou une variation du couple), mais pas 100% du temps. Vivre ensemble, mais en ayant sa pièce. Vivre seule, mais que pour un temps. Être en relation amoureuse, et en coloc. Mais aussi plein, plein d’alternatives qui restent à imaginer et qui passent par la déconstruction de chaque parcelle de ce qu’on tient pour acquis dans l’idée de « faire famille » et de « se mettre en ménach’ ». Quitte à tout laisser en place, après s’être rendu compte que bah oui, moi c’est ça qui me va. Mais on a le droit de se poser la question. On a le droit de changer d’avis. Et puis de rechanger d’avis. Ou pas.

Pour ne prendre que l’exemple de la parentalité, c’est exactement pour mener cette réflexion que des comptes comme maman_mais_pourquoi, bordel.de.meres, Le Regret maternel, jeneveuxpasdenfant, des collectifs comme les Mères Veilleuses, les réflexions autour du rôle des belles-mères [lien vers mon futur super article pas encore écrit sur le sujet], les livres sur le post-partum, les articles sur l’approche institutionnelle de l’autorité parentale, qui abordent la maternité d’un point de vue féministe et parlent à juste titre de la parentalité comme d’un terrain politique, sur lequel se jouent, se reproduisent ou se combattent des rapports de domination, sont absolument cruciaux.

C’est sur ce genre de terrain que s’organise la solitude forcée ou choisie. C’est sur ce genre de terrain que se confisque, et se reprend, le droit à penser par soi-même, à se reposer, à trouver de l’aide. C’est donc aussi par ce biais, par une réflexion féministe collective, que s’ouvre la possibilité d’avoir, toustes, pour du vrai, le choix d’une chambre à soi.

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D’où c’est toujours les mêmes qui décident?

Petit point haleine-fraîcheur sur la non-mixité de fait dans les espaces de décision. Après le 422è conseil de concertation Covid entre mecs blancs, je vous invite à venir chercher votre dignité à l’accueil et à prendre note au passage des points suivants.

1. L’hypocrisie qui veut que ça chiale à la censure, l’exclusion, le cétropadujeu, voire l’anti-constitutionnalité pour les plus chauds, dès qu’il s’agit de réunions en non-mixité de minorités, mais ça se réunit sans voir le problème et à tout-va entre mâles cis blancs riches partout et tout le temps sans lever un sourcil.

2. La perception que cela révèle, que les femmes, les personnes trans, racisées, pauvres, etc. sont toustes des variations, des cas particuliers du prototype que serait l’homme cis blanc.

3. Le renforcement que cela implique en retour, de l’impression que les hommes cis blancs sont le summum de la neutralité, de la rationalité, de l’intellect, dénués de biais, qu’ils sont l’universel et peuvent donc de façon efficace et juste représenter le reste de la population, et parler en son nom. Pour le dire autrement: alors qu’on a du mal à comprendre pourquoi une femme voilée nous parle d’autre chose que de son voile, ou qu’on part du principe qu’une femme ne peut qu’être subjective sur des questions de genre (ou de famille, ou que sais-je), les hommes cis blancs sont perçus comme objectifs et donc légitimes par défaut sur la totalité des sujets. Dans le genre pratique.

4. La différence majeure entre les réunions qui provoquent des haut-le-coeur chez les plus privilégié·es d’entre nous, et les réunions d’hommes cis blancs comme celle du comité de concertation (et toutes les autres) qui sont bien souvent des espaces décisionnaires, qui prennent des mesures impliquant d’autres personnes qu’eux-mêmes, et ont un pouvoir d’organisation de la société. Je fais le parallèle entre ces deux types de non-mixité parce que l’hypocrisie est criante dans la comparaison, mais ils n’ont en fait rien à voir: l’un a le pouvoir d’organiser la société, l’autre organise sa survie dans cette même société.

5. La naïveté (disons…) qui consiste à penser que les réunions annoncées en non-mixité sont injustes car excluantes, tandis que celles qui ne sont qu’implicitement non-mixtes ne présentent aucune règle empêchant l’accès à ces fonctions (regarde, d’ailleurs, la-seule-femme-à-qui-je-peux-penser-et-qui-est-bien-souvent-soit-la-première-soit-la-seule-mais-ça-n’est-pas-la-question, elle y est bien arrivée, elle). L’idée serait donc de noter qu’il se trouve juste que les espaces de décision (en politique ou en entreprise par exemple) sont majoritairement, ou exclusivement, occupés par des hommes, par des blanc·hes, par des riches, mais qu’il est préférable de faire comme si c’était le hasard qui s’acharnait. De faire comme si les règles du jeu étaient les mêmes pour toustes, sans se préoccuper ni tirer de conclusions quant au fait qu’en bout de course tiens, c’est fou ça, c’est toujours les mêmes qu’on retrouve.

Je sais pas pour toi, mais il serait, à mon humble avis, de bon ton de s’étouffer d’étonnement quant au fait que les hommes cis blancs sont bien souvent les seuls représentants, et donc représentés. I mean, d’où ? Et la réponse est toujours la même : le sexisme, le racisme et le classisme ne sont pas des inégalités ponctuelles, mais bien des systèmes d’oppression, à l’œuvre à chaque niveau de notre société, des institutions qui l’organisent aux interactions interpersonnelles.

Si t’as lu ça comme une liste de courses, franchement je comprends, moi aussi je connais cette phrase par cœur à force de la sortir. Mais c’est parce qu’elle est fucking pertinente, notamment pour expliquer l’énorme majorité que représentent les hommes blancs en situation de pouvoir: à partir du moment où chaque strate de la société joue dans ton sens, où tu avances sans entraves, voire avec des coups de pouce, voire avec des courtes-échelles, voire avec des passe-droits, sans blague que t’arrives dans les espaces qui comptent plus souvent et plus rapidement que les autres.

(Si t’es en ouin-ouin-position-fœtale là, sorry mais je vais pas pouvoir te consoler maintenant sur le fait que dire ça veut pas dire qu’on déteste chaque homme, et sur est-ce que j’ai pas honte de dire ça alors que j’ai un papa, ou que jamais les mecs se cognent l’orteil contre un meuble, nanani nanana, parce que j’ai pas votre temps en fait, et là aujourd’hui j’ai besoin que tout le monde change sa couche tout seul, bande de gros bébés).

Pour le dire autrement, et pour te donner une idée un peu plus concrète des façons dont se manifeste « le système » dans ce cas: si t’as grandi dans la bonne classe (sociale I mean), ça implique bien souvent qu’on t’ait mis·e dans des écoles avec d’autres gens de la bonne classe avec qui tu apprendras la culture au sens large de la bonne classe, tout en n’en ayant probablement pas l’impression. Tes petits camarades de la bonne classe deviendront peut-être tes futur·es ami·es médecins, avocat·es, ministres, CEO…, sur qui tu pourras compter en cas de pépin (flashnews: non, on n’a pas toustes ce réseau). Côtoyer ce milieu depuis tes premières années signifie que tu es non seulement à l’aise dans les milieux de la bonne classe, car ils te sont familiers, mais aussi que tu y sembles d’emblée légitime, de façon relativement indépendante de tes compétences.

Grandir dans la bonne classe signifie aussi que tu ressembles aux gens de ta classe, que tu le cherches ou non, que tu es rapidement identifiable comme appartenant à la bonne classe grâce à ta démarche, tes dents, tes cheveux, ta peau, tes mains, tes vêtements, ton élocution, ton accent. Cette identification fait office de patte blanche, à nouveau que tu le cherches ou non, que tu en sois conscient·e ou non, de sorte que pour trouver un stage, un emploi, un logement, tu bénéficies souvent au minimum 1/d’un réseau (le tien, celui de tes parents, de ta famille, de ton réseau), 2/d’une présentation générale que tu pourras soigner, adapter, mais que tu ne devras pas travailler à rendre moins menaçante, ou plus assertive, ou moins populaire, ou plus acceptable, car tout est y déjà conforme.

Ces facilités engendrent souvent que tu es en mesure de dégager plus de temps pour travailler, même si tu as des enfants, soit parce que la société est parfaitement OK avec l’idée que s’occuper de la maison et des enfants ne t’incombe pas, soit parce que ton salaire t’a permis de déléguer ces tâches à une tierce-personne (de ton réseau ou que tu payes), ce qui te permet également de dégager du temps de repos, que tu passeras éventuellement à pratiquer un sport de ta classe, avec des gens qui te ressemblent et qui viendront étendre encore ton réseau.

Tu comprends ce que je dis? Ce sont tous des avantages avec lesquels certain·es démarrent, et que d’autres doivent essayer d’acquérir par parcelles. Tu le vois le temps gagné? L’énergie conservée? L’estime de toi entretenue? Le confort augmenté? Sachant que là je te parle de quelques exemples, et les plus évidents parce que sinon tu vas me saouler encore plus que d’habitude avec tes « nan mais allô les généralités », t’as pas l’impression que ça devient un peu gonflé de tout miser sur la notion de mérite ? Sur l’idée que « hé, c’est ouvert à tout le monde hein » ? Et dans le prolongement, sur l’idée que « c’est bon, on a une femme », « c’est bon, on a une personne racisée » en mode diversité-caution ?

La seule conclusion sensée c’est que c’est votre non-mixité de fait qui est scandaleuse. C’est votre non-mixité qui ne dit pas son nom, et qui force à se justifier celleux qui souhaitent une bulle temporaire d’entre-soi, parce que tout le temps et partout c’est votre entre-soi à vous qui fait office de norme. Ce qui est odieux, c’est votre non-mixité qui pense parfois que si les privilèges ne sont pas conscients, activement mobilisés pour surpasser les autres, s’ils sont involontaires, ils ne comptent pas. Ou qui pense au contraire que s’ils sont identifiés et récusés, ils n’existent plus, qu’il suffirait de dire à voix haute qu’on méprise ces privilèges pour qu’ils deviennent inopérants (alors que c’est l’inverse qui se passe bien souvent). C’est votre ignorance soigneusement entretenue qui vous fait dire que vous, vous pourriez vous extirper de ce système qui vous donne raison à tous les coups. Alors pourquoi les autres ne le feraient pas?

Ce qui est excluant c’est votre non-mixité qui pense que chacun·e ses armes, que ces privilèges sont des cartes à jouer comme d’autres, qu’il est logique de les utiliser et qu’on n’a pas à s’en excuser, choisissant précieusement de rester sourd·es aux expériences de celleux qui vivent le revers de votre médaille. Votre non-mixité qui refuse d’entendre qu’il ne s’agit pas d’options que vous avez été suffisamment futé·es pour reconnaître, mais bien d’une absence éclatante, d’un vide paisible, d’un rien confortable, dès le premier jour des bien nés, aux endroits mêmes où d’autres rencontreront des embûches.

Votre non-mixité est obscène, alors que dire de vos petites manières outrées comme si on avait tué votre chat, devant la non-mixité de personnes qui ont simplement compris que vos règles ne fonctionnent que pour vous ? Peut-être vous la mettre au cul ?

Je proposerais bien que vous appreniez l’écoute, l’humilité, la solidarité, mais je crains que le problème ne se trouve pas là. Je crains que vous soyez tout à fait capables d’écoute, d’humilité et de solidarité envers celleux qui vous ressemblent, mais que votre problème réside surtout dans le fait que vous ayez au contraire très bien compris comment fonctionne ledit système, que vous n’ayez simplement pas one fuck to give, et qu’il soit insensé de demander aux privilégié·es de se départir de leurs propres privilèges. Mais comment ça tombe bien dis donc : on s’en charge.

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D’où #MeToo c’est ton argument de vente?

Je suis tombée sur un article écrit par un mec, qui parle d’un autre mec, qui a écrit un livre sur, genre, la nouvelle génération de chanteuses, parce que féminisme, parce que #MeToo, et regardez comment la couverture du livre est même mauve, comme le féminisme, waouw, cet engagement m’émeut. Sur une échelle de zéro à la coupe mulet, on est à combien sur l’échelle de l’indécence là?

Et puis finalement dans le livre y’a aussi des hommes parce que, je cite « sans hommes, il n’y aurait pas de féminisme ». Euh… Ouais alors là on part sur une grosse grosse confirmation, effectivement. Mais probablement pas pour les raisons imaginées par messieurs-les-plus-pertinents-pour-parler-de-ces-choses-là. Je suis saoulée de vos conneries (même si j’en attendais pas moins). Je prends cet article comme exemple, mais en fait on s’en fout de cet article en particulier, de ce livre en particulier, de cet auteur en particulier. Ne vous y trompez pas: je ne pointe pas un cas du doigt, je vous pointe tous. Un paysage médiatique dominant entier.

Peut-on s’il vous plaît bien envisager d’arrêter d’aller nous foutre du #MeToo au tractopelle dès qu’il s’agit d’avoir un propos sur La Fâmme ? Loin de moi l’idée d’amoindrir l’importance cruciale du mouvement, sa portée, sa capacité à nous réunir, à nous reconnaître, à nous entourer. Ça n’est pas ça que je questionne : ce que j’aimerais maintenant, c’est qu’on passe à autre chose. Pas qu’on oublie #MeToo, pas qu’on le renie, mais qu’on cesse de s’extasier à répétition sur la puissance et l’étendue de la vague, et qu’on commence à agir. Oui, c’est mondial. Oui, c’est systémique. Oui, c’est toutes les personnes sexisées que tu connais qui sont concernées. Oui, « faut vraiment faire queqchose ». Oui, « c’est fou hein quand même comme le féminisme est présent de nos jours ».

OK, va falloir apprendre à lâcher prise hein les ami.es. Allez, on y va ensemble : prends deux secondes pour encaisser, respire, émerveille-toi une dernière fois puis TIRE DES FUCKING CONCLUSIONS. Il est temps. Parce que tout le temps que tu passes à pas en revenir, c’est autant de temps où tu t’autorises à pas en foutre une. Tout le temps que le paysage médiatique passe à pas en revenir, c’est autant de temps où on nous faire croire que le féminisme a atteint sa cible.

#MeToo est une étape, pas une destination

Pendant que je copie-colle cet intertitre sur un coucher de soleil inspirant, vous allez me faire le plaisir de vous entraîner à arrêter de penser #MeToo comme une fin en soi, comme si on avait un truc sublime, suprême, et baaah je crois qu’on est bon Jean-Mich, le patriarcat : c’est réglé. #MeToo et ses prolongements actuels (#MeTooInceste notamment) sont puissants et indispensables. C’est réconfortant, de voir qu’on n’est pas seul·es. C’est, dans le même temps, horrifiant. De voir qu’on n’est pas seul·es.

Mais si la vague a eu un tel impact, c’est parce qu’elle pointe justement ça : les violences envers les personnes sexisées, c’est partout, tout le temps, tout le monde. Autrement dit, c’est systémique. Or si les journaux les plus lus, les médias qui prennent de la place et les gens qui parlent le plus fort n’arrêtent pas de pas en revenir, il se passe exactement ce qui se passe actuellement : on traite #MeToo comme si c’était la cible. Comme si l’objectif était atteint. Comme s’il ne restait maintenant plus qu’à se laisser faire pour être passivement imprégné·es de tous ces constats. Pour qu’ils percolent tranquillement et que n’y tenant plus, on commence à apercevoir des rafales de combustions spontanées, pouf pouf pouf. Les pédocriminels, les uns après les autres, les violeurs, les violents, pour pouf pouf, petits tas de cendres par la grâce de nos constats.

C’est tout le sens de la question-explosion posée par Mélusine « comment faire pour que les hommes cessent de violer ? ». C’est organiser la suite. C’est prendre acte, traduire nos observations massives en changements tangibles. Cette étape-là sera longue aussi, d’autant que poser la question n’est littéralement pas autorisé, et que #MeToo devient au mieux une précaution oratoire, au pire un argument de vente.

#MeToo®

Parce que oui, un des trucs qui me tend dans cette idée de livre « chanteuses #MeToo » c’est que c’est tellement symptomatique du branding de #MeToo. On sait bien que le capitalisme suce tout ce qu’il peut. Et retourne ce qui peut lui nuire en ce qui peut lui rapporter. En T-shirt Dior à 600 boules. En récit de harceleur marketé (non, pas présumé : il a admis les faits. Et non, pas en mode repenti : en mode c’était cro difficile d’être dénoncé). Et nous voilà au #MeToo-washing.

Où on peut avoir, comme dans mon exemple, un livre brandé #MeToo écrit par un mec, questionné par un autre mec, dans un article dans lequel encore un autre mec (Grand Corps Malade et son Master en genre) nous affirme que « la majorité des hommes se comporte bien vis-à-vis des femmes » et qu’il s’agirait donc à présent de pan-pan cul-cul la minorité-monstrueuse-que-c’est-pas-tous-les-hommes, article accompagnant l’interview radio de l’auteur menée par encore un autre mec. Tu vois le problème ? Dans tout ce bordel médiatique, il s’agit que la parole masculine reste centrale : il s’agit de parler des femmes, à la place des femmes, et plus que les femmes. Ça n’est pas anecdotique.

On va mettre quelque chose au point tout de suite, parce que je te sens te tendre tout plein : « ET ON PEUT PU ÉCRIRE DES LIVRES MAINTENANT ? » Bon, d’abord, si vous pouviez arrêter d’écrire des livres et qu’on voie ce que ça donne un paysage médiatique dominé par les personnes sexisées, non mais t’imagines la fabulosité ? Ah bah oui, t’imagines très bien comme c’est précisément là-dedans qu’on vit, mais au masculin. ANYWAY c’était pas mon propos (ouais bah ça on pose des questions, faut savoir entendre la réponse hein).

Mais calme tes nerfs, chouchou. Non seulement je me fous de ce livre en particulier, ce qui m’intéresse c’est la tendance dans laquelle il s’inscrit, mais en plus je m’en tartine les ischios jambiers que les hommes écrivent des livres (ouais y’en a qui ont installé l’appli Nike par ici). Je me réserve le droit de les re-ranger au rayon ésotérisme quand je tombe dessus, mais ma censure s’arrête là.

Ce qui me pose un gros problème, c’est quand cette mascarade revient à dépolitiser un mouvement. Qu’on ne s’y trompe pas : utiliser #MeToo comme argument de vente ne fait rien pour #MeToo. Dans cette façon de faire, il ne s’agit à aucun moment de parler de #MeToo (on parle d’ailleurs d’ « effet MeToo », de « contexte MeToo », de « l’ère MeToo »), ni de déconstruire le système patriarcal, ni même d’essayer de comprendre les mécanismes sexistes qui autorisent voire encouragent la violence. L’article ici se clôture par exemple sur une note légère de ‘bah dis donc quel vent de fraîcheur dans l’industrie musicale’, au moment même où sur les réseaux déferle la vague #MeToo de la musique. Dans le genre on entend ce qu’on veut bien entendre…

Parole libérée : check

C’est donc précisément là qu’est le problème de ce genre d’instrumentalisation dépolitisée de #MeToo : choisir de circonscrire le mouvement à la fameuse libération de la parole. Là encore, accroche-toi à ta chaise Jean-Mich, je vais me permettre d’interjecter mon féminisme hystérique.

Premièrement, limiter #MeToo à la libération de la parole suggère que jusque-là, il n’y avait pas de dénonciations privées ni publiques des violences sexistes. Ce serait arrivé comme ça, bim, avec Despacito, et tout le monde s’y serait mis. C’est simplement faux. La parole a toujours existé, elle était simplement plus facile à ignorer. Bien sûr qu’elle a pris une autre ampleur, bien sûr qu’elle a permis à certain·es de mettre des mots, bien sûr que les scandales, aujourd’hui, se succèdent. Mais c’est votre écoute qui a été forcée, pas les femmes qui ont soudainement commencé à trouver qu’il était temps de dire les choses.

Deuxièmement, aborder #MeToo comme l’apothéose d’une parole qui ne demandait qu’à se libérer et y arrive enfin, invisibilise les mécanismes de silenciation pourtant encore bien à l’œuvre. C’est faire croire que la parole des victimes est acceptée. C’est faire croire que la parole des hommes et des agresseurs n’est plus écoutée par défaut. C’est faire croire que Twitter et Instagram n’ont pas de biais sexistes qui amoindrissent la parole des personnes sexisées. C’est faire croire que nos plaintes sont désormais prises sans broncher. C’est faire croire, plus pernicieusement, que celles qui n’osent pas parler ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes.

Enfin, et c’est ce qui devrait déclencher une colère aussi large que le mouvement l’a été, choisir de ne voir #MeToo que par le prisme de la libération de la parole autorise à s’arrêter là. À se gargariser de cette bien belle réussite. À trouver qu’on est quand même trop fortiches en tant que société et qu’il est grand temps de se reposer pendant quelques siècles tellement on s’est bien donné·es. À mettre le projecteur où ça nous arrange tout en s’autorisant copieusement à continuer à faire de la merde, la même merde qui mène au constat d’une société profondément sexiste. C’est nous faire croire qu’on peut baisser les armes, qu’on y est arrivé·es. C’est s’arrêter au diagnostic, et trouver que ça suffit. Sauf qu’un diagnostic n’a jamais guéri personne, et vous mobilisez tout l’espace dont on a besoin pour discuter collectivement de la cure.

Alors OK, la libération de la parole c’est légèrement plus vendeur que proposer d’éventrer les mécanismes en action permettant la perpétuation d’un système violent et destructeur. Certes. Je vous suggère toutefois de commencer par laisser cette parole libérée aux personnes concernées plutôt que de systématiquement vouloir rechoper le micro pour y postillonner « vous avez vu comment les meufs leur parole et ben elle est trop bien libérée ? ». Et laissez leurs luttes aux personnes qui luttent, bande de rapaces.

#MeToo n’est pas une précaution oratoire. #MeToo n’est pas un argument de vente. C’est une dénonciation à l’échelle planétaire de tous les degrés possibles sur l’échelle de la violence sexiste. C’est poser le constat de la violence des dominants, et exiger un bouleversement de nos structures. Rien de moins.

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D’où la raison, c’est pas l’émotion?

La Libre s’illustre encore, cette fois par un édito prenant à bras-le-corps la notion de « cancel culture ». Ah oui mais non, pas pour adresser toutes les choses intéressantes qui auraient pu être adressées. Le débat ne manque pas de fond pourtant. Mais La Libre choisit, avec la constance de ceux qui n’ont rien à y gagner, de rester sur la forme, en opposant celleux qui aimeraient bien débattre, et celleux qui, emmêlés dans leur émotivité envahissante, censurent.

Il y a tant à dire sur la cancel culture. Tant à nuancer, à questionner, à critiquer, à définir. Heureusement que certain·es l’ont fait magistralement (cet épisode de La Poudre ou cette orfèvrerie de ContraPoints, notamment) parce que La Libre, elle, a décidé de rester empêtrée dans une position d’où être bien sûre que rien ne bouge, en misant sur l’appel à la raison pour résoudre l’émotivité ignorante militante. (Alors oui, l’édito date d’il y a une dizaine de jours, mais c’est la pandémie, mommy needs her me-time. Et le sujet semble malheureusement intemporel et dépasse largement cet édito).

En fait j’étais partie pour une déconstruction enlevée phrase par phrase de cet édito que j’ai lu, sans dec, en souriant, comme on regarde un soap un peu naze en se disant qu’on voit quand même fort les ficelles mais dieu que ça divertit.  Puis au moment de le relire et d’écrire, là, je suis prise d’une immense fatigue. Vous me fatiguez, les gens avec cette rhétorique, vous êtes fatiguant·es. C’est une fatigue toute rembourrée de tristesse, de ras-le-bol, de frustration et d’impuissance. Flemme cosmique.

Je suis fatiguée que des individus appartenant à tous les groupes dominants, blaze à particule inclus, s’autorisent à distribuer des points de bienséance, à décider à la place des groupes dont ils parlent ce qui leur convient ou non. Ce qui doit avoir de l’importance, ou non. Ce qui tient pour une demande légitime, ou non. Que portés par l’inertie de leurs privilèges et une vague impression d’avoir quand même assez souvent raison, ils ne s’arrêtent jamais pour faire le point avec eux-mêmes, dans le secret de leur propre conscience, se demander pour du vrai s’ils sont justes, faire l’exercice inconfortable mais indispensable de la remise en question régulière. (Je ne parle bien sûr pas ici de celleux qui savent très bien qu’iels sont injustes et s’en battent les steaks avec des chausse-pieds. Je parle de celleux qui tentent encore de trouver de quoi se draper de bonne volonté en espérant que ça ne se voie pas).

Je suis crevée qu’on donne des plateformes à ces personnes-là. Qu’on leur file des plateformes médiatiques et autres, au nom de la liberté d’expression, comme si leur liberté d’expression consistait pas à dire que la liberté des autres était dérangeante. Au nom de la pluralité des points de vue, comme si leur point de vue ne renforçait pas un monopole déjà criant. Ou pire, au nom de l’objectivité, enfin raisonnée, comme si la prétendue neutralité dominante n’était pas elle aussi une opinion. Je suis épuisée et pour tout dire choquée (pas surprise, entendons-nous) par la mauvaise foi qui consiste à demander d’être entendu·es, quand on appartient au groupe qu’on ne fait qu’entendre, même quand c’est pour hurler qu’ils peuvent plus hurler.

Usée de lire que « la suppression d’une parole ou d’une œuvre ne se ferait plus au terme d’un débat raisonné ou au regard de la loi, mais à partir d’un sentiment. » Et de renier dans le même mouvement jusqu’à l’humanité des dominé·es, en affirmant que « ce qui fonde notre humanité est notre ‘raison dialogique’, […] notre capacité à raisonner par l’échange », qui n’existerait pas du côté de celleux qui préfèrent « la purge et le déni ». Ça va le mépris ? Y’a quand même un petit souffle de vomi au fond de l’haleine là, non ? Quel niveau de privilèges faut-il engranger, pour affirmer que ce qu’on refuse d’entendre est, dès lors, dénué de raisonnement ? Pour qui faut-il se prendre pour penser qu’un positionnement manque de solidité simplement parce qu’on ne le comprend pas ? De quelle arrogance faut-il se parer pour prétexter un refus de débat venant précisément des personnes qu’on n’écoute ni ne lit ?

Ça m’explose de fatigue de lire que la cancel culture consisterait à « interdire de parole des intellectuels au motif que leur expression blesserait certaines personnes ». Les intellectuel·les développeraient une parole réfléchie, censurée, tandis que des quidams random auraient des émotions, des ressentis, les losers. Ça m’épuise en plus de me tendre, d’entendre qu’on oppose avec une telle facilité et une telle récurrence l’émotion et la raison. Comme si on ne pouvait pas être à la fois en colère et produire une pensée. Comme si la rage, l’indignation ou la tristesse ne pouvaient être des moteurs de réflexion, de mise en action, de prise des armes, théoriques avant tout chose. Mais aussi, de façon plus dangereuse, comme si l’absence d’émotion était gage de savoir.

Cette affirmation fonctionne comme une stratégie de silenciation, qui exige de celleux qui s’en prennent plein la gueule de ne pouvoir demander le changement que gentiment, calmement, au risque de voir la construction de leur réflexion ignorée, balayée, raillée. Comme si prendre conscience de ce qu’on occupe une position spécifique dans un système de merde n’était pas une situation bien plus propice au raisonnement et à l’ouverture que de se penser universel.

Et quelle flemme de réaliser que : quand bien même la réaction serait purement émotionnelle, c’est quoi le problème en vrai ? Entendre que quelqu’un·e se « sent » blessé·e  (pour reprendre vos guillemets dégueulasses de condescendance) ne vous suffit pas à vous remettre un tout petit en question ? Tant que c’est empreint d’émotion je ne t’écoute pas ? Tant qu’il y a pas une dissert’ pour aller avec, ça compte pas? Ça suffit pas comme demande : « Arrête, ça me blesse » ?

Je suis fatiguée de constater que défendre l’égalité est perçu soit comme niais et naïf, soit comme menaçant et dangereux. Plutôt que comme une évidence. Qu’il faille, littéralement, se battre pour la justice. Qu’il faille se défendre, se protéger de porter ces idéaux-là. Quelle arnaque, nous faire croire à l’école qu’on est toustes égaleaux, pour nous apprendre que c’est la loose de réclamer la même chose en grandissant. Que la colère, le constat de l’irrespect, l’exigence de penser la justice, devienne si facilement une négociation, quand on fait partie de celleux que ça affecte. Une blague, un jeu, quand on fait partie de celleux que ça n’affecte pas. Regarde comme ils les ont bien énervé·es hahaha.

J’en peux plus de votre complaisance. Que vous renommiez « ressenti » des arguments que vous refusez d’entendre, que vous balanciez la « morale » comme une insulte. Vous imaginez ? Ces gens se permettent d’agir en fonction de ce qu’ils estiment bien et juste. Audace ! Indécence ! Et de balayer d’une seule main les arguments qui accompagnent cette morale, contrairement aux positions qui se défendent les mains dans les poches et le regard détourné, par la magie du pouvoir structurel qui permet de monopoliser la parole pour dire que le débat est impossible. Que vous condamniez les « idéologies » comme si le travail acharné à la conservation de vos privilèges n’était rien de plus qu’un passe-temps dépolitisé.

Vu vos penchants vous poussant visiblement à prendre les gens pour des imbéciles émotif·ves, vous serez peut-être tenté·es de voir dans cette fatigue un sentiment de lassitude, de résignation, d’épuisement. Rassurez-vous: la fatigue n’est pas une émotion. Un gros dodo et on est back avec toute notre sentimentalité désinformée.

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D’où tu me suces pas quand je plie le linge ?

D’après Le Monde, quand un homme cis fait tourner un séchoir, ça mérite un article. Alors j’te dis pas quand il prononce le mot « parité ». Quand la barre est bien basse et qu’on veut nous faire croire que rien, c’est déjà quelque chose : bienvenue dans la culture de la gommette.

Le Monde, qui a décidément pris le pli de penser aux premières victimes du patriarcat (lézommes), en deux paragraphes, s’est immiscé dans ma petite journée pourtant feutrée. Tsais je viens de manger un tiramisu que j’ai pas préparé moi-même, j’ai fait l’expérience nouvelle du bonheur des lentilles un jour de pluie, je m’apprêtais à lancer WandaVision… Enfin merde, on peut pas être tranquille deux minutes ?

Tu vois, Le Monde, ton petit immondice journaleux là, tu sais ce qu’il fait ? Non, tu sais pas. Tu crois savoir, mais tu sais rien du tout, donc tu t’assieds et tu écoutes. Je vais te dire ce qu’il fait. Il contribue largement à maintenir le patriarcat en l’état. Oui, Le Monde, ton petit caca pourtant gentiment rangé dans la bienséante catégorie « égalité femmes-hommes » participe à assurer la robustesse du sexisme ambiant.

Comme j’imagine que tu grinces déjà des dents à coups de « bonnes intentions » et de nécessité d’encourager des mecs supposément trop branques pour comprendre qu’on ne fait pas la vaisselle comme on offre un bouquet de fleurs, et que donc non, personne ne leur doit rien parce qu’ils ont bien retenu que le côté vert de l’éponge, pas sur la Tefal, je vais prendre le temps de t’expliquer.

En consacrant tout un article à des mecs qui « nettoient, repassent, étendent le linge », tu confirmes à des types qui attendent que ça que participer au travail ménager mérite une médaille. Mais attention, ça mérite une médaille si eux le font. Pas si une meuf le fait, parce que elle c’est normal et ordinaire : lui, c’est extraordinaire. En parlant d’ « univers parallèle », de « monde merveilleux », d’existence dans les « interstices », de « contrée fabuleuse » (bordel le craquage, ça c’est que sur un paragraphe, on sent bien le journaliste stupéfait), de « monde à l’envers », tu donnes à ces hommes un statut d’exception. Le problème ? Ils font la base de la base de la décence quand tu vis avec quelqu’un, à savoir cleaning your shit.

Pour bien t’assurer qu’on roule des yeux à en avoir mal aux orbites, tu nous package le tout comme un truc « d’influenceurs ménage » (wtf ?) qui « s’affichent plumeau, aspirateur ou éponge en main sur les réseaux sociaux ». Attends mais what ? Donc les peys ils ont appris y’a 20 minutes à prendre les poussières et ils sont déjà en train de capitaliser sur le fait que la majorité des mecs en branlent pas une ? Parce que scuz moi mais faire le paon avec un fer à repasser à la main, alors que des femmes qui t’apprennent à faire les tâches ménagères ça remonte à au moins 2000 avant l’ADSL, tu réalises le degré d’irrespect ?

Tu te rends compte du mépris pour les personnes qui, la majorité du temps, fournissent tout ce travail, en n’étant ni valorisées, ni même mentionnées, ni correctement payées quand elles le sont ? Cet article, c’est renforcer l’idée que ce travail venant des femmes est une évidence, une banalité et un dû, tandis que la participation masculine serait une aide, héroïque et optionnelle. Il ne faudrait surtout pas émailler ces stéréotypes qui vous servent tant : soit t’en fous pas une et c’est dans l’ordre des choses, soit tu prends un selfie avec ton plumeau et t’es un héros. Face tu gagnes, pile on perd.

Puis pour bien s’assurer que tout reste bien en place, on va aller te remettre un petit glaçage de clichés en rappelant que ces mecs qui repassent, attention hein, c’est des vrais, des poilus, des qui lancent des haches, des « gladiateurs de la microfibre » qui « se battent pour faire les tâches ménagères », le tout relevé de l’expertise d’un bon vieux Jean-Claude Kaufmann, parangon notoire du féminisme. Oh boy.

Au-delà de cet article et du petit egotrip que se sentiront autorisés à se prendre les lecteurs du Monde qui gèrent assez bien le programme laine, ce type de discours est révélateur d’une tendance bien plus large que nous adoptons collectivement face aux hommes cis blancs hétéro, bref ze dominécheun, qui ont fini par nous convaincre qu’on pouvait tellement rien en attendre, que le moindre battement de cils dans la bonne direction est considéré comme une prouesse, y compris par eux-mêmes. Tu sais, ceux qui crèvent de fierté d’être les kings du sèche-linge ou de la cuisine (moins du récurage des chiottes, étrangement). Ceux qui peuvent pas entendre parler d’égalité sans trouver que quand même, ce serait pas un peu fort de café de parler de tout ça sans mentionner le Travail Ménager Masculin s’il vous plait ?

« MaIs C’eSt MiEuX qUe RiEn, FaUt EnCoUrAgEr » me geindras-tu. Et en effet, Le Monde pense peut-être renforcer un comportement, en le valorisant. Et c’est tout à fait juste. Sauf qu’à force de mettre la barre au ras du sol, le comportement encouragé-renforcé, c’est pas le partage des tâches ménagères, c’est la réclamation de gommettes au moindre comportement décent. C’est l’idée que ces mecs méritent une pipe dès qu’ils ont oublié de te couper la parole. C’est le besoin d’être valorisés quand ils ne violent pas, ne frappent pas, respectent la fâââmme et ont même un ami trans. Au point qu’il devienne impossible d’approcher la question des violences si elle ne commence et ne termine pas par une tournée générale de cookies.

Distribuer des félicitations pour un oui pour un non est révélateur d’une tendance actuelle contre-productive, voire bien sexiste dans ses pires manifestations, et qui s’immisce jusque dans nos rangs : le fait qu’il suffise à un mec de foutre à peu près 3x rien pour se dire allié (j’avais d’abord écrit « pour prétendre à », mais non : n’oublie pas que le mec décide lui-même s’il est allié ou non). Le fait qu’il soit communément admis qu’un homme puisse sortir comme un joker sa carte du strict minimum du savoir-vivre. Qu’un homme gagne des points en racontant à qui veut bien l’entendre qu’il ramasse lui-même ses chaussettes puantes ou qu’un jour, il a lu le quatrième de couv du « Deuxième sexe ». Tandis qu’une femme non seulement n’y gagnera rien du tout, mais sera surtout priée de bien fermer sa gueule sur le sujet parce que les féministes, oh, c’est bon hein, on entend que vous.

L’expression qu’on utilise beaucoup (moi la première) de cookies, ou de gommettes, est trompeuse : elle donne l’impression d’une futilité. Ce que les hommes gagnent en tenant ces discours n’est pas futile. Ils gagnent en sympathie, en crédibilité, en légitimité, beaucoup plus rapidement que d’autres, puisque moins, compte pour plus. Et quand je dis que 3x rien suffisent, c’est souvent littéral, quand les seules bonnes intentions sont largement assez: même plus besoin de se faire chier à faire, et encore moins à faire bien. Tant que t’essayes mollement, dans le pire des cas, tu as une excuse béton et deviens inattaquable même en ayant produit de la merde problématique (« vous êtes dures, il a essayé quand même »), et au mieux tu es glorifié pour la merveilleuse pureté de ton âme (« regardez comme il a bien essayé »). Pile tu gagnes, face on perd.

Cette mécanique évidente quand on parle de travail domestique (comme en atteste l’article du Monde), fonctionne donc en énormément d’endroits, jusqu’au sein-même des positionnements féministes. Nos « alliés » peuvent se permettre de lire beaucoup moins, de s’éduquer beaucoup moins sur des questions que nous aurons pris des années à maîtriser, d’être dans l’à-peu-près et l’éculé, tout en étant perçus comme aussi compétents, voire davantage. Quand nous nous épuisons à être les féministes de service, nos « alliés » peuvent choisir de s’exposer ou pas, en fonction de ce qui leur coûtera le moins socialement dans une situation donnée. Ils peuvent se contenter d’un moindre engagement, car d’abord, tout le monde se souvient de la fameuse fois où ils ont dit que le sexisme c’est caca boudin un jour dans une conversation, et ça suffit pour quelques années, et ensuite, ce qu’ils pourraient dénoncer ne les impacte jamais personnellement, par définition.

Alors même que sa position d’homme cis lui assure une flanquée de privilèges qui lui permettraient précisément d’ouvrir sa gueule bien plus souvent comme, au hasard, l’absence du spectre de l’hystérie, de la partialité aveugle et de l’incapacité de rationalité qui pèse au-dessus de la tête de toutes les féministes, à chaque prise de parole qui trahit leur positionnement. Comme le fait qu’il sera d’emblée prêté à un homme cis une supposition de plus grande objectivité, de neutralité, tandis que les féministes seraient incapables de percevoir le réel autrement qu’à travers leur prisme militant. Comme le fait qu’un homme « allié » soit cute et sexy, que son positionnement soit (volontairement ou non, ça n’est pas la question) une technique de drague établie, tandis que les féministes hétéro doivent régulièrement rassurer des random people sur le fait que leur mec est bien avec elles de leur plein gré.

Ainsi, en faisant le strict minimum, ces « alliés » prennent de la place. Ils prennent la place qu’ils disent souhaiter à d’autres. Ils préfèrent parler à la place de, plutôt que participer à normaliser la parole de. Ils s’approprient un combat et un lexique qu’ils ne connaissent qu’en surface et des discriminations qu’ils ne vivent pas. Ils occupent l’espace visuel et sonore, médiatique et militant, politique et professionnel, et ce faisant perpétuent l’invisibilisation des personnes pour qui ils disent lutter.

Alors à nos prétendus alliés : être allié n’est pas une performance (je vous renvoie notamment au post de l’activiste Aida Yancy qui s’appuie sur l’exemple de l’organisation de la manif BLM de 2020 pour expliquer le « perfomative allyship » des blanc.hes, parce que oui cette histoire d’allié ça s’applique à tous les systèmes d’oppression). Être allié n’est pas un spectacle, ni un discours, ni une précaution oratoire. Être allié doit vous coûter. Vous avez bien lu. Pas par vengeance, pas par humiliation, soumission à l’ordre matriarcal ou que sais-je. Mais parce que si le travail d’allié ne vous coûte pas, c’est qu’il maintient vos privilèges. C’est aussi simple que ça. C’est donc qu’il ne vise pas l’égalité. Que vous l’acceptiez ou non, il vise le statu quo du patriarcat, qu’il solidifie. Si le travail d’allié ne vous coûte pas vraiment, ne vous fait pas perdre quelque chose au passage, c’est que c’est vous qui en bénéficiez, pas les personnes qui subissent le patriarcat. Si le travail d’allié n’est pas dur, c’est que vous ne travaillez pas à rebrousse-poil de votre condition, or c’est la seule position dont nous pouvons bénéficier.

Le job d’allié est un travail harassant, exigeant, qui demande de faire des pauses et de reconnaître les signes d’encouragement. C’est OK de pas être toujours au top, c’est OK d’avoir du chemin à faire, mais prendre acte de l’existence du chemin ne suffit pas. Encore faut-il emprunter le chemin, activement. Et peut-être que c’est pas pour toi. Et tsais quoi, c’est pas grave. Mais alors juste, trouve-toi autre chose comme hobby et casse-toi de nos luttes, tu nous ralentis.

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D’où l’IVG en Pologne ça te concernerait pas ?

Tu te rappelles qu’il y avait eu une menace de restreindre encore plus l’accès à L’IVG en Pologne y’a quelques mois ? Que les Polonais.es étaient descendu.es en masse dans la rue pour dénoncer cette mesure ? Que le gouvernement avait dit « oui oui on vous entend, on réévalue et on vous dit quoi okay bye » ?

Le gouvernement a réévalué rien du tout: l’arrêt vient de passer.

L’avortement reste légal en cas de viol, d’inceste ou de danger de mort. L’avortement dans les cas de malformations fœtales mettant en péril la santé et la vie des femmes est désormais illégal. Cette raison représentait 96% des avortements légaux en Pologne. Ainsi, le nouvel arrêté rend de facto illégal l’avortement. Tout simplement.

Quelques réflexions, vu d’ici. Parce que cette histoire me fait me sentir triste, fâchée et impuissante.

1/ C’est trop facile de balayer cette info d’un revers de main qui dit « c’est loin ». Chaque année en Belgique on oscille entre 17.000 et 19.500 avortements depuis 2006. Chaque année. C’est autant de décisions individuelles, autant de raisons spécifiques, d’avoir recours à une IVG.

En vrai tsais quoi ? Tu connais une personne qui a eu recours à l’IVG. On connait toustes une personne. Quand c’est pas nous-mêmes. Et si tu crois que non, les chances sont grandes pour que tu ne sois simplement pas une personne à qui on se soit confié là-dessus.

2/ Ne te laisse pas bercer par l’idée que les raisons qui restent légales sauvent un peu la mise. Accéder à l’avortement légal en cas de viol, d’inceste ou de danger de mort est évidemment crucial. Personne ne remet ça en question. Mais d’une part, cela suppose que l’existence de ces différentes raisons puisse être démontrée, et on sait à quel point c’est la grosse grosse fête à ce niveau-là. D’autre part, DE QUEL DROIT hiérarchiser les besoins légitimes d’accès à l’IVG ? D’où sommes-nous censées voir là-dedans leur bienveillance de nous laisser « au moins ça », l’impression qu’on aurait sauvé les meubles, alors que RIEN ne nécessite en amont de différencier nos raisons d’avorter.

La SEULE raison nécessaire, c’est le souhait d’avorter. C’est tout. De quel droit désignent-ils des situations dans lesquelles une personne sera contrainte de mener à terme sa grossesse ? Tu réalises le pouvoir de ces gens ? Qui, tartinés de l’arrogance de ceux qui préfèrent ignorer, se permettent de prendre ces décisions à notre place, en décidant ça oui, ça non, ça oui, ça non ?

3/ Et bien sûr que je parle en « nous ». Parce que c’est aussi trop facile de mettre ça sur le compte des penchants de droite ultra catholique polonais. Mais ils ne font qu’exacerber notre situation politique. Qu’on ne s’y trompe pas : entre la politique nationale polonaise et belge, il y a une différence de degré, pas de nature.

Autrement dit, comme tu auras pu le remarquer ces derniers temps, coucou la pandémie, être en position de pouvoir (politique dans ce cas) encourage non pas à travailler pour les personnes sur qui on a du pouvoir, mais bien à travailler à conserver son pouvoir sur ces personnes. Être au pouvoir signifie passer en premier. Pas nous, eux. Conserver/renforcer les privilèges des personnes qui leur ressemble et leur permettent de rester au pouvoir. En Pologne et ici. Et en Argentine, et au Nigéria, et en Irlande, et en Thaïlande.

Vous vous rappelez comment les négociations sur la facilité d’accès à l’IVG ici il y a quelques mois sont devenues un vulgaire objet de marchandage politique ? There you go. Nos acquis sont donc aussi fragiles qu’un marchandage politique. Donc bien sûr que je parle en « nous » en parlant des Polonais·es. Parce que c’est nous aussi, ça nous fucking concerne.

4/ On sait bien que cela ne signifie pas que les personnes enceintes n’avorteront plus. Cela signifie en revanche qu’elles avorteront illégalement, donc potentiellement en mettant leur santé, voire leur vie en jeu. Ou à l’étranger, ce qui demande des ressources de temps et d’argent (imagine deux secondes la logistique en termes de job, de réseau, de recherches, de transport, de paiement et de logement si tu devais urgemment prendre ce type de rendez-vous hors de ton pays), ce qui ne rend pas cette option accessible à toustes, loin de là.

Ça n’est pas une mesure pour la vie, c’est l’exact contraire. Et oui ça nous concerne, et oui ça nous met en colère, et oui ça nous fait peur. Et au plus on est nombreuxses à être concerné·es, en colère, alarmé·es, et capables de formuler pourquoi, au plus on est aussi nombreuxses à être vigilant·es, et à rien laisser passer. Alors on bosse ses arguments, on liste ses raisons, on les étaye et on est fucking prêt.es à se défendre.

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D’où la meilleure façon de dénoncer un système d’oppression serait de ne pas en parler. Du tout. Comme ça on est sûr.

La youtubeuse Charlie Danger a commis l’irréparable en osant poster une vidéo qui parle que de femmes. Et pas d’hommes. Comme ça, tranquille, elle nous parle de la moitié de l’humanité sans se soucier de l’autre. Non mais ça va pas bien la tête?

Charlie Danger, en plus d’avoir le nom le plus classe du monde, officie sur le YouTube avec ses excellentes vidéos de vulgarisation d’histoire et d’archéologie sur sa chaîne Les Revues du Monde. Elle s’était déjà pris une grosse vague de merde pour avoir abordé de façon pourtant bien paisible les injonctions à la beauté. (Petit rappel en passant: les vagues des merde, c’est pas 2-3 peys pas gentils qui disent que le contenu est naze. On parle notamment d’insultes, de menaces de viol et de mort. Quotidiennes. Pour avoir parlé de poils. Prends la mesure).

Sa dernière vidéo toute fraîche s’intitule “ça ressemblait à quoi le sport féminin y’a 1000 ans”. Donc ça parle des femmes. Pas des hommes. Et visiblement ça mérite de s’en désintéresser sous prétexte de militantisme abusif. Elle l’explique très bien dans son thread: “on considère que l’histoire des hommes, c’est la VRAIE Histoire, mais celle des femmes c’est du féminisme/du militantisme” et ça justifie des désabonnements.

Comment se fait-il qu’il faille se défendre de parler des femmes ? On va où là ? Je rappelle au passage que les récits non-mixtes concernant exclusivement les hommes (pardon, l’Homme, parce que apparemment avec une majuscule on peut plus bouder) sont légion. Partout. Tout le temps. En mode coucou nous c’est le Neutre donc on vous englobe, booyah. Ça a pris le travail minutieux de chercheuses assidues pour rappeler que ah oui, by the way, y’avait des meufs aussi à différentes époques, qui faisaient des trucs tsais.

Injonction au chuchotement

Passée l’irritation de devoir se défendre d’être militante, pour moi, ça soulève une série de questions dont je vous ferai grâce car c’est le Walibi des « wtf is wrong with those people » dans ma tête à ce stade, mais aussi une question dont je vous ferai trop pas grâce parce qu’elle me démange beaucoup : c’est quoi la bonne façon de vous parler des gens qui sont pas des mecs cis blancs en fait ? Non parce que le scope n’arrête pas de rétrécir, et ça commence à donner vaguement l’impression que le problème n’est même plus le sujet dont on parle, mais le fait qu’on parle, tout court. Nan mais c’est une impression, j’te juge pas, j’te dis de quoi t’as l’air, stou, c’est pas méchant.

Résumons. Quand on vous parle des discriminations, violences et autre farandoles auxquelles nous confrontent les systèmes d’oppression, on peut pas être fâché·e, sinon on décrédibilise la cause ; on peut pas aborder le rôle des hommes dans ce merdier, sinon on est agressif·ve ; on peut pas mettre des récits de femmes en avant, sinon on est excluant·e ; visiblement maintenant c’est plus sur la liste non plus de pouvoir juste *mentionner* des récits de femmes. Il nous reste quoi en fait ? Parler de nous en position de victimes, ça vous va ? Mais alors en prenant bien garde de pas oublier de mentionner systématiquement que les hommes souffrent, aussi, tout pareil, larmichette appréciée.

Je veux dire, c’est quoi le ton qui vous comblerait en fait ? Celui qui vous donne pas l’impression qu’on est aigri·e, hystérique, revanchard·e, ou menaçant·e ? Parce que vu d’ici, on dirait assez basiquement que la façon idéale pour que vous entendiez ce qu’on dit, c’est précisément la façon qui permet de ne rien changer d’un iota dis donc. Tu sais, celle où on ASMR nos oppressions, où on vous dit que vous n’y êtes pour rien, qu’on dit ça en passant, qu’on change de sujet quand tu veux, et qu’on ne vous reprend pas sur vos arguments boiteux parce qu’au final tous-les-arguments-ne-se-valent-ils-pas-et-tout-ça-n’est-qu’une-question-d’opinion-hihi. Ce qui vous arrange au plus haut point, c’est qu’on vous présente tout ça dans un joli package qui vous donne l’impression d’être si progressistes d’aborder ces sujets, mais ne vous met pas mal à l’aise, ne vous dérange pas.

It’s not me, it’s you

Seulement voilà : tu ne peux pas honnêtement accepter de parler d’un système d’oppression, ou de l’une de ses manifestations, sans être dérangé. Ça tient de l’oxymore, ton truc. Comment veux-tu qu’on te parle de trucs qui sont pas dans le bon ordre sans déranger ? Comment veux-tu qu’on te parle sans déranger ton ordre d’un système dont tu as l’impression diffuse, correcte, et pas très agréable de profiter toi-même ? Et euh… oui. C’est plutôt malaisant, je te l’accorde. En tant que blanche cis hétéro, boy do I know the feeling.

Mais l’erreur consiste à attribuer la source de cet inconfort à la personne qui tient les propos, plutôt qu’à ce que les propos révèlent. À penser que cet inconfort résulte d’une sorte d’intention machiavélique collective des féministes qui veulent que les mecs en chient un max, parce que ça, ça va bien nous faire avancer. Penser que ce sont les féministes qui se branlent sur l’idée de te mettre mal à l’aise, plutôt qu’imaginer que ta seule position dans le patriarcat peut suffire à le faire.

Je te laisse quelques secondes pour t’enduire de cette bien belle idée. Puis quand c’est fait, va falloir commencer à être rudement clair avec toi-même, parce que l’inconfort il est là, il va nulle part. Donc soit tu réalises que tu le supportes pas, tu dégages de mon blog et de nos luttes, pi va falloir gentiment arrêter de se faire mousser le cul et aller brûler ton T-shirt « This is what a feminist looks like » ; soit va falloir apprendre à prendre sur toi, chaton. Et prendre sur toi, en vrai, ça veut juste dire arrêter d’être outré dès que les Méchontes Féministes elles disent des trucs qui picotent ton égo là où il est jamais picoté.

Laissez-vous picoter l’égo, merde, vous allez pas en crever. Nous, si. Tous les jours.

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D’où t’as encore confondu égalité et inégalité (oh bah zut)?

Il semblerait qu’il y ait confusion dans la tête de certain·es petit·es distrait·es ces jours-ci, qui ont encore confondu patriarcat et distribution d’oursons Haribo. Ah oui parce que jouer à l’égalité pour du semblant ça se voit, en fait. Mais oui. So ballot, je sais.

Et gnagnagna que les réunions entre personnes racisées, si c’était des réunions juste entre blancs ça passerait pas pareil hein, et gnagnagna que c’est dans l’ordre des choses que la ville de Paris se tape une amende parce qu’Anne Hidalgo a engagé plus de femmes que d’hommes, et gnagnagna que laissez Shia LaBeouf tranquille, OK il a été violent envers ses anciennes compagnes, mais il est désolé, qu’est-ce que vous voulez… Mais vous allez arrêter de nous irriter le colon avec vos bêlements? Si au moins vous étiez cohérent·es je lâcherais l’affaire, mais là vous vous sentez plus dès qu’on avance d’un micron, tout en justifiant vos indignations par la valeur-même qui semble pourtant vous répugner : l’égalité.

Donc let me blow your mind : le sexisme, le racisme, l’homophobie, la transphobie, le validisme, la grossophobie, c’est pas l’égalité en fait. Mais oui, je sais, moi aussi au début j’étais confuse. En fait, non, c’est précisément l’inverse : ce sont des formes d’inégalité (qu’on ose encore me dire que je fais pas de pédagogie sur ce blog). Ce sont des façons de désigner le fait que des groupes sociaux entiers sont désavantagés d’emblée dans notre bien belle société.

Et toi tu veux pouvoir pointer fièrement du doigt quand tu reconnais une inégalité (« j’vous ai déjà raconté comment je trouvais que le sexisme c’est trop mal? ») et en même temps trouver que traiter tout le monde de manière identique, c’est quand même bien plus chouette. Sauf que quand tu prends une situation inégale et que tu la traites comme une situation d’égalité, t’as l’air au mieux de pas savoir de quoi tu parles, et au pire de troquer tes idéaux en carton pour de la mauvaise foi puante dès qu’il s’agirait de desserrer l’emprise sur tes privilèges.

Parce que vouloir traiter de façon égalitaire deux groupes en situation d’inégalité, c’est un peu une définition du sur-place stu veux. Comment dire ça plus clairement… Imagine un groupe avec 2 petits lapins, et un groupe avec 5 petits lapins. Si j’ajoute 1 petit lapin dans chaque groupe, y’a toujours le même écart entre les petits lapins, tu vois comment ? Donner aux dominé·es d’un système les mêmes obstacles et avantages que les dominant·es de ce même système n’a de sens que si ton souhait est de maintenir la situation inégalitaire que toutes tes précautions oratoires annoncent pourtant combattre.

Je vois ton air concentré, l’esprit constipé par tant d’informations surprenantes, laisse-moi te donner un exemple. Trouver logique qu’on foute une amende à la ville de Paris pour avoir engagé plus de femmes que d’hommes parce que « on avait dit 40% minimum de chaque sexe », ça n’a aucun sens. Enfin si, mais pas le sens que tu espères avoir l’air de défendre, tout drapé de bonté que tu es. Cette attitude tiendrait la route si on partait effectivement d’une situation d’égalité, dans laquelle les hommes ne gagnent pas en moyenne plus d’argent, n’occupent pas massivement les positions hiérarchiquement élevées, subissent à part égale les obstacles liés à la parentalité, s’occupent à part égale du travail domestique, etce-fucking-tera (car la liste est encore longue).  

Or ça n’est pas ça, la situation initiale. Donc chialer à l’inégalité sur ces questions-là revient tout bonnement à pinailler sur les 2-3 situations ponctuelles et isolées dans lesquelles les dominant·es n’ont pas la main. Ça va les enfants-rois ? 90.000 balles de dédommagements pour un égo qui encaisse rien.

Alors si ton objectif est d’être insultant en faisant la gueule sur ces questions, on est bon. Si tu cherches en revanche à défendre des valeurs d’égalité et de solidarité, va falloir t’imposer une remise en question de fond en comble. Enfin si, comme je le suppose de toute ma perfidie militante, ton but est de tenir un discours d’égalité pour avoir l’air so nice, mais que faire le strict minimum du taf c’est quand même plus confortable, je me permets de te prévenir : ça commence à se voir. Et tu sais quoi? Du sexisme par paresse n’en reste pas moins du sexisme.  

Et alors ce qui est rigolo quand t’as compris ça, c’est que tu peux à ton tour y jouer tout·e seul·e chez toi, et appliquer ça à tout ce qui traverse ta tête, pour être bien sûr que tu as toujours envie que ça sorte de ta bouche. On essaye? « Holala, la non-mixité entre personnes racisées c’est vraiment comme qu’on dirait du racisme inversé ». Tututut papillon. S’agit-il d’une situation initiale déjà insolemment largement en ta faveur ? Oh bah ! On dirait bien que oui ! Te plaindre de cette situation ne reviendrait-il pas à imposer ta propre panique à l’idée que tout le monde, toi inclus·e, se rende compte, un jour, que ta présence n’est pas pertinente partout tout le temps ? Aller, un câlin et on n’en parle plus.

L’égalitarisme ainsi prôné tient d’ailleurs de la même condescendance que les discours universalistes, qui s’agacent de ce que les minorités s’entêtent à insister sur les différences qui les foutent dans la merde (les imbéciles), plutôt que sur nos merveilleux points communs (l’appartenance à la Race Humaine avant tout), ou à la rigueur sur nos différences comme des cadeaux, des richesses qui nous permettraient d’avancer main dans la main, dominé·es et dominant·es, vers le soleil couchant sur « We are the world », si seulement les discriminé·es voulaient bien la fermer deux minutes.

Alors il est plus simple de prendre avec le sourire des oppressions qu’on ne subit pas soi-même, certes. Mais entre un égalitarisme de statu quo et un universalisme qui n’est optimiste que parce qu’il est opportunément aveugle, l’honnêteté exige d’au moins ne pas (te) faire croire que tu fais partie de la solution.

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D’où on va barboter dans une piscine de male tears avec les 3 mecs et demi qui gagnent moins que leur femme ?

Une « surprenante étude » relayée par Le Monde nous apprend exactement rien du tout sur l’état actuel du patriarcat. Enfin si, que c’est « dur dur d’être dominant », ou plus précisément que « être dominant c’est ma passion et si je le serais pu je serais tout chagrin ». Et le Monde te fout ça peinard en mode percée scientifique ici.

Le 26 novembre, encore bien dans l’ambiance de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le journal Le Monde nous a gratifié d’une époustouflance que tu vas pas en revenir : les hommes sont souffrance, les hommes sont chagrin, les hommes sont petit moral.

Pourquoi ? Parce que dans de rares cas (mais quand même, c’est trop), leur compagne gagne plus de sous qu’eux [emoji coeur brisé]. Et c’est encore plus super pas juste, parce que les hommes sont tristounes, alors que les femmes* elles, l’étude dit bien qu’elles s’en foutent. Ça les affecte pas si elles gagnent moins. Limite elles aiment bien, non ? Mais tu vois, ça c’est les femmes tout craché, tournées vers l’Autre, dans la dévotion, l’abnégation, pas la vulgaire matérialité, ah ça non (Le Monde m’a jamais vue chez Monki un jour de paie semblerait-il).

J’aurais quelques petites annotations, 3x rien, par-ci par-là.

Biais de flemme

Bon d’abord, on va se calmer tout de suite sur l’impression d’universalité de l’étude sur laquelle est basée l’article : pas les vieux, pas les jeunes, que les 20-60 ans. Et puis pas les indépendant·es, leurs revenus fluctuent et tout, c’est chiant. Et puis aussi pas les cohabitant·es, on veut de la bague au doigt. Voilà, juste les couples mariés.

Alors ce qui est fun (notion toute relative), c’est que l’étude affirme elle-même (en petit poucet ça et là dans le texte, pas à la suite sinon on verrait un peu trop que tout ça se tient) que 1/certaines études précédentes sur le sujet (le bien-être en fonction de l’écart salarial) suggèrent que « la domination économique des femmes dans le ménage n’est problématique que dans les couples ayant un point de vue traditionnaliste », que 2/en excluant les couples non-mariés, on se focalise peut-être-un-peu-possiblement-mais-jsais-pas-jsuis-pas-devin-merde sur les couples plus traditionnalistes (« Nous excluons peut-être les couples qui rejettent le mariage pour des raisons égalitaristes et dont on peut dès lors supposer qu’ils auraient réagi différemment à l’écart de salaire »), et enfin que 3/une étude précédente a indiqué que « la norme de genre voulant que ‘les femmes doivent gagner moins que leur époux’, […] est hautement prédictive du succès des unions maritales ».

Well, well, well… Donc on sait que: en excluant de l’étude les couples non-mariés, on exclut possiblement un point de vue plus égalitariste. Que les couples plus traditionnalistes auront tendance à avoir une vision plus figée des normes de genre.  Que quand les femmes gagnent moins, ça renforce la longévité des couples mariés.  Mais on va quand même baser toute l’étude exclusivement sur les couples mariés, c’est plus sûr.

C’est ce qu’on appelle un biais de gros foutage de gueule. Also known as « flemme d’avoir tort, viens, on demande que aux gens qui vont confirmer nos hypothèses ». Cela dit, tu gagnes effectivement du temps quand plutôt que de partir d’une question, tu pars direct des réponses.

Les hommes sont tout chagrin quand ils arrivent pas à bien patriarquer

Pardonnez ma perplexité mais d’où, grands dieux d’où, l’étude conclut-elle que ce bonheur/malheur des hommes tient effectivement au gap de salaire avec la bienheureuse qui partage leur vie, et pas à la foultitude d’avantages que leur apporte ledit salaire ? Pour le dire autrement, je comprends bien que l’étude a remarqué que tiens, il y a une corrélation entre le niveau de satisfaction masculin et l’écart de salaire (chaton est triste quand il gagne moins, heureux quand il gagne plus), mais y’a aussi corrélation entre mon niveau élevé de satisfaction et mon pommeau de douche, et c’est pas fooorcément parce que j’adore l’odeur de l’Ultra Doux stu veux.

Le mec a-t-il un sourire béat en faisant défiler mentalement ses fiches de paie à longueur de journée, ou le mec est-il heureux car en ayant un salaire supérieur à celui de son épouse, il jouit aussi d’une validation sociale, d’un plus grand pouvoir d’achat, de la possibilité de quitter sa partenaire sans se demander s’il s’en sortira financièrement, donc de rester dans une relation parce qu’il y trouve une forme de satisfaction et non par contrainte ou crainte, d’une vie sociale possiblement plus riche car s’étirant davantage à la sphère professionnelle (car oui, les femmes gagnent moins aussi parce que leur travail salarié est davantage à temps partiel), et puis surtout, parce qu’il jouit effectivement des promesses que lui a faites la société entière depuis sa plus tendre enfance ?

Le salaire plus élevé n’est-il pas basiquement satisfaisant car il fait partie du package du dominant qui domine bien ? Du coup ouais, pour ceux qui l’ont pas, les boules quoi. Parce qu’en vrai tu sais quoi? Ils sont 12% (DOUZE !) à toucher un salaire inférieur à celui de leur partenaire (ce qui ne dit encore rien de cette répartition en termes de race et de classe notamment). Bah ouais, je comprends, les nerfs, moi aussi ça me tendrait. Non mais sérieusement, imagine, tu passes toute ta vie à entendre que la norme veut que tu gagnes plus que ton épouse, et c’est finalement pas le cas. Bien sûr que tu souffres.

« Mais c’est exactement ce que dit l’étude, pourquoi tu nous saoules ? » me diras-tu alors, le chlore de ta piscine de male tears te picotant les yeux. D’une part, mon problème est que l’étude laisse entendre un lien de causalité où il n’existe en fait qu’un lien de corrélation, et laisse ainsi dans l’ombre tout le système qui rend les hommes si malheureux de gagner moins que leur compagne. D’autre part, je m’interroge (et c’est ma façon passive-agressive de dire « je conteste de toute mon hystérie ») sur la nécessite d’aborder les inégalités de genre de cette façon : il est clairement établi, y compris dans l’étude, que les femmes gagnent largement moins, mais le focus choisi est quand même la souffrance masculine. I mean WTF.  

L’égo en cristal est-il une donnée pertinente ?

Du coup, je me pose une question : est-ce qu’au fond on s’en tamponnerait pas la coquille, du degré de bonheur des dominants au sein du système qui les autorise à dominer ? Est-on réellement tenu·es à l’empathie quand on lit que les hommes sont tristouchoupinou quand ils ne tirent pas les bénéfices du système qui les annonçait pourtant gagnants ? Je sais pas, je demande hein.

Car suggérer cette corrélation comme une causalité (« bichon est heureux quand il gagne plus » versus « bichon est heureux parce qu’il gagne plus »), c’est non seulement malhonnête, mais c’est aussi nier tout le système (que quelques sinistres âmes nommeront « patriarcat ») qui augmente objectivement la possibilité pour les hommes d’avoir un meilleur salaire : le système qui suggère de 1000 façons – à tout le monde, pas qu’aux hommes – que cette situation est effectivement normale, logique, souhaitable, attendue, juste…, le système qui sanctionne celleux qui dérogent à cette norme (c’est tout le principe d’une norme), le système qui ne limite pas la domination des hommes à ce seul élément, le système qui fait que seuls 12% des hommes gagnent moins que leur épouse, etc.

L’étude l’assume d’ailleurs clairement : « Tout en reconnaissant le rôle important des structures macro-économiques et institutionnelles, notre objectif de recherche se concentre plutôt sur les dynamiques interpersonnelles micro-sociales ». Genre ouais, on sait, le système c’est important mais on va quand même pas faire comme ça. Merci mais non merci le système.

Sauf que se concentrer sur le niveau micro du moral, du bien-être, du bonheur ne dit du coup rien, absolument rien, de ce qui rôde cette bien belle machine qu’est le patriarcat, si ce n’est qu’elle roule parfaitement. C’est présenter un constat (« les hommes souffrent quand ils gagnent moins que leur compagne ») comme s’il était l’un des aspects problématiques du système, alors qu’il montre simplement à quel point ledit système fonctionne à merveille. En d’autres mots, non, les hommes ne souffrent pas du patriarcat. C’est même tout le concept. Et dans ce cas précis, les hommes souffrent plutôt de l’inefficacité ponctuelle du patriarcat. Tu m’accorderas que ça change un petit peu les termes du débat.

Donc une étude « illustrant le poids des normes dans le couple » en insistant sur comment c’est ouille-ouille-ouin-ouin individuellement pour les mecs, oui je veux bien qu’on m’explique la pertinence. Parce que d’ici on dirait quand même bien que ça renforce juste le problème.

Nouvelle tactique : on change rien

La pente est glissante à partir de là, parce que pendant qu’on se désole sur les chatons qui frôlent le burn-out pour cause d’égalité, tu sais qui le vit finalement pas si mal ? Leur meuf, dis donc, dont « le bien-être subjectif […] ne semble pas être affecté par le fait d’être moins bien rémunérée ». Tu vois elles sont bien comme ça, alors que les hommes ça les rendrait tout raplapla, alors pourquoi diable changer quoi que ce soit ?

Sérieusement, on fait quoi à partir de ce constat ? On doit faire quoi, genre culpabiliser si on gagne plus du coup ? Être désolées ? Être en empathie? C’est une vraie question : on fait quoi avec cette info ?

En tout cas l’étude a sa petite idée et conclut que comme le gap salarial en faveur des femmes affecte négativement le bien-être des hommes, et que ça ne semble pas affecter celui des femmes, les hommes « pourraient être résistants à des mesures cherchant à diminuer les inégalités salariales au sein du couple ». OK donc quoi, on doit en plus pas déranger les dominants en tentant d’être moins dominées ?

Nous on est là comme des idiotes avec nos slogans, nos campagnes, nos arguments, nos mesures et tout… Mais bordel, si on avait suuuu aussi que ça vous rendait tout déprimous. On s’est mal compris, spa grave, ça arrive. Mais en tout cas on annule tout.

De la souffrance individuelle en système dominant

Honnêtement y’a encore plusieurs trucs que je trouve hautement fucked up dans cette étude (à commencer par le caractère hétéronormatif allant de soi, ou l’une des conclusions annonçant que les femmes sont visiblement « plus heureuses à temps partiel que les hommes » à nouveau en s’arrêtant sur la dimension individuelle sans noter le contexte systémique de cette satisfaction, ou encore l’idée de génie consistant – attention, innovation – à faciliter l’accès au marché de l’emploi pour les femmes qui, décidément, ont du mal. Plutôt que de repenser l’accès au travail domestique pour les hommes qui, décidément, n’en foutent toujours pas une).

Mais je vais m’arrêter là parce que ce qui m’exaspère en vrai, c’est pas tant l’étude elle-même que sa reprise telle quelle par le Monde, qui non seulement trouve cette recherche digne d’un article entier (c’est visiblement suffisamment important, nous devons être au courant), mais en plus le fait sans mise en perspective ni contextualisation ni critique.

Alors je vous vois venir, tout chauds que vous êtes avec les discussions sur la non-mixité de ces derniers jours : non, ça n’est pas « ça l’égalité », parler de la souffrance des hommes autant que celle des femmes en système patriarcal. Parce que ce que ce système organise, c’est précisément l’inégalité. Choisir de s’attarder comme souvent sur la difficulté des dominants – quand c’est pas sur la difficulté d’être dominant, coucou Éric Brion qui nous torche un bouquin sur la souffrance d’avoir été un porc balancé -, c’est prétendre qu’on peut peser de la même façon les obstacles individuels (« boubouh j’arrive pas à montrer mes émotions en public ») et les obstacles organisés de façon systémique (deux tiers des postes de direction en Europe sont occupés par des hommes, par exemple). Ou encore : « ça fait bobo dans mon cœur quand je gagne moins que ma femme », vs « en Europe, les femmes gagnent 16%,3 de moins que les hommes », par exemple.

Non, le patriarcat ne nuit pas à tous les groupes sociaux de la même façon. Quand on connait le poids des questions financières dans les inégalités de genre (qui vont de la décision de rester dans une relation abusive, aux problèmes posés par une retraite des femmes inférieure de 30% à celle des hommes), décider de se focaliser sur l’indécente fragilité du groupe qui s’en sort le mieux, sur le mal-être individuel d’une portion de la portion de la portion des dominants qui dominent de façon moins effective sur un aspect du système, c’est au mieux une énième preuve de votre trouille que les choses soient en train de changer, et au pire c’est simplement obscène.


*Parce que mon texte est centré sur la notion de patriarcat comme système organisateur du genre, je parle ici uniquement d’hommes et de femmes, non comme des réalités biologiques, ni comme les seules catégories de genre valides, mais bien parce que ce sont les classes, les groupes sociaux admis et construits par le patriarcat. En tant que système d’oppression, le patriarcat n’admet que deux catégories (les hommes et les femmes) construites comme opposées, complémentaires, mutuellement exclusives et automatiquement attirées (d’où, notamment, la seule existence du couple hétéro dans l’étude dont il est question, sans que cela ne soit même mentionné).

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